"Lady Alyssa, dépèchez-vous, votre mère nous attends"
La vieille septa laissa échapper un soupir d'exaspération, alors qu'elle suivait du regard la brune qui courrait à l'autre bout de la pièce pour ajouter quelques bracelets à ses poignets déjà bien garnis. La cadette des Desdaings n'avait pas passé une semaine dans la ville royale que déjà elle luttait pour ne pas montrer son ennui. Pourtant elle avait démontré un enthousiasme contagieux lors du voyage et l'arrivée dans les rues de Port-Réal. Ses yeux pétillaient comme ceux d'un enfant à qui l'on avait offert le jouet dont il rèvait depuis longtemps. Elle n'avait pas les mêmes attentes que les autres jeunes filles nobles qui y venaient pour la première fois. Elle ne cherchait pas des yeux les merveilles à chaque coin de rue, alors que la moindre petite ruelle était jonchée de détritus. Elle ne cherchait pas les richesses sur les étalages, quand l'odeur qui planait ne traduisait rien d'autre que la pauvreté. Tout ce qu'elle voulait, c'était de la nouveauté. Voir, enfin, autre chose que Beaumarché.

"Alyss..Lady Alyssa!"
Les deux femmes quittèrent la chambre d'un pas pressé, la septa au visage ridé comme un vieux fruit grommelant tout bas des reproches à la jeune fille, afin que les nobles qu'elles croisaient ne les entendent pas, et qu'elle continuait alors qu'elles leur souriaient et les saluaient poliment d'un signe de la tête. Les remontrances de la vieille dame se faisaient de plus en plus rares, et cela semblait lui manquer. Aussi, dès que la cadette Desdaings faisait la moindre erreur, la septa saisissait l'occasion au vol, et retrouvait non sans un certain plaisir ce qu'elle avait l'habitude de lui dire depuis plus de dix ans. La conduite d'Alyssa n'était plus une simple imitation de ce que doit être une lady. Depuis qu'elle se trouvait à Port-Réal, elle en était presque une, se mélant sans mal aux discussion des têtes connues à qui on la présentait. C'était plus qu'un jeu pour la brune, qui esperait par sa conduite irréprochable finir de convaincre la vipère. Ce voyage, elle l'avait préparé des jours durants, révisant même la nuit le nom et le blason de toutes les familles qu'elle pourrait croiser dans la ville royale. Pourtant, sa volonté commençait à s'user. Sa patience s'effritait, et l'emploi du temps que lui imposait sa mère par l'intermédiaire de la septa lui pesait un peu plus chaque jour. De plus en plus souvent, son regard pâle regardait les épées aux ceintures des gardes, lui rappelant les entrainements avec Isendre, qui lui semblaient aujourd'hui si lointains.
"Lady Desdaings."


La vieille se courba pour saluer l'épouse du cygne. La vipère avait adopté la mode de la Capitale, ce qui n'était pas encore le cas d'Alyssa. Elle avait fait une croix sur les loques masculines qu'elle cherissait tant, mais elle n'était pas prête à quitter les robes amples et légères de Beaumarchais pour celles, corsetées et lourdes que les femmes nobles portaient ici. L'aisance de mouvement y était considérablement réduite, et elle n'osait pas imaginer la torture que devait être l'habillage avec un tel poids de tissus sur le dos. Sans un mot la vipère reparti, suivie de près par Alyssa et la septa. La brune espérait que sa mère avait une fois de plus remarqué sa mise. Elle avait choisit avec soin la robe dont la teinte rappelait la couleur de ses yeux, ainsi que la multitude de bracelets d'or ciselé qui ornaient ses bras pâles. Tout comme la vipère, elle ne portait jamais de collier, symbole de soumission pour la terrible lady Desdaings. Le petit groupe de femmes se dirigeaient sans doute vers un endroit où la vipère pourrait faire rencontrer à la jeune fille encore de nouvelles têtes de pouvoir. La lady ne l'avait jamais questionnée sur ses rencontres et ses discussions avec les nobles qui habitaient le château lors de son absence. Elle n'en avait pas besoin. Si Alyssa faisait un seul pas de travers, la rumeurs lui arriverait bien vite aux oreilles, sans qu'elle ait eu besoin de lever le petit doigt.
Alors qu'elles arrivaient dans une cour, son regard fut attiré par un jeune homme blond, qui les dévisageait. Elle ne détourna les yeux de lui que lorsque ce dernier la regarda. Une chaleur inhabituelle vint envahir ses pomettes, et elle espéra de tout son coeur qu'elle ne rougissait pas. Elle n'avait pas le teint olivâtre de sa mère, et sa peau pâle comme celle de son père rendait aussitôt visible la moindre gène. Se bornant à regarder droit devant elle, la brune dut lutter pour ne pas à nouveau se tourner vers lui lorsqu'il passa près d'elles. Cependant elle ne put retenir un discret regard en arrière.
"Lady Alyssa, dîtes donc à votre mère avec qui vous avez eu le plaisir de converser ce matin."

