An 298 | Lune 10 | Semaine 3 | Jour 1 | Fin de matinée

Le Conflans. Une région vaste et luxuriante à la faune et à la flore abondante, qui fait la joie des paysans. C'est sous le couvert de ces arbres, que deux hommes avançaient. Ou plutôt un homme et un jeune homme. Flèche encocher, démarche souple, ils se déplaçaient silencieusement ou du moins autant qu'ils le pouvaient.
Les deux hommes chassaient, remontant la Bleufurque vers Vieilles-Pierre depuis le début de la matinée. Mais midi approchant, plusieurs lieu parcourut depuis l'aube et ni l'un ni l'autre n'avait à sa ceinture le relief d'un déjeuner. Il n'y avait pas de dieux pour les chasseurs, toutefois, s'ils espéraient déjeuner autant qu'ils commencent à prier.

Ruffus, avançait quelques mètres en retrait derrière Isendre. Il ne tenait pas à recevoir une flèche dans le dos si celui-ci venait à décocher un trait. Le visage fermé, imperturbable, rien ne laissait deviner son début d'agacement. Depuis ce matin qu'il s'était mit en route avec le jeune Rivers, ils n'avaient pas eu une proie, pourtant les occasions n'avaient pas manqués. Ruffus connaissait parfaitement ces bois, ils avaient repérés des traces, suivit des traces, débusquer du gibier mais celui-ci avait toujours été plus malin qu'eux jusqu'ici.
Bien-sûr, si le garde forestier c'était mit à tirer ses flêches, ils auraient déjà eu plusieurs proie, mais s'il était là en compagnie du bâtard de Lord Criston, c'était pour lui apprendre la chasse, pas à lui couper l'herbe sous le pied.
Puis, l'ambiance était lourde entre-eux. Depuis l'aube ils étaient ensemble et ils n'avaient pas décochés plus de quelques mots. Ruffus mettant peu d'enthousiasme à guider Isendre et Isendre légèrement rebuter par le silence et les réponses monosyllabique de Ruffus.
Le Lord lui avait demander de le mener chasser, pas de faire la conversation, après tout.

En effet, la veille, alors que Ruffus amenait un couple de faisan à la cuisine pour le souper du Seigneur, ce Seigneur même l'attrapa dans la cour du château et lui confia la tâche de mener son bâtard à la chasse. Ce même bâtard qui s'entraînait à l'arc sur des cibles mobiles sans grande habilité. Pour Ruffus, mieux valait qu'il reste à l'épée, mais il se devait d'exécuter la demande de son seigneur, du coup, il obéit avec une obéissance à toute épreuve.
Pourtant, cet tâche ne lui plaisait guère. Chasser en compagnie de toute la cour, ça allait, avec le Lord ça allait. Mais avec Isendre Rivers... Le problème, c'est que la Vipère avait ce garçon dans le collimateur et que Ruffus se doutait que tôt ou tard, elle lui demanderai de s'occuper de lui. Et il ne voulait pas se lier de quelques manières que ce soit avec une potentiel cible, c'était contre-productif.
Du coup, depuis ce matin, c'est dans un profond silence qu'il s'était emmuré et le jeune Isendre suivait.


Ruffus s'arrêta et poussa un léger sifflement qui fit se retourner Isendre. Il lui indiqua une direction d'un geste de la tête, le bruit faible d'un petit court d'eau. Sûrement que la biche qu'ils suivaient depuis presque une heure y avait trouvé refuge. Du moins, c'est ce que les traces qu'elle avait laissée semblait indiquer. Contre le vent, flèche encocher, ils s'approchèrent … Crac ! Une branche. Ruffus se redressa de toute sa taille et lâcha un trait qui finit dans la cuisse de la biche qui c'était mit en alerte au moment ou la branche s'était brisée.
Il se retourna vers Isendre, agacé.

« Excusez-moi, mais c'est la troisième fois que vous me faite le coup ce matin. Il serait appréciable de rentrer avec une proie tué par vos soins. »

Il sortit une nouvelle flèche de son carquois et se remit en route.

« Il est encore temps de la rattraper si on se dépêche. »

Ils devaient en effet penser au chemin de retour. Il ne voulait pas rentrer trop tard pour ne pas inquiéter Criston. Mais vu comme c'était parti, le trajet de retour se ferait vite et bredouille ! Et ça, ça le contrarié. D'ou le fait qu'il montre son agacement à Isendre. Avec un membre de la famille Desdaings il ne se serait pas permis d'employer ce ton, mais Isendre n'était pas un Desdaings et s'il le vouvoyez, il n'allait pas plus loin.

