Le soleil déclinait lentement à l'horizon ; encore une heure ou deux et il serait couché. Il allait être temps de faire une halte pour la nuit, et Ades Overton n'aimait pas cela. Il n'aimait pas cela car il entendait d'ici le doux bruit de la Verfurque qui s'écoulait. Il n'aimait pas cela, car au loin, il pouvait déjà apercevoir deux tours jumelles, éclairées par la lumière orangée du soleil. Les Jumeaux, le siège de la Maison Frey. Un passage presque obligé pour quelqu'un qui descendait vers le Sud sans prendre la Route Royale, et puisque les Frey détenaient ce pont depuis toujours, ils avaient toujours fait valoir leur droit sur le passage. Jusque là, Ades s'était toujours arrangé pour contourner l'endroit, quitte à perdre du temps et à ne pas visiter certaines régions du Conflans. Mais ce jour-là, il n'avait pas le choix, d'autant que le jour déclinait, il allait devoir demander l'asile en plus du passage. Il ne s'inquiétait pas vraiment de savoir si Walder Frey, il s'inquiétait plutôt du prix à payer pour se faire.

- Je vous sens un peu grincheux, entendit-il dans son dos.

Sans se retourner, le jeune homme fit ralentir son cheval, permettant à son garde du corps de venir se poster à ses côtés. L'immense fer-né était plutôt souriant vu la situation.

- La perspective de discuter avec le Tardif, je suppose ?

Ades se permit un petit sourire, il avait presque oublié ce surnom. Que Frey avait gagné en arrivant au Trident après que la bataille se soit terminé. La Rébellion de Robert avait changée la donne un peu partout dans les Sept Couronnes, faisant gagner ou perdre en réputation certaines maisons. Aussi prudente qu'ait été l'attitude de Walder Frey, elle ne lui avait pas permis de se faire respecter, et il était souvent la source de moquerie, particulièrement des soldats comme Vasgard, son garde du corps, qui lui avait participé à cette guerre. Néanmoins, il ne fallait surtout pas oublier que la maison Frey était l'une des plus importantes du Conflans, et Ades ne pouvait pas se permettre de faire son malin face à un homme tel que Walder Frey.

- Allons, Vasgard, je suis sûr que ce sera très enrichissant. Du moment que tu n'évoques pas ce retard trop fort.
- J'espère que vous avez de quoi payez, parce qu'il ne vous laissera pas simplement passer la nuit ici.
- Ne t'en fais pas pour ça.

L'avantage d'être issu d'une famille aussi mineure que la sienne, c'est qu'il ne risquait pas de recevoir de propositions de mariage ou d'alliances par le vieux Walder. Aussi ancienne que soit la famille Overton, elle n'ait plus guère connue en dehors du Nord.

Sans rien ajouter, le jeune homme fit accélérer sa jument, préparant déjà les mots qu'il allait servir à son hôte, il s'agirait de faire bien attention à ce qu'il allait dire.

C'est donc un jeune homme tout ce qu'il y avait de plus humble et poli qui se présenta aux Jumeaux, accompagné d'une suite très réduite, du genre que seul les plus petites maisons nobles possédaient. Il surprit quelques personnes, comme toujours, quand ce petit homme était descendu de son cheval pour se diriger en boitillant vers ceux qui le recevaient. A un âge pareil, il semblait inconcevable que le jeune Overton soit déjà forcé de se déplacer avec une canne. Mais un observateur attentif noterait que la vitesse et le grâce de ses mouvements indiquaient qu'il avait l'habitude, ce devait être de naissance. Il s'adressa d'abord aux fils de Lord Frey, avant de rencontrer le maître des lieux en personne, mais il parla de la même façon à chacun d'entre eux.