La septa, telle la providence, vint la sortir de sa rèverie. La brune regarda le dos de la vipère, qui dirigeait toujours la marche. Les idées mirent un peu de temps à se remettre en place dans son esprit, et c'est après un silence un peu trop long qu'elle répondit.
"Et bien...J'ai rencontré Lady Falyse Castelfoyer. Nous...nous avons longuement parlé de.."
Elle se remémorait tout juste la terriblement longue et ennuyeuse discussion du matin avec l'ainée des enfants Castelfoyer, qu'un individu les interpella, coupant court au récit si piètrement commencé. Lorsqu'elle se retourna, la cadette Desdaings senti son coeur faire un bond dans sa poitrine, tant elle ne s'attendait pas à ce que l'homme qui les avait appelés fût le jeune homme qui l'avait troublée.


"Excusez moi mes dames. Je viens de trouver ce bracelet par terre après votre passage et je me demande s'il ne vous appartiendrait pas. "
Elle dévora du regard le visage de celui qui l'avait interrompue, avec une telle application qu'elle ne saisit le sens de ses paroles que lorsqu'elle se rendit compte que ni la septa, ni sa mère ne lui répondait. Ses yeux se posèrent sur le bracelet qu'il tenait dans le creux de sa main, et aussitôt elle s'avança, et le saisit vivement, un sourire spontanné ourlant ses lèvres. Elle leva la tête vers le jeune homme, toujours souriante, et plongea son regard dans le sien. Elle était tellement absorbée qu'elle ne se rendit compte de son attitude que lorsqu'un toussotement de la septa vint la rappeler l'ordre. Aussitôt une vague de froid lui parcouru l'échine, et l'éclat qui brillait alors si intensément dans ses yeux disparu. Elle était en train de tout gacher. Se reculant d'un pas, elle s'eloigna du jeune homme, dans une attitude beaucoup plus froide et distante. La broche en forme d'araignée ne lui avait pas échappée, aussi elle espérait ne pas se tromper lorsqu'elle prit la parole.
"Je vous remercie infiniment, ce bracelet est cher à mon coeur, et si vous n'aviez pas été là je ne l'aurait sans doute jamais retrouvé, lord Tyssier."
Alyssa se souciait autant de ses bracelets que du temps qu'il faisait à Essos, mais elle préférait essayer de faire passer son trop grand enthousiasme à aller chercher l'objet dans la main du jeune lord pour un attachement puéril à une babiole plutôt qu'à une réaction aux raisons beaucoup moins louables pour une demoiselle de sang bleu. La septa ne semblait pas avoir remarqué le comportement de la brune, et c'est sereine qu'elle lui prit le bracelet des mains pour le réaccrocher au poignet.
"Faites plus attention lorsque vous les mettez. Un jour vous allez réellement en perdre un, si ce n'est plusieurs! Et là, je doute que ce jeune homme soit là pour vous les redonner."

Elle n'eut pas à prononcer le moindre mot pour que les deux femmes qui la rejoignirent la suivent, lui emboitant aussitôt le pas. Sa longue robe trainait sur le dallage grège de la cour, non sans être souillée de sable poussiereux. La lady avait revêtu une des rares pièces de sa garde robe qui était à l'image de celles que portaient les dames à Port-Réal, mais ce n'était pas la moindre. En effet, la robe était coupée dans un velours fin mordoré brodé et assorti d'empiecements de velours d'un bleu si sombre qu'il en était presque noir au niveau de ses manches, de son jupon et de son décolleté, créant des motifs presque géometriques et où, caché parmi les cygnes se trouvait la vouivre sombre de sa famille. Une oeuvre d'artisanat que lui enviaient bien des femmes de la cour. Mais elle ne paradait pas, du moins, pas plus que sa distinction naturelle ne la poussait à le faire. La teinte ténébreuse de sa toilette avait été soigneusement choisie pour mieux faire ressortir celle, bien plus claire, de sa fille. C'était là une peine qu'elle aurait pu s'éviter. Car, hélas pour l'orgueil de la dame, cette dernière était belle, bien plus belle drapée dans cette soie d'argent qu'elle ne l'aurait jamais imaginé. Et elle n'arrivait pas à ressentir la moindre fierté devant la beauté de cette fille, son unique fille, qui lui ressemblait tant et qui n'avait commis qu'un seul crime: celui d'être née de cette nuit où Criston avait pris son épouse de force.

