Ruisselante de sueur dans ses vêtements pourtant légers, Obara se tenait fièrement sur son étalon, tout sourire devant le garde qu'elle venait de désarçonner de sa pique d'entraînement.

- Et de huit ! s'exclama-t-elle tandis que Mors, piaffant de fierté lui aussi, décrivait un cercle de plus en plus étroit autour de l'homme défait. Allez relève toi mon gars, à moins que tu souhaites qu'on t'apporte un oreiller ? le railla-t-elle.

Comme s'il avait pu comprendre les moqueries de sa cavalière, Mors poussa un hennissement qui ressemblait presque à un rire. Les autres gardes, eux, ne semblaient pas goûter la plaisanterie. Certains gardaient un souvenir trop cuisant de leurs propres défaites face à l'Aspic, visiblement déchaînée.

La matinée avait été pénible pour Obara, entachée d'une énième dispute avec sa petite sœur Elia. Elle avait besoin de se défouler et même la chaleur étouffante qui régnait sur la ville ne l'avait pas dissuadée d'aller botter quelques culs. Et visiblement, la petite dizaine d'homme qu'elle venait de défaire ne suffisait pas. Au pas altier de son palefroi, la voilà qui paradait une nouvelle fois devant la garde, exécutant de dangereux moulinets avec son arme, comme son père le lui avait appris autrefois.

- Alors, qui sera le prochain ?

Elle les toisa de tout son haut mais tous semblaient fuir son regard.

- Quel ramassis de pleutres...

C'est alors que, au grand soulagement des gardes, quelque chose attira son attention dans leur dos et l'Aspic se désintéressa complètement d'eux et les contourna en trottant. Elle avait déjà aperçu l'homme qui venait de faire son entrée dans la cour mais n'avait pas encore eu l'occasion de faire sa connaissance. C'était la nouvelle coqueluche de son père, un Gargalen de Salrivage, qu'Oberyn venait de faire entrer dans sa garde personnelle. En l'examinant, elle se demandait comment ce gamin pouvait se targuer de protéger la Vipère Rouge. Comme si son père avait besoin d'un petit garçon pour se défendre. Plus jeune qu'elle, il était tout de même déjà très imposant. Les Deux Épées de Dorne qu'il se faisait appeler, un titre bien pompeux, jugeait l'Aspic. Mais on lui avait appris à se faire une opinion par elle-même, aussi était-elle curieuse de voir ce que valait vraiment cet homme, en dépit de son nom prestigieux.

Elle stoppa son étalon à quelques mètres du jeune homme et en descendit avec une souplesse qui tenait presque de la grâce, puis de son pas vif alla se planter devant lui, pique toujours en main.

- Gargalen, vous êtes l'un des nouveaux gardes de mon père à ce que j'ai appris. Mon nom est Obara Sand, déclara-t-elle avec une fierté non dissimulée. Alors comme ça vous pouvez vous targuer d'avoir obtenu l'estime de la Vipère Rouge... Je serai curieuse de voir comment...

Le ton de défi qu'elle avait adopté ne pourrait le laisser insensible, elle le savait, aussi lui adressa-t-elle l'un de ses sourires à la fois enjôleur et carnassier dont elle avait le secret. Elle venait de trouver son neuvième adversaire. Un adversaire peut-être enfin à sa mesure.

Elle ne s'était pas trompée, le jeune homme n'avait pas hésité une seconde avant de relever le défi qu'elle venait de lui lancer et, sans autre forme de préambule, elle le vit s'armer de ses armes d'entraînement. Derrière, elle pouvait entendre les gardes chuchoter et, divisés, parier sur le prochain vainqueur.

- J'te dis qu'elle va le laminer, il va rentrer à Salrivage la queue entre les jambes, pleurer dans le giron d'son lord de père, affirmait le dernier homme qui s'était vu battu par l'Aspic.
- Hum... J'miserai pas là dessus. A ce qui paraît, il a reçu un bon entraînement à Braavos, le Gargalen, rétorqua l'autre garde.

Obara lui jeta un regard mauvais. Tout cela elle ne l'ignorait pas et, même si elle était curieuse de tester le jeune noble, elle savait pertinemment que son père ne s'entourait que de bons soldats. Pour la première fois de la journée, ce combat lui demanderait donc toute la concentration et l'habileté dont elle savait faire preuve. D'autant plus que, si son adversaire était tout à fait frais, elle l'était déjà un peu moins. Couverte de poussière et de sueur, un petit hématome avait déjà fait son apparition là où l'un de coups bien ajusté d'un garde avait fait mouche sur son bras gauche, mais à peine essoufflée par les combats qu'elle venait de mener, elle était bien décidée à montrer à ce nobliaux ce dont elle était capable, toute bâtarde qu'elle fut. Ses yeux de braise rencontrèrent ceux de son adversaire.

