Sereneï ☸ Talla

Talla admirait toutes ces belles demoiselles de la cour, toujours bien habillées, toujours belles et séduisantes, pleines d’esprit et contrairement à elle, leur culture n’était pas un frein à leur charme, ni même une façon de compenser. Elle, elle n’arrivait pas à passer outre sa timidité et sa pudeur pour oser des robes un peu plus colorées et osées comme celle de Lady Margaery. De toute façon à quoi bon montrer un corps qu’elle jugeait grossier voir laid à force que son père lui répète qu’elle n’avait vraiment rien pour elle, se disait-elle. De plus, elle était arrivée à Hautjardin quelques lunes auparavant en arborant comme à son habitude un voile qui couvrait ses cheveux et son cou et elle n’était pas encore tout à fait prête à s’en débarrasser même si elle se sentait bien ici, un peu différente, plus à l’aise simplement. Elle ressentait toujours le besoin de se cacher entièrement même si, ici, personne ne lui disait combien elle était disgracieuse, cela n’empêchait pas qu’elle l’était, mais on ne le lui rappelait pas, tout comme son célibat, à chaque détours de couloir ou à chaque repas. L’image qu’elle avait d’elle-même mettrait longtemps à laisser place à la vérité, en cause, des années de brimades, d’insultes et de coups qui l’avait enfoncée dans un dégout d’elle-même. D’autant qu’elle faisait tout pour cacher cette vérité et que sa maladresse et sa timidité n’arrangeait rien et ne laissait pas voir sa beauté intérieur ni extérieure si facilement.

Parmi les suivantes de la dernière-née de Mace Tyrell, Talla avait déjà eu l’occasion d’apercevoir Sereneï et même d’échanger quelques mots avec elle, mais rien de bien profond jusqu’ici, seulement quelques courbettes et politesses. Elle la trouvait très belle et tout à fit agréable même si elle était à mille lieues de soupçonner et de comprendre son petit jeu tant il était au-delà de ses propres habitudes et de ce qu’elle était capable de concevoir. Ca n’était en rien de la bêtise, juste une forme de naïveté. Son cœur et son âme étaient trop purs pour lui laisser entrevoir certaines perversions de ce monde alors qu’elle l’appréhendait généralement bien dans son ensemble. Si elle pouvait comprendre aisément les grandes lignes de l’histoire, elle ne voyait pas toujours ce qui se passait à quelques pouces d’elle, elle ne voyait alors que la gentillesse et l’esthétisme d’une jeune femme rompue à l’exercice des apparences. Et pourtant elle comprenait très bien les piques dont Olenna était capable, mais si elle appréciait beaucoup la Reine des épines, elle la trouvait souvent très dure avec ceux qui l’entouraient.

Talla entendit son nom et leva les yeux du livre qu’elle lisait tout en regardant les plantes alentours pour faire des comparaisons et apprendre de quoi il s’agissait, elle trouva la fameuse Myrienne qui lui faisait une révérence. Gênée par ce geste qu’elle trouva un peu trop respectueux d’une suivante de Lady Margaery à une autre et pensait innocemment être dû à son nom plutôt fameux dans le Bief, elle se leva et lui fit une petite révérence à son tour en articulant tant bien que mal :

__ Bonjour lady Sereneï Wythers, vous ne me dérangez pas le moins du monde. »

La grande brune referma son livre et sourit à la nouvelle venue avant de lui emboiter le pas en se demandant ce que pouvait bien lui vouloir Lady Olenna avec qui elle n’avait pas encore eut l’occasion de discuter en tête à tête.

__ Dame Olenna n’attend pas, et puis j’aurais tout le temps de m’y attarder une autre fois. »

A côté de Serenei qui marchait d’un pas gracieux et léger, Talla avait l’air d’une jument poulinière mal dégrossie, pas au point de bouger comme un homme ou une roturière, elle avait appris à se tenir droit tout du moins, mais aucune once de sensualité ou de séduction ne se dégageait d’elle.

__ La Maison Tyrell nous gâte avec ces magnifiques jardins et la douceur de vivre qui règne ici, n’est-ce pas. Sans compter que la compagnie de Lady Margaery, Dame Olenna ou encore Willos et ses frères est des plus agréable et enrichissante. »

Talla cala son livre sur sa hanche et accepta le bras de Sereneï avec un sourire plein d’humanité et de reconnaissance, en effet, elle se sentait importante et traitée comme une véritable Lady, ce qui était fort agréable, une fois la gêne passée. Elle n’avait pas l’habitude car à Corcolline, ça n’était pas souvent le cas, voir jamais, et jamais avec autant de gentillesse et de sollicitude. Mais il était vrai que depuis qu’elle était à Hautjardin, personne ne la traitait autrement, mais elle avait moins de mal à se détendre et à l’accepter avec une femme qu’avec un homme, surtout Willos qui l’intimidait beaucoup. Elles commencèrent à marcher et à discuter des jardins. La remarque de la Myrienne fit rire la grande brune sans qu’elle ne comprenne très bien la signification du coup d’œil de son accompagnatrice.