Cependant, elle avait beau n'avoir pas la moindre place dans son coeur pour la demoiselle, celle-ci était de son sang et il était de son devoir de lui trouver un bon époux. Ainsi, la Lady de Beaumarché semblait prendre part à une balade des plus ordinaires en compagnie de la septa et de sa fille, mais il n'en était rien en vérité. Car ses yeux pâles cherchaient avec discrétion et élégance le moindre mouvement, la moindre réaction dans les yeux qui se posaient sur sa fille. Elle tentait de les comprendre. De ses premiers pas dans la cour en compagnie de sa fille, elle comprit vite que la beauté de celle-ci attisait la curiosité polie des nobles qui les croisaient.
Ce n'était que d'une oreille distraite qu'elle entendit la septa encourager sa fille à lui exposer ses rencontres au sein du Donjon.

"Et bien...J'ai rencontré Lady Falyse Castelfoyer. Nous...nous avons longuement parlé de.."

« Excusez moi mes dames. Je viens de trouver ce bracelet par terre après votre passage et je me demande s'il ne vous appartiendrait pas. »

Tournant gracieusement la tête vers celui qui osait les interrompre, elle s'arrêta mais ne se mit pas face à lui. Son orgueil et son rang le lui interdisaient. Le jeune garçon les avaient interrompues dans leur occupation, c'était donc à lui de se plier à leurs convenances et non pas l'inverse.

Lorsqu'Alyssa se jeta presque sur le blondinet, Cerenna reserra son châle de taffetas bleu nuit autour de ses bras minces, dans un reflexe irrité. Comment pouvait-elle se montrer aussi familière et singulière au devant d'un noble, inconnu certes et d'une moindre famille, mais d'un noble tout de même?

"Je vous remercie infiniment, ce bracelet est cher à mon coeur, et si vous n'aviez pas été là je ne l'aurait sans doute jamais retrouvé, lord Tyssier."

Comme révélée par l'evocation de ce nom, Cerenna aperçut la broche qui avait du mettre Alyssa sur la voie de sa reponse. Mais s'il était un Tyssier, il ne s'agissait certainement du Lord. Faute de courtoisie ou lacune historique, Cerenna ne pouvait dire ce qui avait poussé sa fille à la faute, mais cela lui pinça le coeur. Donner un titre à ce simple garçon était précipité, et selon elle, déshonnorant pour son propre nom. Cependant la faute était légère, et l'inconscience d'Alyssa dut apparaitre aux yeux du jeune homme qui eut la sagesse de la corriger poliment.

S'il était habile dans le choix de ses mots, il se révéla beaucoup moins habile dans le choix de son interlocutrice. Qu'il parla aussi impunément à la jeune demoiselle sous les yeux mêmes de sa septa et de celle qu'il ne pouvait que deviner être la mère était presque indécent, surtout au vu de son rang inférieur de part l'importance reduite de sa famille. Une faute d'étiquette que Cerenna se ferait un plaisir de corriger bientôt, tout comme Owen s'était fait un plaisir de corriger sa fille.

-Vous avez l'honneur de vous adresser à Lady Cerenna Desdaings de Beaumarché, ainsi qu'à sa fille Lady Alyssa. lui repondit la septa d'un ton pincé et hautain.

Lorsqu'on la présenta, la brune inclina simplement légèrement la tête. Une faible brise souleva une mèche de ses cheveux qui vint froler sa joue, juste en dessous de son regard implacable.

«Puis je me joindre à vous pour quelques pas mesdames ? Je suis arrivé récemment à la capitale et je n'ai pas encore eut l'occasion de fréquenter beaucoup de nobles dames. Un peu de compagnie me ferait le plus grand bien mais je ne souhaite pas vous indisposer.»