Il n'y eut pas réellement de négociation ; Frey n'avait rien à obtenir de lui. Il se contenta donc de promettre qu'il repartirait dès le lendemain et qu'il s'acquitterait du prix du passage. Ses soldats devraient également se nourrir des vivres apportés avec lui, mais Ades aurait le droit de partager la table du Lord, en tant qu'invité. La politesse élémentaire, à laquelle même Walder se soumettait. Le jeune homme tenta d'insister quelques secondes, avant d'abandonner l'idée que son garde du corps puisse dîner avec lui. Il se retrouva donc seul dans la salle des Jumeaux, et particulièrement surpris de la taille de la tablée.

Chez lui, une telle tablée n'était organisée que lorsqu'on fêtait un événement particulier et qu'une bonne partie du domaine était présent. Ici, il s'agissait simplement de la famille très, très, très nombreuse de Lord Walder. L'homme avait été après tout marié sept fois, et bientôt huit à ce qu'on dsiait, et il devait avoir une vingtaine d'enfant. Bien sûr, Ades en avait déjà entendu parler, mais le voir de ses yeux, c'était tout autre chose. Son regard vairon, une pupille bleue, l'autre blanche, fouillait toute la salle, tentant de mettre un nom sur chaque visage qu'il croisait. Lui qui se vantait de connaître une bonne partie des membres de la noblesse de Westeros, il était aujourd'hui mis à rude épreuve.

Lorsqu'on proposa de lui servir du vin, il ne remplit la coupe qu'à moitié, la complétant avec de l'eau, avant de la lever en direction du vieux Lord, installé à quelques chaises de cela, entouré de ses fils et héritier.

- A Lord Walder, pour son hospitalité, et à son prochain anniversaire, et mariage. Qu'il soit aussi fructueux que les précédents pour vous et votre famille.

Le ton avait été des plus respectueux, et le jeune homme souriait très sincèrement à son vieil hôte et à ses fils, avant de boire quelques gorgées de son vin. Finalement, il avait peut-être eu tort de tenter d'éviter les Jumeaux, il était toujours utile d'avoir quelques connaissances dans tous les Royaumes.

Argyne !!!

Me tournant vers la voix de la fillette, je me retrouvai face à ma petite sœur et deux ou trois autres fillettes, filles de mes ainés. Les gamines tenaient quelques habits trop grands pour elles et me lançaient des regards implorants. Il ne fallait pas être devin pour savoir ce qu’elles voulaient.

Il va falloir que tu apprennes à te débrouiller toute seule Shorei et toi aussi Tysane. A votre âge, je savais déjà faire cela.

Les deux filles se regardèrent en tirant une grimace. Agées d’une huitaine d’année, elles avaient toujours compté sur Roslin et moi pour les aider mais à l’âge où nous arrivions, nous commencions à avoir d’autres occupations. Ma sœur était justement actuellement en voyage avec quelqu’un de mes frères, surement pour lui trouver un époux d’un milieu et d’un rang qui pourrait plaire à père. Roslin n’avait guère été heureuse de partir et j’aurais tout donné pour prendre sa place. Même si j’étais plus discrète et plus timide que la plupart de mes sœurs, j’étais avide de connaissance et ce n’était pas en restant enfermée aux Jumeaux que j’en apprendrais plus.

Les quelques heures suivantes passèrent en explications de quelques menus travaux pour ma sœur et ma nièce alors que deux autres fillettes, trop jeunes pour apprendre, nous regardaient avec attention. De mon côté j’arrangeais les robes des gamines tout en pensant qu’il faudrait que je prévois de m’en refaire une pour moi-même. Coudre et broder étaient mes passe-temps préférés. Peut-être parce qu’ils me permettaient de rester tranquillement dans un coin, bien discrète à l’abri des regards ou peut-être parce que ça convenait très bien à mon caractère. Je ne cherchais pas vraiment à savoir, j’aimais ça et je l’apprenais aux plus jeunes pour qu’à leur tour, elles puissent se débrouiller.