__ Avec plaisir Dame Sereneï. Il est vrai que je n’ose point m’aventure trop avant car je ne les connais pas très bien, alors s’il vous plait de m’y guider, je me ferais une joie de m’y balader avec vous. »

Sereneï se proposait certainement par pure bonté d’âme et envie de se lier d’amitié avec Talla. En tout cas cette dernière en avait bien envie, elle venait juste d’arriver et avait encore du mal à se faire une place parmi toutes les beautés qui entouraient la jeune rose.

__ La douceur et la beauté des roses d’or avec l’intelligence piquante et la bravoure de leur tiges, c’est bien ce qui représente le mieux notre très chère Maison Suzeraine. Je serais bien incapable de lui arriver à la cheville, mais je dois avouer que j’aimerais ressembler à Lady Margaery. Quant à Ser Garlan et Ser Loras, je dois avouer que je n’ai vu que Ser Garlan il y a fort longtemps et que je ne suis pas follement friande des joutes, aussi, je ne saurais juger de leur valeur sur la lice. Mais je ne doute ni de leurs talents ni du fait que Willos aurait été un grand chevalier s’il n’avait pas eu la malchance d’être blessé si jeune. Il sera en tout cas un grand Suzerain lorsque Lord Mace nous quittera, le plus tard possible, je l’espère évidemment. »

Se rattrapa-t-elle, se rendant compte que ce qu’elle venait de dire pourrait être mal perçu même si elle ne pensait pas à mal, loin de là. Cela dit, elle ne pouvait nier qu’à choisir, elle préférait Willos à Mace, et pas seulement parce que son héritier était plus jeune et plus séduisant. Mais aussi parce qu’il n’était pas un ami proche de son père, qu’il n’avait rien contre les Dorniens, et ce malgré sa blessure, qu’il lui paressait plus doux, plus gentil et plus juste, mais aussi moins fanfaron. C’était un sentiment tout nouveau pour elle, de trouver un homme aussi charmant, il avait, dès le premier regard, touché son cœur au-delà des simples affabilités policées qu’on pouvait échanger entre nobles. La question de son amie la sortie de sa rêverie.

__ Un homme passionnant… Heu oui tout à fait… passionnant, si cultivé, toujours avenant. S’il n’avait pas tant à faire, je passerais des journées entières à discuter botanique avec lui. Malgré ses nombreuses obligations, il prend toujours le temps de me saluer quand nous nous croisons et accepte ma compagnie quand il le peut. Mais je ne voudrais surtout pas le déranger ni abuser de l’hospitalité des Tyrell. D’ailleurs, à ce propos connaissez-vous la couleur préférée de Lady Margaery ? »

Décidément cette jeune femme était adorable et fort bien élevée, sans compter qu’elle était très belle, d’un charme exotique qui devait plaire à beaucoup se dit elle tout en songeant que sa peau cuivrée suggérait des origines du sud et qu’il y avait fort à parier que cela ne plairait pas Randyll. Mais peut-être se trompait-elle, car de ce qu’elle savait, peu de Dorniennes étaient mariées à des hommes du Bief et inversement, ce qui était logique au vu des relations tendues entre les deux régions malgré la paix actuelle. Et puis Mace Tyrell ne l’aurait pas vu d’un bon œil non plus, à moins qu’il y ait une bonne raison à sa présence et à son mariage avec Lord Wythers.

__ J’ai une question qui va peut-être vous paraitre cavalière, mais surtout ne le prenez pas mal et sachez que cela ne changera rien entre nous. Mais… êtes-vous d’origine Dornienne ? »

Talla fut soulagée que la jeune femme ne relève pas son erreur. Il n’était en rien question de nier la valeur de Mace Tyrell en tant que Suzerain, mais elle vouait une telle admiration à Willos que parfois cela lui faisait quelque peu oublier certaines règles. De toute façon il était toujours compliqué de parler héritage dans la mesure où cela impliquait la mort du Seigneur en place. C’était probablement pour cela que les règles de successions étaient toujours si claires et bien posées, pour que jamais la question ne se pose, ni avant, ni après ce qui était toujours un drame pour la famille, mais aussi pour toute la région.