Demander ainsi à deux femmes nobles d'une maison plus importante que la sienne de l'inviter à rejoindre leur petite marche frolait l'insolence. La septa allait répliquer sechement au toupet du jeune homme par la négative lorsque la voix de sa maitresse la réduisit au silence qui prit pour la première fois la parole au devant du jeune homme blond.

-Vous êtes bien jeune pour faire montre d'autant d'assurance, Tyssier.

Elle laissa planner un silence, comme pour prendre le temps de décider de ce qu'elle allait faire face à la hardiesse du garçon qui l'irritait autant qu'elle la ravissait, car elle la changeait de la politesse lisse et si prévisible des nobles du Donjon Rouge. Finalement un léger sourire ourla ses lèvres, une sourire qui ne venait pas se refleter dans ses grands yeux clairs.

-C'est cependant une charmante idée, dit-elle d'une voix qui manquait de la chaleur de ses propos. Votre compagnie sera aussi appreciable pour ma fille et moi-même pendant notre promenade. Et nous vous devons bien cela, pour l'honneteté dont vous avez fait preuve. Venez donc.

Elle reprit le chemin des jardins sans accorder un autre regard au garçon, à sa fille ou encore à la septa. Un groupe de nobles s'écarta craintivement pour laisser passer la dame du Conflans, et quelques regards s'attardèrent sur le jeune homme qui l'accompagnait. Cerenna sourit, satisfaite. Parfait, qu'ils regardent. Cela eveillerait certainement la concurence pour la main de sa fille.

-C'est votre premier séjour à la Capitale? Cela fait bien longtemps, pour ma part, que je ne suis allée dans les Terres du Bief. Mais j'ignorais que l'étiquette avait à ce point changée que l'on peut se permettre désormais de s'adresser à une jeune fille de haute naissance sans y avoir été invité.

Les interventions successives de la vieille septa, puis de la vipère ne vinrent pas aider à installer un climat chaleureux pour le nouvel arrivant. Alyssa n'eut pas besoin de se tourner vers sa mère pour savoir qu'elle désapprouvait totalement la requête du jeune noble, elle devait probalement trouver l'attitude de ce dernier déplacée. Quand à la jeune brune, si elle savait désormais se comporter en lady, elle se rendait compte qu'il y avait des nuances qui lui échappaient encore, et qu'elle devrait se dépècher d'assimiler avant la fin de son séjour dans la Capitale. Elle n'avait pas vraiment apprécier que le Tyssier la corrige, et si il n'y avait pas eu la présence de la septa et de sa mère, elle aurait sans doute changé d'attitude pour retrouver ses réflexes de garçon manqué. La jeune lady s'était sentie vexée de se faire ainsi remettre à sa place par le blond, qu'elle avait vainement voulu impressionner tout autant que la septa et la vipère des Conflans.

"Puis je me joindre à vous pour quelques pas mesdames ? Je suis arrivé récemment à la capitale et je n'ai pas encore eut l'occasion de fréquenter beaucoup de nobles dames. Un peu de compagnie me ferait le plus grand bien mais je ne souhaite pas vous indisposer."

Comme une enfant qui demande une faveur, Alyssa se tourna vers la vipère, levant vers elle un regard brillant d'espoir. Elle ignorait encore la véritable nature des sentiments naissants qu'elle éprouvait pour le Tyssier, aussi c'est dans la plus pure naïveté qu'elle esperait que sa mère laisse le jeune homme les accompagner, ne serait-ce pour quelques instant de plus passer en sa compagnie. La brune voulait le connaître, elle ignorait pourquoi. Et alors que sa mère répondait à l'affirmative après un silence qui avait parut durer une éternité à la jeune lady, elle senti son coeur faire un bond dans sa poitrine. Partant à la suite de la vipère, qui avait pris la tête du petit groupe, elle ne cessa de jeter des regards furtifs au blond, détaillant le profil de ce dernier.

"C'est votre premier séjour à la Capitale? Cela fait bien longtemps, pour ma part, que je ne suis allée dans les Terres du Bief. Mais j'ignorais que l'étiquette avait à ce point changée que l'on peut se permettre désormais de s'adresser à une jeune fille de haute naissance sans y avoir été invité."