Nous avions un invité ce soir. Un de ces nobles qui demandait l’hospitalité avant de continuer son voyage vers une quelconque destination. J’aurais aimé pouvoir discuter avec lui, qu’il me raconte ses voyages, ce qu’il avait vu, ce qu’il avait fait mais j’étais bien trop timide pour ça et bien trop bien élevée quoiqu’on puisse dire de la famille Frey.

Mon père avait accepté qu’il partage notre table à la seule condition qu’il apporte lui-même son repas. Je trouvais ça un peu bizarre si on offrait l’hospitalité mais le Lord avait toujours été comme ça. S’il n’avait rien à y gagner, il préférait refuser un accord. Sans bénéfice, sans récompense, ce n’était pas intéressant d’après lui. Je n’étais pas trop d’accord … Oh je n’avais rien à dire, je n’étais qu’une femme mais il me semblait qu’être un minimum sympathique pouvait nous permettre de tirer bénéfice au moins d’une future amitié, voir d’un partenariat pour le futur si besoin en étant. Mais jamais je ne dirais ça à quelqu’un, j’étais une femme et je n’avais pas mon mot à dire.

La tablée de la famille Frey … C’était limite si elle ne s’agrandissait pas de jour en jour. Les enfants avaient mangés dans une autres salle mais rien que les plus âgés, cela faisait une bonne tablée si on comptait les fils et les filles du Lord plus les femmes des fils et les petits-enfants ayant plus de quinze ans. J’étais la plus jeune enfant du Lord ici présente. J’étais la seule enfant de sa septième femme à être présente, les autres étant trop jeunes pour figurer ici.

A Lord Walder, pour son hospitalité, et à son prochain anniversaire, et mariage. Qu'il soit aussi fructueux que les précédents pour vous et votre famille.

Un léger sourire passa rapidement sur mes lèvres en entendant la phrase de l’invité. A chaque fois que nous avions quelqu’un, c’était une phrase dans ce genre là qui était sortie. Une phrase laissant à croire que la personne désirait une alliance ou du moins à rester dans les bons souvenirs de mon père. Mais encore une fois, je n’y croyais pas. C’était facile à voir vu le peu de visite que nous avions. Juste des gens de passage qui souhaitaient un toit pour la nuit, rarement plus que ça.

Je vous remercie et vous souhaite une famille aussi belle et grande que la mienne.

Mon père leva son verre à son tour et adressa un grand sourire à l’invité. Mes frères firent de même alors que je me risquais à jeter un regard vers l’homme. Il n’était guère plus vieux que moi et se promenait déjà avec une canne. C’était surprenant pour un homme de naissance plutôt noble et j’avais du faire taire ma petite sœur qui avait faillit poser la question à voix haute. C’était curieux un enfant et ma sœur n’était pas la dernière à se taire malheureusement pour moi. Elle était imbue de sa personne comme beaucoup des enfants Frey et bien que j’essaie de lui apprendre le respect comme j’en venais à souhaiter que ma mère l’aurait voulu, je n’avais guère de résultat.

Le repas fut silencieux. Surement trop alors que nous avions un invité mais père détestait le bruit quand il mangeait. Seul le bruit des couverts et des verres se faisaient entendre dans le silence de la pièce. Un repas pour le moins maussade et qui ne donnait pas envie d’y revenir. Encore une … erreur de mon paternel. Je ne devrais pas penser ainsi … Si quelqu’un parvenait à lire mes pensées, je serais pendue par mon père immédiatement et je ne désirais pas mourir. Du moins pas avant d’être très vieille et d’avoir vu plus que les murs d’un seul château.

Bientôt le repas toucha à sa fin. S’essuyant la bouche, le Lord leva la tête et regarda son invité avant de jeter sa serviette sur la table et de se lever, les deux mains posées à plat sur la table. Tous les regards étaient sur lui, attendant qu’il parle et que nous puissions en suite à notre tour quitter la table. C’était au Lord de partir le premier, du moins c’était toujours ainsi que ça c’était passé et qu’il y ait un invité n’y changerait rien.