En tout cas, le maître ne c'était pas dit que s'ils ne faisant pas mouche, c'est que la faute ne venait pas forcément que de l'élève ...

An 298 • Dizième lune • Semaine 3 • Jour 1.
Dans la forêt, non loin de Beaumarché.

Il faisait plus frais à mesure qu'ils s'enfonçaient dans le bois. Ils étaient partis à l'aube, Criston ayant demandé à Ruffus d'accompagner son fils illégitime à la chasse pour tout lui apprendre de cet art. Ce dernier était d'ailleurs bien plus habile que le bâtard, qui se débrouillait mieux à l'épée qu'à l'arc. En effet, si il parvenait à toucher sans problème les cibles immobiles, il était bien moins doué sur les cibles mobiles.

Ils progressaient lentement en remontant le long de l'un des affluents du Trident. Bientôt, le soleil serait à son zénith, mais l'intensité de ses rayons ne parvenaient pourtant pas à percer l'épais feuillage des arbres. La forêt était assez sombre, et le sol terreux était percé de racines noueuses et parcouru de branches séchées. Pour ne pas alerter les proies, il fallait faire attention à ne pas poser ses pieds n'importe où. Le claquement de la semelle d'une chaussure dans une flaque d'eau, un pied qui se prend dans une racine sortant du sol ou le simple craquement d'un bout de bois sous le pied pouvaient mettre tous les sens d'un animal en alerte.

Depuis le début de la journée, ils n'avaient échangé que quelques mots. L'ambiance était lourde et pesante sur les épaules d'Isendre, qui s'efforçait de se montrer aussi discret, d'avoir un pied aussi léger, que celui de Ruffus. Mais il ne pouvait pas vraiment l'égaler, le garde forestier ayant bien plus l'habitude que lui de la chasse, et ayant aussi dix ans d'expérience en plus.
En combat à l'épée, le bâtard de Criston aurait peut-être pu le battre. Mais actuellement, il n'était armé que de son arc. Même s'il était moins doué -bien moins doué- que Ruffus, Isendre ne reculait pas, même si sa compagnie et son antipathie lui donnait froid dans le dos.

Le bâtard regardait où il mettait les pieds, les posant soigneusement l'un après l'autre sur le sol entièrement couvert d'épines de pin. L'avantage, sur ce genre de terrain, étant sans doute le fait qu'à moins de piétiner et de sauter à pieds joints sur le sol, on aurait aucun bruissement quelconque, bruit parasite qui aurait tôt fait de faire fuir la proie.

Un sifflement attira l'attention d'Isendre, qui leva la tête vers Ruffus, se tournant complètement vers lui. Un ruisseau semblait couler, au faible son qu'il produisait, et le garde forestier semblait penser que la biche qu'ils traquaient depuis un long moment s'y trouvait. Ils commencèrent à s'avancer dans la direction du cours d'eau, lorsqu'Isendre, qui regardait devant lui, posa malencontreusement son pied sur une petite branche sèche qui craqua sous son pied en se brisant en deux.
Le faible son alerta la biche, qui redressa la tête et s'apprêta à fuir. Ruffus se redressa, banda son arc et tira une flèche qui se planta dans la cuisse de l'animal, qui s'enfuit en boitant. Ruffus se tourna vivement vers Isendre. Celui-ci s'efforça de cacher sa honte du mieux qu'il put, bien qu'elle resta quelque peu apparente.

-On peut encore la rattraper, elle ne va pas aller loin avec une flèche dans la cuisse.

Le bâtard baissa les yeux pour regarder son arc, faisant mine de vérifier que la corde de l'arme était en bon état. En réalité, il n'osait pas vraiment regarder Ruffus en face. Déjà que celui-ci ne lui inspirait pas réellement confiance -il traînait un peu trop souvent avec la vipère qu'était Cerenna-, il était tellement froid et distant que cela ne lui inspirait rien de bon.
Il releva les yeux vers celui qui devait lui apprendre à chasser. L'ambiance était si tendue, si lourde, si pesante, qu'Isendre voulut y changer quelque chose. Il espérait que Ruffus accepterait aussi de parler un peu, car si le bâtard n'aimait que moyennement la chasse, il détestait les silences si gênants que celui qui s'était installé depuis le début de matinée entre ces deux là.