La première pique de la vipère était lancée. Mais elle était loin d'être aussi terrible que ce qu'elle aurait pu craindre que sa mère ne dise au jeune Owen.
"J'ai moi même manqué à l'étiquette en venant reprendre avec..un peu trop d'enthousiasme, mon bracelet. Il a corrigé mon erreur quand à son statut, ne pourrions-nous considérer que nous sommes quittes?" Alyssa fixait de son regard pâle le dos de la vipère, la tête légèrement penchée sur le côté. Elle ne préta pas attention à la septa qui essaya de lui saisir le poignet, certainement à dessein de la prendre à part pour la corriger, encore une fois. Cette dernière soupira après avoir grommelé quelques mots dans sa barbe. Dans les jardins, le petit groupe que formait les deux ladies, le nobliot et la septa attisait la curiosité, et beaucoup se retournaient pour les observer avec plus ou moins de discrétion. La vipère était connue, et la voir ainsi se promener en compagnie de sa fille et d'un jeune noble presque inconnu créait un petit évènement qui changeait la routine du quotidien au donjon rouge. Tout ceci Alyssa ne s'en rendait pas compte. Toute son attention était portée sur le Tyssier.
"Cela fait déjà un certain temps que nous sommes à Port Réal mère, je me demandais si vous m'autoriseriez à aller découvrir la ville, avec Alessander bien sûr, je n'irai pas seule. "

Menant la marche, Cerenna salua au passage quelques nobles qu'ils croisaient d'un signe de tête, un sourire fin au bord des lèvres. Elle avait accepté, non, plutôt consentit à ce que le jeune Tyssier les accompagne. Elle ne tolererait sa présence que le temps nécessaire à ce que cette balade de courtoisie suffise à le remercier pour son geste. Un geste qui, pour une famille riche telle que la maison Desdaings ne représentait à vrai dire pas grand chose, un bracelet de perdu n'allait pas ruiner la famille, loin de là. Mais peut etre etait-ce l'insignifiance de l'attitude noble du jeune homme qui l'avait touchée.

« On peut dire que c'est mon premier séjour à la capitale, Lady Desdaings. Je me suis peut-être légèrement oublié sur ce point, je vous l'accorde. Ma joie de découvrir le Donjon Rouge couplée à mon sens du devoir, m'ont fait oublier mes bonnes manières. Je m'excuse si j'ai offensé votre personne ou la vôtre Lady Alyssa. Pour moi nous sommes quittes mais j'en remet la décision à dame votre mère.»

-Ne vous inquietez donc plus de cela. Votre geste était compréhensible et motivé par de nobles intentions, nous ne pouvons pas vous en vouloir. Après tout, les seigneurs et leur engeance du Bief sont connus pour avoir un penchant certain pour ce qui est de prendre l'initiative.

Cette initiative dont elle parlait devait sembler mysterieuse au garçon. Et pour cause, elle était déjà fatiguée de son manque de manière, et n'avait pas manqué de remarquer que le Tyssier s'était excusé lui même. Un détail énervant et vite réglé pour un adolescent fougueux, un faute encore plus énervante pour une dame qui avait toujours pris le soin d'enseigner les bonnes manières, si ce n'est à sa fille, au moins à son fils. Cette assurance qui l'avait séduite au premier abord chez le garçon tournait désormais en sa défaveur. Et elle doutait qu'il sache comment rectifier le tir. Car il était bien connu que rien n'était plus difficile que de regagner l'estime de la vipère une fois qu'on la perdait.

«Comme je vous comprends Dame Alyssa. J'ai aussi une envie folle de visiter Port-Real. J'espère que le temps me le permettra durant mon séjour. Je risque d'être pris par les affaires de ma maison malheureusement.»

Lorsqu'elle entendit Alyssa évoquer son frère, Cerenna se crispa. Le savoir si vite dans la capitale pour les rejoindre, si peu de temps après l'imoralité dont il avait fait preuve envers elle la mettait profondément mal à l'aise. Et le croiser n'était pas dans ses priorités. Cependant, elle ne put s'empecher de sourire, légèrement narquoise, en écoutant l'enthousiasme des deux jeunes gens. Il n'y avaient que les non-initiés à la réalité de la capitale qui crevaient ainsi d'envie de marcher dans ses rues qui n'avaient rien à envier au plus malfamé des bourgs de Westeros. Sa mine se fit pourtant plus sévère lorsqu'elle s'adressa à sa fille par dessus son épaule.