La grande brune fut ravie de voir qu’elle ne s’était pas trompée en choisissant les tissus avec lesquels elle avait commencé à fabriquer une robe pour Lady Margaery. Elle n’avait peut-être pas de talent en matière de séduction, de conversation mondaine, de chant, de danse et autres choses utiles pour une jouvencelle, mais elle savait coudre et broder plutôt bien. C’était souvent elle qui se faisait ses propres tenues et elle aimait en fabriquer pour offrir à ceux qu’elle appréciait. Evidemment son hôte et maitresse avait tout à fait de quoi s’offrir les services des meilleurs tailleurs de Westeros, mais c’était ainsi que la pucelle avait choisi la remercier de l’accueillir à Hautjardin. Elle comptait bien faire de son mieux pour contenter la belle rose du Bief et l’habiller selon ses gouts pour mettre en valeur ce corps sublime qu’elle avait, en ceci, le modèle qu’elle avait dessiné différait grandement de ceux qu’elle avait l’habitude de façonner.

__ Votre toilette est très belle, Ma Dame. » Fit elle en jetant un coup d’œil à la robe que la Myrienne venait de toucher.

Si elle était incapable de s’imaginer dans de telles robes, elle, la jouvencelle pataude et dégingandée qu’il valait mieux cacher, elle n’avait en revanche aucun mal à voir Lady Margaery et Sereneï dedans, virevoltant avec leur grâce naturelle. Trop grande, trop grosse, trop carrée et plantureuse, elle n’avait rien de gracieux ni de féminin, son père ne cessait de lui rappeler qu’elle ressemblait ç une vache ou à une jument mal dégrossie. Elle sourit. Elle aurait bien besoin d’aide pour les derniers ajustements de la robe et quoi de mieux qu’un modèle vivant. En plus, cette dernière pourrait certainement lui dire ce qu’elle pensait du dessin et juger du tombé du tissus, or pour satisfaire la Tyrell, un deuxième regard ne serait pas de trop.

__ Voudriez-vous bien me servir de modèle ? Je pense que vos mensurations sont à peu près comparables à celle de Lady Margaery, plus que les miennes en tout cas ! » Plaisanta-t-elle.

Talla apprit alors d’où venait cette exotique jeune femme à la peau mordorée et comment elle avait atterri dans le Bief, une histoire somme toute peu commune et qui ressemblait à une sacré aventure pour celle qui n’était jamais allé plus loin que les frontières du Bief. Elle rit doucement à la petite boutade de Sereneï et lui chuchota toute sa curiosité.

__ Myr vous dites ? Déjà Dorne m’intriguait et je vous aurais harcelée de questions sur cette région et sa culture, mais une lointaine Cité Libre, vous attisez mon appétit. Il nous faudra de nombreuses balades dans les jardins pour venir à bout d’un tel sujet, j’espère que vous aurez la patience de supporter mes questions ! »

Sereneï s’arrêta bientôt alors que Talla était en pleine expectative. Elle réalisa soudain que leur petite conversation touchait à sa fin, et face à sa nouvelle amie, mains dans ses douces mains, elle sourit, tout excitée qu’elle était pas la perspective de la retrouver au plus vite pour qu’elle lui raconte Myr et qu’elle lui serve de modèle et tout un tas d’autres choses enchanteresses.

__ Cela change tout bien au contraire, mais uniquement en mieux ! J’ignore ce que veut Lady Olenna et combien de temps cela prendra, mais j’ai hâte de converser à nouveau avec vous. Pourrions-nous nous retrouver demain en début d’après-midi ? »

Talla adorait coudre et connaissait très bien les tissus de Myr autant pour leur réputation que pour en avoir acheté quand elle le pouvait, car ils étaient très chers et que, malgré l’aisance de sa famille, son budget était limité. Son père aurait pu apprécier qu’elle se passionne pour la couture et la broderie, une activité de femmes, la seule d’ailleurs à laquelle la brune s’adonnait. Seulement il ne trouvait pas ça assez bien pour une Tarly et en pire, il n’aimait pas ce qu’elle créait pour elle, des robes trop sages et trop épaisses qui ne la mettaient pas en valeur. Pourtant, elle était capable de faire des robes très différentes et bien plus fines pour d’autres, sa sœur entre autre, pour laquelle elle aimait travailler pour mettre en valeur ses courbes parfaites et sa beauté. Hélas, pour faire moitié moins bien pour elle-même, il aurait fallu qu’elle se voit comme elle était réellement et non comme une grosse vache au corps et aux traits grossiers. Or, tant que son père, sa mère, ses sœurs et son petit frère se liguaient pour lui rappeler chaque jour combien elle était laide et indésirable en tout point, physiquement et intellectuellement, elle ne pouvait aucunement se voir autrement. Ils lui renvoyaient une image d’elle si désastreuse que, dans sa douce gentillesse docile, elle avait fini par y croire sans possibilité de remettre cette vérité étable en cause. Et de ce malaise permanent, de ce manque absolu de confiance en elle était né son besoin de se cacher derrière des robes épaisses et pudiques, des voiles ainsi qu’une légère tendance à la maladresse et une grande timidité.