-Vous chassez depuis longtemps ?, improvisa-t-il.

Pourquoi fallait-il que ce soit un Rivers ? Pourquoi fallait-il que Criston ai foutu son dard ailleurs que dans sa femme légitime ? Et pourquoi cet même femme se montrait si cruelle ? Et pourquoi, lui-même se montrait-il si soumis à elle ?
Isendre n'était qu'un gars, jeune gars, qui n'avait rien demandé à personne, plutôt sympathique et il ramassait les pots cassés des conneries de son père. Il ne le savait pas, mais se promener seul avec Ruffus en pleine forêt, c'était une des choses les plus dangereuses qu'il ai fait dans sa vie.
Le garde-forestier n'avait pas prit la peine d'informer la Vipère de cet chasse. Sinon, il se serait vu dans délicate mission de le tuer et de le faire disparaître. Ce qui aurait été chose aisé. Puis lui-même ce serait volatilisé, loin, avec une coquette somme en poche. La Vipère était capable de ça. Mais le meurtre du jeune Isendre ne valait pas le coup de risquer sa vie et sa liberté.
Oh, la Dame de Beaumarché ne manquerait pas de lui faire savoir sa déception, mais elle comprendrait que la démarche aurait été dés plus maladroite. Il fallait être plus malin, plus discret. Et surtout n'éveiller aucun soupçon. Il avait déjà discuté de ça avec la Vipère et ils avaient convenu que le meilleur moment pour agir, serait quand Criston aurait mit les voiles de Beaumarché pour un tournoi, un mariage ou une guerre, éventuellement. Mais avant ça, c'était risqué.

La question du garçon le sortit de ses pensées. La chasse ? Depuis combien de temps ? Question qui méritait réflexion. Il posa son regard sur Isendre et se mit à compter, murmurant les chiffres en même temps qu'il les énumérait sur sa main. Il savait compter, mal, mais il savait. La notion de temps pour le petit peuple est quelque chose d'assez floues, avec des saisons qui duraient plusieurs années, puis beaucoup ne se souciaient pas de quel jour on était, à quoi cela servait donc.

« 10 à un an prés maintenant que je suis Garde-Forestier. Mais avant ça j'accompagnais notre Serigneur votre père dans ses chasses, soit pour rabattre le gibier, soit pour le porter. Quand nous étions jeunes, avec votre frère aîné, nous avons fait un nombre conséquent de chasse. C'est un sport dés plus honorable et c'est une des seule manière pour les hommes de faire couler le sang en dehors des guerres! »

Il ne fallait pas se leurrer, ce n'est pas pour déguster un sanglier ou un cerf que les seigneurs s'adonnaient à la chasse, c'était pour traquer le gibier et le tuer. Voir le sang couler, pour la sensation de victoire ! Ce n'était pas par intérêt culinaire mais par besoin bestiale qu'ils chassaient.
Ruffus aimait ça aussi, traquer le gibier. Plus que le tuer en fait. Repérer ses traces, les remonter, le trouver, s'approcher sans faire de bruit. C'était une sensation délicieuse que d'être le chasseur.

« Vous y prendrez goût avec le temps. D'ailleurs ça ne m'étonnerait pas que notre Seigneur organise sous peu une battue, cela fait longtemps qu'il n'est pas aller chasser et peut-être pour regarder aussi si vous avez progresé. En cet occasion , il serait souhaitable de faire meilleur figure qu'aujourd'hui. »

Et vlan, dans tes dents ! Sans un regard pour Isendre, il n'avait cessé d'avancer. Il tenait un bon rythme, sans courir pour autant, la biche était blessé, elle n'irait pas très loin, mais mieux valait se dépêcher. Les loups n'étaient pas chose rare dans le Conflans et il ne tenait pas à voir son gibier disparaître entre les crocs de l'un d'entre-eux. *

« Allez, hâte-toi ! Elle ne doit plus être très loin maintenant ! Passe devant, je te suis, légèrement à ta droite. La Bleufurque est devant nous, elle ne pourra pas traverser avec sa blessure, avec un peu de chance on arrivera à l'acculer. »

Et il reprit sa course silencieuse, trait encocher.

An 298 • Dizième lune • Semaine 3 • Jour 1.
Dans la forêt, non loin de Beaumarché.