-En effet Alyssa, rien ne serait plus dangereux pour toi que de marcher seule dans ces ruelles. Si l'on pouvait croire que la vipère ne souhaitait rien de moins que de voir cette enfant qu'elle n'avait jamais considéré comme sa fille malmenée par les vagabonds de tréfonds de la cité, Alyssa restait une pièce sur son échiquier et elle ne pouvait se permettre de la perdre ainsi. Septa Morane veillera à te faire visiter les lieux historiques du Donjon en attendant que ton frère ne soit libre de t'accompagner lors de ta visite de la ville. En attendant ce jour, il est évident que tu ne quitteras pas ces murs. Se permit-elle de préciser, car Alyssa avait l'art de contourner les règles qu'elle lui imposait.
Elle s'adressa de nouveau au Tyssier.

-Décidemment, une catastrophe serait-elle en train de se préparer dans l'ombre pour que tout Westeros vienne à Port-Réal en quête d'alliances? Sourit-elle. Il ne lui avait pas été bien difficile de deviner quelles étaient ses fameuses "affaires" dont parlait le jeune homme.Votre père vous envoie à sa place, il doit avoir une grande confiance en vous pour vous laisser vous occuper pleinement d'affaires aussi délicates. Mais j'espère que cela ne signifie pas que votre père est souffrant? lui demanda-t-elle par pure politesse, car rien ne l'indifferait moins.Vous ne manquerez pas de trouver un beau parti, il n'y a pas à douter de cela au regard de tous les nobles qui sont en ce moment même à la recherche d'une union potentielle. Rajouta-t-elle en saluant une fois encore quelques nobles qui semblaient vouloir lui parler mais qui renoncèrent en voyant le jeune garçon à ses côtés avant de chuchoter entre eux. Votre soeur, si je ne me trompe pas, bien qu'elle sut pertinemment qu'elle ne se trompait pas, est aussi dans l'attente d'un époux, n'est ce pas?

La cadette Desdaings avait du mal à ne pas tourner la tête vers le jeune noble, et seule la présence autoritaire de la septa qui devait assurément surveiller ses faits et gestes l'empechait de le faire. Elle ne pouvait cependant retenir de nombreux regards en coin sur le profil du tyssier. Lorsque celui-ci s'adressa directement à elle, elle ne put s'empecher de sourire, et tourna la tête vers un groupe de nobles à côté duquel ils passaient afin que la vieille septa ne le remarque pas. Son excès de bonne humeur fut bien vite calmé par l'intervention sans appel de la vipère. Le message n'était qu'un rappel de celui qu'elle s'était entendu répéter pendant tout le voyage vers la Capitale. Elle n'était pas là pour découvrir la ville, et encore moins pour s'amuser. Mais surtout, rien qui puisse l'amener à faire un faux pas devant la Cour ne serait accepté. La visite de la ville en faisait sans doute partie. La présence d'Alessander serait, du moins elle l'espérait, un bon moyen de se debarasser de la septa.

"Bien mère." Bien qu'un sourire froid et poli s'etira sur ses lèvres, la Desdaings eut du mal à cacher sa déception. Un instant de naïveté lui avait amené l'idée que peut être, si les dieux avaient bien voulu se montrer généreux avec elle, la vipère des Conflans eut autorisé le Tyssier à l'accompagner pour visiter la ville, ou même les lieux importants du Donjon, quand bien même la vieille Morane fut elle présente.
La promenade aux côtés d'Owen lui donnait l'impression de respirer pour la première fois depuis son arrivée à Port-Réal. Elle retrouvait son enthousiasme de ses premiers jours au Donjon, comme une enfant avide de nouveauté. Les journées passaient et se ressemblaient terriblement parmis les nobles de la Cour, et l'ennui qui germait n'était qu'accentué par son impatience de voir enfin arriver son frère. Elle avait besoin de voir enfin un visage familier qui ne lui soit pas hostile ou simplement indifférent.