Si tout cela ne s’était pas accumulé, peut-être que quelqu’un, un homme, aurait pu remarquer que sous ses couches de tissus se cachait une femme, peut-être pas aussi charmante et magnifique de Leyïa, mais belle néanmoins, et avec de nombreuses qualités à apporter dans un mariage. Ceux qui l’avaient jusqu’ici remarqué n’était hélas pas assez bien nés pour prétendre épouser une Tarly, où peut-être n’avaient-ils pas osés proposer un accord à Randyll, par aversion pour cette maison et son seigneur ou pour l’âge avancé de la donzelle. Les femmes, plus sensibles et voyant plus facilement au-delà des apparences le voyaient plus souvent, mais cela ne changeait hélas pas grand-chose pour elle dans un monde où elles n’avaient que peu de place dans ce genre de décision. Ainsi, les pères hésitants demandaient des dotes que le Sire de Corcolline refusait de payer plus par avarice doublée d’orgueil mal placé que par manque de moyens.

Pourtant malgré tous ses déboires, le principal étant d’être née dans une famille où elle n’avait pu s’épanouir, même ajouté à un avenir assombri par l’ultimatum de son géniteur, un large sourire lumineux se dessina sur son visage. Serenei était adorable et venait de lui proposer de sonder Margaery discrètement pour elle et d’accepter de lui servir de modèle. Il faudrait qu’elle trouve un moyen de la remercier et elle avait une idée sur la question, néanmoins, elle n’aurait jamais les moyens de lui offrir une tenue dans ses magnifiques étoffes qu’elle portait. Peu importe, elle tacherait d’user de tout son talent et sa créativité pour faire quelque chose d’aussi beau et léger avec des tissus de Westeros.

__ Je ne vous remercierais jamais assez. J’espère lui faire plaisir, après tout la Maison Tyrell me rend un grand service en acceptant de m’accueillir à Hautjardin. A demain alors Lady Sereneï, cette rencontre me ravie, vous n’avez pas idée. Passez une excellente fin de journée ! »


Le lendemain, Talla retourna dans les jardins pour y retrouver sa nouvelle amie.

__ Bonjour Dame Sereneï ! Comment allez-vous ce matin ? Je vous aurais bien proposé de commencer notre ouvrage dès maintenant, mais il fait trop beau pour rester enfermer ne trouver vous pas ? Profitons du soleil et des jardins, le travail attendra. »

La grande pucelle prit le bras de la jeune Myrienne et commença à marcher.

__ Ma curiosité, dont vous parliez hier, est insatiable, et bien que père ne trouve pas cela digne d’une jouvencelle, je ne peux m’empêcher de penser que, les livres sont une grande source de savoir, tout comme les gens, d’où qu’ils viennent. Je n’ai pas l’occasion, à Corcolline, de parler avec beaucoup de personnes venues d’horizons différents du mien, je rends grâce aux Sept de me donner l’occasion, ici, à Hautjardin d’être entourée d’érudits et de nombre de gens de culture et de milieux en tout genre. J’ai l’impression de m’enrichir de leurs différences à chaque pas que je fais, comme si soudain, un monde nouveau s’offrait à moi, mais vous vivez ici depuis bien plus longtemps que moi, et vous avez voyagé, vous devez certainement en savoir bien plus long que moi sur de nombreux sujets. »

Elle sourit, pleine d’enthousiasme et continua.

__ J’ai lu qu’après le fameux Fléau de Valyria, Myr a connu de nombreux conflits qui ont duré tout au long du siècle de sang et même au-delà. Mais vous savez comment sont les Mestres à toujours tout ramener à Westeros. J’aimerais entendre la vision et l’avis d’une véritable Myrienne. »

Talla portait une robe de taffetas vert un peu plus décolleté qu’à l’accoutumée dotée de manches en dentelle de Myr, un présent de son père qu’elle trouvait bien trop ostentatoire pour elle, mais elle essayait de faire honneur à sa nouvelle amie. Le tissu faisait un bruit d’enfer dès qu’elle se déplaçait, elle n’aimait pas trop ça, elle si discrète, se faire remarquer au moindre pas, ça n’était pas son genre, sauf évidemment pour faire plaisir à quelqu’un, en l’occurrence Sereneï.

