En se glissant dans le baquet d'eau tiède, Ros poussa un petit soupir de soulagement.
Enfin, elle était arrivée. Le si long trajet et ses expédients seraient bientôt loin, et sous peu, Port-Real, tout comme Winterfell en son temps, serait à ses pieds. Elle posa la main sur le médaillon d'or qui avait réintégré sa gorge, son porte-bonheur, qui lui avait fait saisir à qu'il fallait qu'elle parte, qu'elle était née pour... plus de choses qu'un village, fut-il celui des Stark.
La rouquine commença à étriller sa peau grâce aux brosses mises à disposition. L'eau devint vite crasseuse, et elle plissa le nez de dégoût. La peste soit des voyages ! La fille qui se baignait dans l'autre bain lui montra comment vider la cuve, où aller chercher de l'eau, et comment la remplir à nouveau, et Ros passa à la seconde couche. Ensuite, il y aurait les cheveux. Vérifier qu'elle n'avait pas de bêtes dedans. En bas, pas possible, elle coupait court, mais les cheveux... Vu la longueur qu'elle avait, c'était un calvaire en cas d'invasion. La même fille -bien accommodante- lui fournit le vinaigre blanc pour se laver la tignasse. Ros renifla le liquide discrètement : dans les bordels, les filles entre elles n'étaient pas tendres. Et elle tenait à être au mieux de sa forme pour rencontrer le patron. Pas à avoir entre temps perdu ses cheveux par poignées, ou autres trucs sympas. Mais... non, le vinaigre sentait le vinaigre, et Ros l'utilisa généreusement. Propre, elle commençait à se sentir mieux. Sans doute l'effet du soleil, aussi. Elle sortit de la cuve, la vida et, nue avec un turban sur la tête, alla s'asseoir dans un angle ensoleillé de la courette, surveillant distraitement le spectacle des autres putains et de leurs petits.
Tout le monde semblait propre et bien nourri. Quelques traces de coups sur certaines filles, mais rien de plus méchant que ce qu'elle même avait déjà eu à subir. Boooon. Voilà qui s'annonçait sous les meilleurs auspices. La vie semblait douce, ici. Et Ros aspirait à profiter autant que possible de cette douceur.

La jeune femme se pencha sur ses jambes... elle ne s'était rien esquinté pendant le voyage, et c'était un vrai miracle, entre toutes les emmerdes qu'elle avait eues. ... Bon, il y avait AUSSI eu de bons moments mais... quand même. Elle posa ensuite un regard critique sur ses seins. Elle avait maigri, en route, et se demandait si son meilleur atout n'avait pas morflé dans l'action. Mmmmmh... Non. Parfaitement opérationnels.

Un bruissement dans l'air lui apprit que le "patron" venait d'arriver, une sorte d'agitation qu'elle avait appris à reconnaitre. Nonchalamment, elle se leva, ôta la serviette retenant ses boucles rousses, et prit une pose "naturelle" pour se les sécher. Les deux premières secondes sont très importantes dans une relation.

Oui oui, même une relation proxénète / prostituée, absolument.

"Bonjour, my Lord."

Petyr adresse un sourire distrait à la sous-maîtresse et lui pince la joue sans s'arrêter, filant droit vers l'étage qui lui est réservé. Il a toujours préféré travailler ici, au Royaume des Fleurs, plutôt que dans son bureau austère du Donjon Rouge. C'est son bordel le plus ancien, et c'est aussi le plus haut de gamme. Non qu'il s'y sente plus en sécurité qu'ailleurs : ce serait naïf. Mais la compagnie des filles lui est infiniment plus agréable que celle des courtisans.

La sous-maîtresse lui emboîte le pas et lui donne les nouvelles de l'établissement sans qu'il ait à le lui demander. A quarante ans, elle n'a guère perdu de ses charmes et il lui arrive encore de faire une passe ou deux ; mais surtout, elle a oublié d'être idiote. Elle ira loin... si Littlefinger ne lui trouve pas une remplaçante plus douée d'ici là.

"... Et nous avons une candidate, my Lord.
- Encore ? Du potentiel ?
- Oui, my Lord. Une rousse du Nord, très beaux seins, beau sourire.
- Bon... Fais-la monter."

Petyr va directement à la fenêtre en entrant dans ses appartements et jette un œil dans la cour intérieure. Il n'a guère de peine à repérer la nouvelle dont les cheveux font presque mal aux yeux, et rend hommage - intérieurement - au jugement de sa sous-maquerelle. Un peu maigre, peut-être...

Il est assis à son bureau, en train de vérifier les comptes de la maison, quand l'aspirante fait son entrée. Nue comme au jour de sa naissance, ainsi qu'il est d'usage.

"Entrez, ma chère, entrez", fait-il sans relever le nez de son ouvrage.

Il prend le temps de vérifier toute une page de chiffres avant de considérer la Nordienne.

"Tournez-vous ?"

Moui... L'envers vaut l'endroit. Il faudra cependant la remplumer un peu. Petyr se lève, tend la main vers les lèvres de la fille, les écarte et lui inspecte les dents en détail. Parfait. Fortes, blanches et bien alignées. A ce moment seulement, il lui adresse un sourire tendre.