Des affaires importantes requièrent ma présence. Ma fille Argyne va vous conduire à votre chambre. Je vous souhaite une bonne fin de soirée et une bonne nuit.

Quittant la salle, mes frères se levèrent pour le suivre tandis que les femmes partaient de leurs côtés. Légèrement surprise de la demande de mon père, je me levai doucement et lissa ma robe terne avant de m’avancer vers l’homme. M’inclinant avec respect, je levai la tête et osa croiser son regard des plus particulier.

Veuillez me suivre, je vais vous montrer le chemin.

Il n’était pas difficile de savoir où le mener, nous avions toujours plusieurs chambres de prêtes dans l’aile la plus éloignée du château, là où la famille Frey n’allait que rarement. Un moyen de permettre aux invités de se sentir au calme et surtout aux filles Frey de ne pas être tenter d’aller se promener la nuit par là-bas.

Walder Frey avait répondu le plus poliment du monde, malgré tout ce qu'on disait de lui, il était encore capable de respecter les convenances élémentaires. Et pour son âge, ce n'était déjà pas si mal. Le repas aurait donc pu sembler bien parti, mais le jeune homme déchanta vite. Non pas que ce fut désagréable mais il n'avait jamais vu une aussi grande tablée dîner dan une telle ambiance. On n'entendait que les couverts et quelques bruits de mastication. En tant qu'invité, le jeune homme ne pouvait pas se permettre de prendre la parole inconsciemment pour briser le silence. Il s'était donc contenté de manger en silence, comme tous les autres, jusqu'à ce que son hôte se décide à clore le dîner.

Ades le remercia chaleureusement de son hospitalité et attendit qu'une bonne partie de ses fils se soient levés pour quitter la table à son tour ; il respectait ainsi l'ordre hiérarchique. La salle se vida étrangement rapidement aux yeux d'Ades, personne ici ne semblait curieux de quoi que ce soit ; ils obéissaient sans faillir à leur vieux Lord de père, ou de grand-père, ou même d'arrière grand-père. Son regard vairon avisa tout de même une jeune fille qui avançait vers lui ; sans doute celle dont Lord Walder avait parlé. Il l'observa du regard un moment. Sa robe terne contrastait avec sa chevelure rousse, et elle gardait ostensiblement les yeux vers le sol. Une jeune fille sans doute, pas plus de seize ans, aurait-il dit. Mais il était très mauvais pour juger sur la taille ; lui-même était bien petit pour un homme de son âge.

En s'arrêtant face à lui, elle fit une révérence poli avant d'enfin tourner son regard vers lui pour lui annoncer qu'il devrait la suivre. Ades répondit par un sourire doux, s'inclinant alors bien bas avant de relever son regard vairon ver elle, sa voix se faisant légèrement amusée.

- Je vous suis, Mademoiselle. A condition que vous n'alliez pas trop vite.

Il avait pris l'habitude depuis longtemps de plaisanter à propos de sa jambe ; les gens se sentaient parfois mal à l'aise face à un handicapé. Une attitude comme la sienne aidait parfois à calmer le jeu, et à rendre les gens un peu plus confiants.

Le jeune homme emboîta donc le pas de la fille de son hôte, il marchait bien évidemment lentement, la jambe déjà fatiguée par la chevauchée de la journée. Cependant, il démontrait qu'il avait l'habitude de cette canne, se déplaçant sans heurts ni fracas, avec même une certaine grâce, sa canne frappant le sol avec un rythme bien particulier et constant. Il englobait les couloirs qu'il traversait d'un regard curieux mais empreint de respect. Enfin, il se concentra de nouveau sur sa guide improvisée, se remémorant son nom, il demanda doucement.

- Vous êtes donc la fille de Dame Farring ? Pardonnez-moi, je m'y perds un peu parfois, votre famille est si nombreuse.

Il n'y avait pas trace de moquerie ou de jugement dans la voix du jeune homme, simplement de la curiosité, et une volonté de meubler un peu leur marche.