__ Merci Lady Sereneï, je me porte à merveille, on ne peut plus ravie de vous retrouver. »

Tout sourire, la jeune femme commença à marcher lentement malgré ses grandes jambes, emmenant tranquillement la Dame par le bras vers de nouveaux horizons verts et or comme les roses de Hautjardin. Oui, c’était une très belle journée, une journée comme il y en avait souvent dans le Bief, mais elle avait l’éclat particulier d’une amitié naissante ce qui, pour la brune, était assez rare pour être souligné. Elle inspira l’air doux et suave à plein poumon et ferma même un instant les yeux. Elle revivait. Elle était mille fois mieux ici à Hautjardin qu’à Corcolline, ceci était absolument certain, et le premier contact chaleureux qu’elle avait eu avec la Myrienne lui ravissait le cœur comme aucun amour ne pouvait le faire. C’était si plaisant de n’être plus seule. Ici elle pouvait partager ses passions avec des gens qui ne lui rabâchaient pas sans cesse qu’elle était laide et qu’elle lisait trop. Elle avait confiance, et lorsqu’elle avait confiance, dans les gens comme en elle, elle était moins timide, moins réservée, moins renfermée, nettement plus avenante. Seule sa famille était incapable de le voir, de voir ses atouts, sa famille, et elle-même, qui ne se voyait pas changer du tout au tout, qui était simplement elle-même, un peu trop sage pour s’affirmer quand on la brimait, mais néanmoins peine de vie.

__ C’est toujours beaucoup plus que moi qui ne connais quasiment que le Bief ! » Rit-elle doucement en imaginant visiter Lys et Tyrosh avec un enthousiasme à peine masqué avant de se concentrer pour écouter le récit de Sereneï.

Pour elle qui n’avait vu qu’une infime partie du monde mais qui semblait le connaitre à travers ses lectures, voyager et le découvrir de ces propres yeux était un rêve qui semblait inaccessible et précieux. Elle avait suivi son père pour quelques Tournois dans le Bief et dans les régions les plus proches, mais sans jamais prendre le temps d’en découvrir les coutumes locales ou les spécificités regrettait-elle. De plus, les Sept Couronnes était une chose, mais Essos, c’était l’inconnu, la grandeur, et même de Westeros, elle n’avait vu que des bribes, Dorne, jamais, le Nord encore moins, seules des régions assez proches du Bief en somme. Mais elle savait qu’il y avait bien peu de chances qu’elle voyage un jour, elle devait se marier, obéir, faire des enfants, point. Jamais elle ne verrait le monde, alors il y avait les livres, heureusement, et les personnes qui venaient d’ailleurs.

__ Ah les sœurs oui. Cela dit, dans une famille, les disputes sont légions, mais cela n’empêche pas l’amour. J’ignore si c’est le cas des cités. Westeros aussi a connu bien des guerres, pendant des millénaires avant que tout le continent soit unifié sous le règne des Targaryen, et même après, et je ne parle même des querelles intestines qui opposent certaines bourgades et certaines régions. J’imagine que c’est ainsi que le monde se construit, en se détruisant bribe par bribe pour se reconstruire autrement. J’aimerais que ça ne soit pas le petit peuple et surtout les enfants qui payent le tribut du chaos engendré, mais contre cela non plus je ne peux pas grand-chose, les quelques pièces que je donne sont bien peu de chances. »

Le dernière remarque fit sourire Talla. Des sœurs qui se disputent oui, elle connaissait bien, même si elle était bien trop sage pour réellement se disputer avec Leyïa elle subissait assez souvent ses brimades pour rire de l‘ironie des querelles des trois cités libres.

__ Dites-moi, comment en êtes-vous arrivée à épouser un homme du Bief ? »

Evidemment vu comme ça, le mariage pouvait éventuellement valoir le coup, même pour elle qui n’avait jamais connu l’amour et qui n’était pas tellement intéressée par tout cela, les beaux jeunes hommes, les chevaliers et toutes ces choses que les jouvencelles appréciaient. Hélas, Talla le savait pour l’avoir déjà tenté, elle n’avait pas le pouvoir de faire changer d’avis à son père, peut-être pourrait-elle avoir un peu d’influence sur son époux, mais rien de moins sûr, surtout vu son caractère qui la menait à se taire la plupart du temps.