"Je suis Lord Petyr Baelish, patron de cet établissement. Inutile de me donner ton nom, je vais l'oublier."

Cela échappera peut-être à la grue, mais le passage au tutoiement est plutôt bon signe. Sans transition, Petyr traverse la pièce à grandes enjambées et s'abat sur le grand lit à baldaquin qui occupe un pan de mur. Passant une main sous sa nuque, il fait signe à la jeune femme de s'approcher, affichant l'agacement de qui n'a pas que ça à faire.

"Allons, ma chère. Montre ce que tu sais faire."

Ses cheveux étaient presque secs quand la sous-maîtresse est venue la chercher. Ros en était arrivée à se dire qu'elle avait raté l'examen de passage, sans même savoir qu'elle l'avait passé. ... Apparemment, non. La femme lui fit monter un escalier, toque à une porte et la pousse à l'intérieur. Là, il y a un homme, assis à un bureau, qui affecte de ne pas la regarder, ce qui est presque vexant. Mais, habituée qu'elle l'est à ce type de jeux, Ros ne bouge pas d'un pouce, utilisant ce temps pour détailler son hypothétique employeur : la trentaine, des traits acérés, des tempes grisonnantes, une barbe courte. Très soigné. Bon, en même temps, vu la réputation de ce bordel, il semblait évident que le maquereau ne pouvait qu'être propre et tout... Mais là, il semblait évident qu'on tapait dans le Lord. Ros sentit son cœur se mettre à cogner dans sa poitrine : il fallait qu'elle intègre cet endroit, absolument ! Elle s'efforce cependant à un calme de façade quand il relève ses yeux verts vers lui, esquisse un demi sourire.

"Tournez-vous ?"

Elle s'exécute. Elle a un peu perdu de ce côté là aussi. Pas qu'elle ait jamais été grosse, mais elle sait qu'elle a d'habitude "tout ce qu'il faut pour remplir la main d'un honnête homme", et que là, elle l'a plus. Elle l'entend qui se lève et vient vers elle lui ouvre la bouche impatiemment, observant ses dents. Il y a rien à dire de ce côté là, en tous cas : elle en prend grand soin. ... C'est à ce moment là seulement qu'il lui dédie un sourire qui paraitrait presque sincère, avant de se présenter et de se diriger rapidement vers un lit où il s'allonge. Ros en reste bouche bée : on est carrément dans du Lord, en fait. Ce nom-là lui est pas inconnu, toute nouvelle arrivante qu'elle soit.

"Allons, ma chère. Montre ce que tu sais faire."

Merde. Faire attendre la patron pendant un entretien, voilà qui est con, par contre. La jeune femme s'avance vers l'homme en le fixant d'un regard plein de promesses, ondulante. Arrivée au pied du lit, elle y grimpe lentement, à quatre pattes, et enjambe le corps allongé. Voyons. Il est pressé. Mais veut un exemple de ses talents... ... Bien sûr !
Ros fait un adorable sourire à Lord Petyr, avant de poser fugitivement ses lèvres dans son cou et de se laisser glisser le long de celui-ci, ses mains s'activant à défaire le cordon des chausses de celui-ci. Autant aller droit au but quand on dispose de peu de temps.
La fermeture s'avérant récalcitrante, la jeune femme entreprend de faire patienter son "client" en embrassant la portion de chair découverte sous son nombril mais, sachant que cela ne suffirait pas à produire une bonne impression, elle pousse un soupir de soulagement quand le nœud cède.

Allez. On est parti pour le grand oral.

Avec un léger soupir, Littlefinger referme ses chausses et se redresse, puis tend obligeamment son mouchoir à la fille pour qu'elle se nettoie les lèvres. Tout en lui adressant un sourire machinal, il fait le bilan. Bonne technique - mais ça, c'est un minimum. Plus rare, elle ne bâcle pas : son objectif était clairement de faire durer le plaisir plutôt que d'expédier la corvée. Traitement spécial pour le patron ou conscience professionnelle ? Ça reste à voir.

Alerte, il saute sur ses pieds et va tirer un cordon de sonnette avant de retourner s'asseoir à son bureau et de se mettre à griffonner sur un parchemin.

"Tu es engagée. Tu commences à trois cerfs d'argent la passe, dont un pour toi. Les pourboires et les cadeaux sont à toi aussi. Si tu es très demandée, tu deviendras plus chère et ta part augmentera. Ici, j'ai des filles à deux lunes d'argent la passe dont une pour elles, par exemple*.

En revanche, si tu ne donnes pas satisfaction, tu seras rétrogradée dans un de mes bordels moins raffinés."

Il relève les yeux et ajoute avec un sourire torve :

"Oh. Et ce médaillon Lannister est évidemment splendide, mais je te demanderai de ne pas le porter ici. Il pourrait contrarier certains clients."

La sous-maîtresse fait son entrée, l'air interrogatif ; Littlefinger la désigne de sa plume.