"Décidemment, une catastrophe serait-elle en train de se préparer dans l'ombre pour que tout Westeros vienne à Port-Réal en quête d'alliances? Votre père vous envoie à sa place, il doit avoir une grande confiance en vous pour vous laisser vous occuper pleinement d'affaires aussi délicates. Mais j'espère que cela ne signifie pas que votre père est souffrant? Vous ne manquerez pas de trouver un beau parti, il n'y a pas à douter de cela au regard de tous les nobles qui sont en ce moment même à la recherche d'une union potentielle. Votre soeur, si je ne me trompe pas, bien qu'elle sut pertinemment qu'elle ne se trompait pas, est aussi dans l'attente d'un époux, n'est ce pas?"
La brune eut l'impression d'avoir reçu un seau d'eau glacé sur la tête. Comme elle se sentait bête à présent. Tous ces efforts pour paraître parfaite parmis les aristocrates du Donjon Rouge, toutes ses courbettes, ses politesses. Elle n'avait fait cela que pour satisfaire sa mère, oubliant que la vipère controlait tout, surtout lorsqu'il s'agissait de ses enfants. Repartirait-elle dans les Conflans en étant fiancée? Assurément. Et sans doute réservait-elle le même sort à Alessander.

-Je suis désolée pour feu Dame votre mère, je suis bien placée pour savoir quelle douleur cela a du etre pour elle de ne pas avoir connaissance de l’avenir de ses enfants.

Elle s’était enfin tourné vers le jeune homme et lui avait adressé des paroles sincères. Oui, sincères. Sincères au point de lui serrer un instant le coeur. Ce coeur que beaucoup pensaient et disaient aussi dur et inébranlable que la pierre. Ce qui était à la fois vrai et faux. Certes la lady avait un controle total de ses émotions et une vision du monde et de son entourage si froide, distante et calculée qu’elle paraissait toujours déplacer ses pieces sur un échiquier géant quite à en sacrifier quelques unes au passage sans le moindre remord. Mais si elle s’était recouverte d’une telle armure c’était aussi pour etre capable de défendre et proteger ce qui etait avant tout sa lignée, à plus forte raison que celle de Criston. Alessander avant toute chose sur cette terre lui était précieux. Et la moindre erreur de sa part ou de la sienne concernant l’avenir de son heritier la remplissait d’une terreur monstre. Elle savait donc à quel point la sensation de lacher prise sur le destin de sa progéniture pouvait glacer le sang. Il n'y avait rien de pire pour une mère. Concernant sa fille, elle ne lui portait pas la moindre affection, omnubilée qu’elle était par son ainé. Néanmoins, elle y était attachée, mais plus dans le sens que cette jeune fille était de son sang et que par ce biais elle lui appartenait donc, elle et son avenir. Un dédain que son mari supportait mal alors que lui plus que quiconque en était à l’origine.

Mais depuis quelques temps, une pointe d’interet était née chez la lady pour cette creature qu’elle avait si souvent délaissée, méprisée. Etait-ce car le temps était venu de la marier? Ou etait ce le temps qu’elle avait été obligée de passer avec elle lorsque son frère était parti qui avait fait naitre cette curiosité? Elle l’ignorait, et se forçait à ignorer cet interet soudain et frustrant qu’elle ressentait pour la jeune fille. Après tout, sa priorité était ailleurs.

-Je suis en effet ici pour trouver un époux à ma fille, ainsi qu’une épouse pour mon fils. Et de nombreuses demandes nous ont déjà été communiquées.

Laissant planer le mysteres sur ces fameuses demandes ainsi que les reponses qu’elles avaient bien pu recevoir en retour, la Lady continua son chemin dans une allée bordée de cyprès. Jetant un regard par dessus son épaule elle posa ses pupilles de rapace sur sa fille un instant, puis regarda de nouveau devant-elle. C’était la premiere fois depuis des mois qu’elle lui accordait une attention aussi gratuite, et non pas pour la punir ou pour lui communiquer son dédain. Elle était belle, aussi belle qu’elle à son age. La meme beauté au regard intense et aux traits fins, félins, presque sauvage. Mais à la stupidité encombrante. Alyssa avait fait beaucoup de progrès mais elle avait encore tellement à apprendre avant que ses tentatives de diplomaties ne representent plus un danger pour le nom des Desdaings que cela en était presque desesperant.
La proposition du garçon la surprit, mais lui parut fort allechante. Si le jeune homme l’irritait, il ne manquait pas de manières, et sa soeur devait etre sur le meme schema.

-Je n’en serais pas offensée, bien au contraire. Je serais ravie qu’Alyssa fasse la connaissance de votre soeur et passe du temps en sa compagnie. Cela lui apportera beaucoup, j’en suis certaine.

Elle adressa un regard approbateur au jeune blond. Les Tyssier était une famille suffisament importante pour enseigner à Alyssa un certain art de vivre, mais c’etait aussi une famille suffisament petite pour eviter tout scandal si jamais elle manquait à l’etiquette.