__ Quelle sagesse Dame Sereneï, j’ai bien des choses à apprendre de vous. C’est bien vrai, j’aimerais aider, je fais tout pour d’ailleurs, à mon humble niveau, car je ne suis pas vraiment libre de mes agissements et de mes choix, père décide pour moi et après lui, ce sera mon époux. Hélas mon idée d’orphelinat et d’école ne plait à personne à part à Dame Olenna. En tant qu’épouse, je ferais mieux de m’occuper de mon mari, de mes enfants et de ma maison plutôt que des enfants déshérités. C’est ce que ne cesse de me répéter mère et je sais au fond qu’elle a raison. Parfois j’en viens à souhaiter ne pas trouver d’époux, peut-être alors serais-je plus libre, je pourrais me concentrer sur la prière et apporter mon aide aux autres. Mais si je deviens Septa, je renonce à mon nom et au confort qu’il me procure ainsi qu’à l’argent nécessaire pour ouvrir mon hospice, Randyll ne manquera pas de me le faire savoir et je ne suis pas certaine d’avoir la force de changer de vie du tout au tout. »

Randyll était un chevalier reconnu et respecté dans les Sept Couronne, mais s’il était un homme de guerre et un stratège hors pair, il n’avait que faire du peuple et des dommages collatéraux qu’engendraient les guerres. Talla ne le savait que trop bien et elle avait beau faire tous les efforts possible pour lui être agréable, elle ne pouvait partager les mêmes idéaux. Sa douceur, sa gentillesse et sa générosité entraient tôt ou tard en conflit avec les notions de dureté martiale et d’honneur hautain chères à sa Maison. Ce pourquoi, tout comme Samwell, elle avait toujours senti qu’elle ne faisait pas vraiment partie de la famille, contrairement à Leyïa qui correspondant en tout point aux attentes de son père. Quant aux rumeurs qui pouvaient courir sur les membres de la nombreuse cour de Hautjardin, elle n’y prêtait guère attention, si peu que celles qui lui venaient aux oreilles, elle ne les écoutait pas vraiment et si imperméable aux commérages que personne n’aimait les partager avec elle.

__ C’est donc la curiosité qui a fait naître l’amour entre vous ? Quelle belle histoire… »

La grande brune eut une pensée furtive pour Willos qui faisait de plus en plus battre son cœur pour cette même raison. Non parce qu’il était beau, no parce qu’il était riche, non parce qu’il portait le nom des Tyrell et en était leur héritier, rien de moins. Non. Parce qu’il aimait la botanique, l’élevage et l’astrologie et qu’à chaque fois qu’ils se lançaient tous deux dans une conversation elle n’avait de cesse de le trouver cultivé intelligent et infiniment intéressant. Parce qu’il était celui avec qui elle pouvait partager ses passions dans entendre le moindre soupir d’ennui au bout de quelques minutes à déblatérer tout ce qu’elle connaissait sur un sujet comme une idiote. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres avant que son attention se reporte sur son amie.

__ Quel bonheur se doit être d’aimer son époux et de pouvoir discuter avec lui. Cela aussi j’aimerais le connaitre. Éternelle insatisfaite que je suis, je veux tout. Un époux aimant et intelligent, la liberté de faire ce que je veux. » Elle rit doucement. « Je devrais probablement faire des choix dans peu de temps. Je ne suis pas pressée de voir mes songes s’effacer devant la réalité, mais la vie est ainsi faite, n’est-ce pas ? »

Songeuse, elle continua la promenade en silence pendant quelques temps, observant la beauté des lieux et des roses, pesant le pour et le contre d’une vie de célibat en tant que Septa ou d’une vie maritale avec un homme qui, probablement, n’arriverait jamais à la cheville de Willos. Comment un tel homme pouvait s’intéresser à elle. Cela n’arriverait pas, elle le savait. Si elle avait été comme sa sœur, s’eut été possible peut-être, mais pas pour elle, pour elle, l’amour n’existait pas. Alors oui, peut-être qu’elle ferait mieux de devenir Septa après tout. son désir de fonder une famille finirait par s'estomper devant la multitude d'enfants qu'elle pourrait aider...

Serenei n’avait pas trot, rien n’empêchait Talla d’agir en ce sens, rien sauf les ordres de son géniteur qui ne voyait pas l’altruisme de sa fille d’un bon œil mais plus comme une énième preuve de faiblesse. Hélas, le devoir de la grande brune était, jusqu’à nouvel ordre, d’obéir à son père, elle ne pouvait donc pas céder à ses propres désirs sans prendre en compte en premier lieux ceux de sa famille. Elle n’était pas douée pour trouver un mari et pourtant elle avait jusqu’ici fait de son mieux sans vraiment parvenir à s’intéresser assez à un homme de manière non platonique pour arriver à le séduire. Maintenant qu’elle s’était amourachée de Willos elle trouvait hypocrite d’en épouser un autre, même si cela pouvait la libérer du joug de son paternel et lui permettre de faire le bien. Il n’était pas question de faire souffrir un homme ou simplement de lui mentir même pour une bonne cause. Elle baissa les yeux.