"Shara t'expliquera le reste. Tu commences ce soir. Ah, Shara ? Elle est trop maigre. Veille à ce qu'elle mange beaucoup."

Le petit homme se désintéresse alors totalement de sa nouvelle recrue ; la sous-maîtresse fait signe à Ros de la suivre et referme doucement la porte derrière elles avant de guider la nouvelle venue dans l'escalier, puis dans un dédale de couloirs. Tout en cheminant, elle explique :

"Tu auras ta chambre ; la nourriture et les tenues sont à notre charge. Tu as le droit de sortir en journée si tu mets une robe décente. Ne refuse jamais rien à un client, mais s'il te bat trop fort, n'hésite pas à hurler : nous avons un bon service d'ordre. Voici la salle à manger... Ici, tu as la pièce de réception. Tu verras ce soir, il y a des musiciens, c'est très chic. Par là, les cuisines et la buanderie, rien dont tu aies à te soucier. Tu connais déjà la cour... Il y a aussi une salle de bain pour l'hiver. Ici."

Un escalier et un couloir plus tard :

"Et voici ta chambre. Les draps sont changés tous les jours. As-tu des questions ?"
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* On est nettement dans la prostitution de haut vol avec ces tarifs. Le tout-venant est à quelques étoiles de cuivre (A Game of Thrones, chap. 25)

Trois cerfs d'argent ? La mâchoire de Ros manque se décrocher. Et un pour elle ? Tout ça ? ... Et peut être un jour deux lunes d'argent ? DEUX LUNES D'ARGENT ? Bon sang. Il lui aurait fallu un temps... infini pour arriver à ce montant, à Winterfell. Elle a bien fait de faire la totale à son patron, pas une pipe bâclée comme elle aurait sans doute pu. Mais... elle a son honneur, la rouquine : il faut toujours faire son boulot de son mieux. Surtout celui-là. Elle a un peu de mal à ne pas exprimer sa joie devant Lord Baelish, mais ce serait une mauvaise idée, elle le pressent : il est déjà passé à autre chose. Et ôter le médaillon Lannister, pour ce prix, ne lui pose aucun problème. Quand elle sera au point dans les arcanes de la politique, elle saura qui ça excite et qui ça agace, et ne le sortira qu'avec ceux qui aiment. Après une profonde révérence qu'il ne regarde pas -ou peut être que si, allez savoir- elle suit Shara d'un pas rapide. En passant près des cuisines, la jeune femme salive : il en émane déjà une odeur délectable, et elle est sensée se faire gaver... Tous les plaisirs des sens à sa disposition. En fait, c'est elle qui devrait payer pour travailler ici...

Les conditions sont similaires à celles de pas mal de bordels mais... tout à fait renversantes en les adaptant au prix qu'on va payer pour elle. Pour un peu, elle se sentirait comme une princesse de pouvoir vivre ici. ... La princesse des putes. Cette idée lui arrache un ricanement amusé. Tout en devisant, elles arrivent à sa chambre, laquelle est plus grande que toutes celles que Ros a pu jusqu'ici connaitre, avec un lit immense, des fenêtres à tous petits carreaux, une malle, une armoire... Le luxe, encore une fois. La rouquine ne peut empêcher son visage de devenir extatique, ce qui fait sourire la sous-maitresse.

- Oh bon saaang... ... Oui, juste une, en fait : où dois-je me rendre pour trouver de quoi m'habiller ?

En écoutant distraitement la réponse de la sous-maitresse, la jeune femme va jusqu'à la fenêtre, observant en se mordant la lèvre les rues et toits de la ville royale, où c'est certain, elle fera carrière. Elle murmure :

- A nous deux, Port-Real !

Shara sourit, amusée et presque attendrie, comme si elle se revoyait des années plus tôt.

- Je vais te montrer. Par ici.

Elle guide à nouveau la nouvelle recrue le long des couloirs, sans changer d'étage, et ouvre une porte à claire-voie puis laisse Ros entrer et se remplir les yeux.

La pièce a la taille d'une chambre ; les murs sont recouverts d'armoires sans portes et de divers présentoirs où sont soigneusement alignées des tenues. Pas exactement le genre décent, on s'en doute, mais toutes les façons possibles de rehausser la nudité d'une femme sont disponibles : soies translucides, bijoux de corps, sous-vêtements à froufrous côtoient des déguisements sans doute destinés à des jeux de rôle polissons : armures de guerrière ne laissant guère de place à l'imagination, robes de jeune fille en fleur ou de princesse beaucoup plus décolletées que les originales, masques ornementés à l'imitation de ceux des courtisanes de Braavos. Le tout, soigneusement nettoyé, amidonné, repassé ou briqué.

Restée à la porte, Shara commente sur un ton amical :

- Je te conseille de porter du vert, ça mettra en valeur tes cheveux.

La sous-maîtresse elle-même, probablement originaire de Dorne vu sa peau hâlée, ses yeux de biche et sa tignasse d'encre à peine marquée de fils blancs, semble avoir une couleur de prédilection : le long pagne et le corset qui composent sa tenue déploient toutes les nuances du turquoise.