Dix ans. C'était long, dix ans. Ruffus le lui avait dit après avoir compté sur ses doigts et à voix basse. Comme le temps passait vite. Dix ans plus tôt, l'âge d'Isendre se comptait tout juste sur les doigts d'une main. A cette époque, il était encore un petit garçon qui sentait le regard de la Vipère du Conflans dans son dos, constamment, y ressentant toute la haine du monde. Il avait cette impression de n'être qu'un rat tentant d'échapper à un quelconque rapace, quoiqu'il ne s'agit pas là d'un simple rapace mais de Cerenna ; elle était bien pire, bien plus mauvaise, bien plus horrible, et bien plus cruelle que tous les rapaces existants. Plus impitoyable, détestable. S'il y avait bien une chose qui effrayait le bâtard des Desdaings, c'était elle. Cette vipère qui s'était fondue dans le décor. Cet horrible vautour qui se faisait passer pour un cygne au plumage immaculé.

D'abord, Isendre crut que l'ambiance allait se détendre et qu'ils pourraient peut-être converser plus ou moins tranquillement tout en suivant la trace de la bête. Mais à peine cette pensée traversa-t-elle l'esprit du jeune bâtard que la tension retomba immédiatement, plus lourde et forte encore qu'avant, dès que le garde forestier lui lança une pique. Le fils de Criston lui jeta un regard noir, que Ruffus ne put que sentir dans son dos.
Seulement, Isendre devait se rendre à l'évidence : il n'était qu'un bâtard, ce qui ne suscitait en rien le respect des autres, et surtout pas celui d'un homme comme Ruffus. Ledit homme paraissait, aux yeux du jeune blond, n'être rien de plus qu'un pantin que contrôlait Cerenna, un idiot qui lui cirait les pompes comme si sa vie était en jeu. D'ailleurs, venant de son infâme belle-mère, Isendre n'aurait pas été étonné qu'elle ait menacé de mort celui qui avait été élevé avec Alessander.

Isendre serrait les dents, ne parvenant pas à digérer l'insulte de plus qu'il venait d'encaisser. Il était sûr que Ruffus se permettait de dire cela uniquement parce qu'il était le bâtard, et non le fils légitime de Criston. Il fronça les sourcils et laissa s'échapper de ses lèvres un soupir d'exaspération. Se redressant, et après un blanc d'une bonne dizaine de secondes, il siffla :

-Je ne suis peut-être qu'un bâtard, mais n'oublie pas que toi tu n'es rien du tout.

Il n'avait pas l'habitude de prêter attention aux nombreux regards biaiseux que l'on pouvait lui lancer ; après tout, lorsque l'on était un bâtard, il fallait être capable d'encaisser la moindre remarque, puisque celles-ci fusaient de toutes parts, de toutes personnes. Mais le fait que quelqu'un tel que Ruffus, dont la compagnie n'apportait que des frissons remontant du bas de son dos jusqu'à son échine comme des milliers de fourmis y courant, et parfois même de légères sueurs froides, se permette de le rabaisser ainsi... Il ne le concevait pas, et en perdait même les bonnes manières qu'il s'efforçait de tenir en toutes circonstances à Beaumarché. De toutes manières, Ruffus semblait être assez intelligent pour ne pas jouer à l'enfant et aller se plaindre à Lady Desdaings.

Isendre retrouva sa concentration et son attention le plus vite possible, puis il se remit en route. Le garde forestier ne l'avait pas vraiment attendu, et trottinait maintenant en toute discrétion quelques mètres devant le bâtard. Celui-ci l'observa et tenta d'adopter à peu près la même allure et la même posture ; peut-être serait-il ainsi plus discret et meilleur archer ?
Ruffus lui dit alors de passer devant. Bien qu'il ne s'agît pas d'une question, mais plus d'un ordre prononcé sur un ton dur et sec qui claqua dans l'air tel un fouet, Isendre obéit. Il aurait bien voulu lui dire qu'il n'avait pas d'ordre à recevoir d'un homme de basse naissance, mais qui était-il donc pour donner des leçons aux autres ? Il était un bâtard. Né de passion, mais illégitime.

Se penchant vers l'avant et faisant tant attention à l'endroit où ses pieds se posaient simultanément qu'à la direction qu'il empruntait, il arriva bien vite au bord de la Bleufurque. L'eau limpide s'écoulait lentement dans un bruit léger qui fit se perdre Isendre. Il releva les yeux, le souffle court. La biche se trouvait là, deux mètres en amont. Le bâtard banda son arc et tira. Enfin, il toucha l'animal au flanc. Un nuage de poussière et de tourbe s'éleva autour du cadavre qui s'écroulait.