__ Le Lord mon père veut que je me marie et que je fasse des enfants et que je cesse de m’occuper de ceux des autres, particulièrement les vagabonds. Mais si j’ai la chance de trouver un époux compréhensif, peut-être que je pourrais mener ce projet à bien grâce à la vente de mes effets inutiles et aux dons des bienfaiteurs. Père ne pourra alors plus me l’interdire, surtout si j’ai Dame Olenna de mon côté. »

Talla sourit sans y croire vraiment et en évitant soigneusement d’étaler ses ridicules problèmes de conscience de gamine de riches devant son amie. Elle rougit violement en entendant Serenei la complimenter sur son physique, elle disait cela pour être gentille, mais c’était plaisant, mais gênant aussi. Elle ne savait pas trop quoi en penser si ce n’est qu’elle doutait que ce soit une perte. Peut-être même que c’était la meilleure idée qu’elle ait jamais eut, et que son père avait raison depuis le début…

__ Oui, il n’est pas rares qu’elles recueillent des orphelins, en tout cas elles aident les gens, qu’ils soient riches ou pauvre, sans distinction de rang. »

Tout en cela lui plaisait, la seule chose qu’elle regrettait c’est de devoir renoncer à fonder un jour une famille, mais elle donnerait son amour aux orphelins, ça n’était peut-être pas plus mal. Elle sourit à nouveau aux paroles compréhensives de la myrienne, elle avait raison en un sens, il fallait faire des choix, mais s’était si difficile de renoncer définitivement à l’amour, même pour consacrer sa vie aux autres. Aussi ridicule que ce soit, elle gardait l’espoir fou que Willos pourrait l’aimer, qu’elle pourrait l’épouser et qu’ils auraient des enfants et qu’ils seraient heureux et qu’il voudrait bien qu’elle ouvre un orphelinat. Vraiment idiot, elle n’avait pourtant jamais aimé les contes de fée qu’elle trouvait souvent trop niais. Pour elle qui n’avait jamais aimé avant de le rencontrer, un tout nouveau monde s’ouvrait à elle à travers ses sentiments, un monde qu’elle pouvait à peine effleurer et sur lequel elle devait faire une croix. Alors elle laissait s’écouler le temps et vivait la douceur de Hautjardin sans se soucier du lendemain ni du retour de son père. Elle savait pourtant qu’elle ne valait pas Willos, qu’elle ne le méritait pas et que tout espoir était vain. Elle savait aussi que Randyll finirait par mettre ses menaces à exécution dès qu’il la verrait ainsi à la cour des Tyrell plus que jamais célibataire. Quelques semaines, quelques lunes, elle ignorait combien de temps il lui restait avant de rentrer dans les ordres, mais le plus tard serait le mieux, car en attendant, tous les songes lui étaient permis, dont celui d’épouser l’héritier du Bief.

__ Vous êtes adorable, mais si mes rêves ne sont pas compatibles avec les souhaits de père ou même de l’homme que j’aime, mon devoir est d’obéir et il serait irresponsable de ma part de ne penser qu’à mon bon plaisir. J’ose espérer qu’un jour, je pourrais concilier mes envies avec mon devoir, au moins en partie. »

Talla n’essayait jamais d’obtenir ce qu’elle voulait, c’est d’ailleurs pour cela qu’elle ne tentait pas d’analyser Sereneï, ni son caractère, ni ce qu’elle cherchait. La seule chose qui l’intéressait chez la jeune femme, c’était simplement elle, d’être avec elle, de discuter, de s’enrichir de ce qu’elle connaissait et d’essayer tant bien que mal de lui rendre la pareille. Pourtant, si elle avait eu plus de volonté, ou en tout cas plus de caractère, le monde ne s’en serait pourtant pas moins bien porté, au contraire, mais si la grande brune avait bien un défaut, c’est d’être bien trop obéissante pour tenter quoi que ce soit contre l’ordre des choses, le destin, appelez ça comme vous voudrez. Elle respectait la hiérarchie, elle avait été élevée ainsi, par un père militaire qui n’avait que l’ordre établi à donner en exemple et qui, malgré la docilité de sa fille, la voyait comme une rebelle pour ses idées altruiste. Elle voulait aider les pauvres mais n’était pas prête à demander l’argent des autres pour se faire car elle ne se sentait pas légitime pour se faire dans la mesure où elle-même ne manquait de rien, elle était prête à vendre tout ce qu’elle possédait, mais cela était insuffisant. Alors elle se contentait de donner aux pauvres la majorité de ce qu’elle avait, une pomme à un mendiant, ses robes à une œuvre, de l’argent pour le septuaire et les orphelins. Mais pour cela aussi elle s’était faite violemment disputée par son père qui lui avait dit qu’elle n’avait pas à offrir aux autres ce que l’argent de Corcolline payait, aussi avait-elle dû renoncer à sa générosité.