- Alors qu'attendons-nous ?
- Seriez-vous pressé de vous voir défait par une femme ? Une bâtarde qui plus est !

Comme avant chacun de ses combats, elle fit appel à toute la colère qui sommeillait en elle, la colère de na pas être née homme, d'être la progéniture d'une putain et à ce titre, d'avoir passé moins de temps dans les Jardins Aquatiques que ses jeunes sœurs, bâtardes tout autant qu'elle, mais mieux nées. En s'avançant vers Edmund tel un gros chat prêt à bondir, elle faisait tournoyer habilement la pique de bois entre ses deux mains pour finir, d'une élégante pirouette qu'Oberyn lui avait apprise, par se retrouver à quelques pas de lui. Il possédait deux armes, il lui faudrait avoir les yeux partout. Après un hochement de tête qui devait signifier au Gargalen que l'heure n'était plus aux bavardages, elle tournoya autour de lui et, d'un coup vif, tenta de faucher la jambe d'appui sur laquelle reposait tout son poids.

La lutte que menait les deux Dorniens avait soulevé un fin nuage de poussière qui réduisait leur visibilité. Autour d'eux les silhouettes fantomatiques des gardes se faisaient de plus en plus nombreuses mais Obara ne leur prêtait plus aucune attention. Elle était bien trop occupée à lorgner chaque mouvement de son adversaire. Les deux épées factices s'abattaient tour à tour sur sa pique, si fort et si adroitement que l'Aspic craignit un instant qu'elles ne brisent son arme. Aussi vive et preste qu'un serpent, Obara parvint à se dégager des assauts d'Edmund et, d'un bond agile se retrouva dans son dos pour lui asséner un coup entre les deux omoplates. Le choc lui aurait certainement coupé le souffle si il n'y avait eu son plastron. L'Aspic, elle, ne pouvait compter que sur son arme pour se protéger, simplement revêtue de sa tenue de cuir brun passablement usée. Aussi, lorsque l'une des deux épées trouva une faille dans sa défense et s'abattit rudement sur son flanc gauche, la jeune femme s'étala de tout son long, mordant la poussière.
"Je ne vous considère pas comme une personne faible" lui avait-il lancé. Et pourtant, elle se sentait impuissante... Dès le début du combat, elle avait senti que l'affrontement serait rude. Mais de là à s'effondrer ainsi... Elle se releva prestement, furieuse contre elle-même. Ses côtes l'élançaient et portaient certainement déjà la marque du coup. Enragée, elle se porta au devant de son adversaire. La pique se dardait, se rétractait, feintait aussi rapide et sournoise que la langue d'un serpent mais rien n'y faisait, Edmund parait chacune de ses attaques, ses deux épées de bois soutenant le rythme effréné que lui imposait l'Aspic. Obara n'aurait su dire combien de temps cela faisait qu'ils se tenaient là tous les deux, se tournant autour comme deux dangereux fauves, mais un rapide coup d’œil lui révéla que la plupart des gardes s'était lassés du spectacle et s'en étaient retournés à leurs tâches. Elle esquiva une énième attaque, en porta une à son tour mais le jeune homme n'eut pas le moindre mal pour la parer. Encore. Encore et encore, ils dansaient comme si ce combat était un duel à mort. Ridicule. Ils étaient ridicules tous les deux avec leurs armes factices qui ne tarderaient certainement pas à se briser sous leurs furieux assauts.

- Je ne vous considère pas non plus comme une personne faible, lança-t-elle à son assaillant en jetant sa pique à ses pieds. J'en ai assez vu à présent pour comprendre ce qui poussa mon père à vous engager. Admettons que nos forces sont égales et allons nous gorger d'un bon cru pour nous remettre de nos efforts. J'ai bien peur que si nous nous acharnons, nous passions toute la nuit à danser ainsi. Qu'en pensez-vous, messire ? siffla-t-elle en appuyant bien sur le titre.

Elle aurait pu continuer mais à quoi bon ? Elle n'avait rien à lui prouver et quant à lui, il venait très largement de les faire ses preuves.