Jamais elle n’avait envisagé de concilier ses envies et celles de son père, elle n’arrivait d’ailleurs pas plus à le contenter lui qu’a assouvir ses désirs, incapable qu’elle était de se trouver un époux. Ainsi pour Sereneï, c’était la spécialité des femmes d’arriver à leur fins ? La surprise se lisait sur son visage bien qu’elle n’osa pas répliquer que les femmes devaient obéir. Elles le devaient, c’était ce qu’elle avait entendu toute sa vie, mais ce son dissonant l’intriguait autant qu’il la choquait. Elle avait pu parfois constater chez sa sœur, qu’en effet, le charme, la séduction pouvait venir à bout de la volonté des hommes, mais elle ne possédait pas les atouts de la blondinette, pas plus que ceux de la Myrienne. Cette dernière venait de lui dire de ne pas se rabaisser, elle lui avait aussi dit qu’elle n’était pas si laide, elle n’allait donc pas lui rabâcher encore une fois quelle était incapable de faire ce qui semblait si naturel et facile pour les autres ladies. Peut-être qu’elle devait cesser de se cacher derrière sa timidité et sa gaucherie et commencer à s’affirmer un peu plus si elle voulait aider les orphelins. Ainsi l’idée faisait son chemin dans l’esprit de la jeune fille qui à vrai dire n’avait jamais essayé d’user de ses charmes, ou en tout cas de ses autres qualités pour convaincre qui que ce soit.

__ Vous êtes bien aimable de le prendre ainsi Milady, mais Lord Randyll n’a pas tort, je n’ai pas travaillé pour obtenir ce que je possède, tout a été payé grâce à lui et je ne saurais lui manquer de respect en donnant ses présents à d’autres comme s’ils ne me plaisaient pas. Ma cause est bonne, du moins je le pense, mais la manière dont je m’y prends ne convient pas à père, peut-être, l’homme qui voudra bien de moi saura accepter mes choix, mais en attendant, je ne peux que respecter son avis. Mais si un jour, j’arrive à ouvrir un orphelinat, je ne manquerais pas de vous écrire. »

Même si les paroles de Sereneï n’étaient pas des conseils, ils n’étaient pas tombés dans l’oreille d’une sourde. Talla avait mis le temps, mais elle commençait à comprendre certaines choses sur la manière dont tournait réellement le monde. Cette rencontre lui serait bénéfique, sans aucun doute, et en un sens, tout ceci la confortait dans sa volonté de devenir Septa. Après tout, ainsi, elle pourrait demander l’aumône aux riches pour donner aux pauvres et ne serait pas obligée de négocier avec un éventuel époux qu’elle ne tardait que trop à trouver.

Le déjeuner approchait et les deux jeunes femmes se rendirent auprès de Margaery pour partager le repas avec elle avant de consacrer l’après-midi à la couture. Les semaines suivantes, leur relation se renforça, hélas, la guerre vint mettre un terme à tout cela. Randyl arriva à Hautjardin avec ces troupes et c’est furieux qu’il se rendit compte que Talla n’avait pas du tout fait ce pourquoi elle avait été envoyée à la cour. La brune se garda bien de lui dire qu’elle voulait devenir Septa et attendit qu’il prononce lui-même la sentence. Il la déposséda de tous ses biens et elle se rendit dans le septuaire le plus proche avec uniquement la robe qu’elle portait sur elle pour prononcer ses vœux. Elle perdait son nom de famille et n’aurait en aucun cas le droit de se revendiquer de la Maison Tarly, mais elle gagnait la liberté de faire ce qui lui plaisait vraiment à savoir aider les autres. Heureusement, elle avait eu le temps de terminer la robe et de l’offrir à Lady Margary et même d’en fabriquer une pour Sereneï. Elle était de soie orange, plissée au niveau de la poitrine, avec de larges bretelles croisées dans le dos dénudé jusqu’aux reins, elle soulignait la courbe des hanches de la Myrienne et la gracieuse ligne de ses épaules.