Les fêtes. Qu'elle aimait ça, autrefois ! Desmera se rappelait de son engouement, quelques années plus tôt, lorsque son père lui annonçait recevoir bien des invités afin de fêter un quelconque événement. Elle courait partout, riait aux éclats, s'amusait comme l'enfant qu'elle était. Aujourd'hui, elle passait pour mature -à première vue, du moins- puisqu'elle était bien plus calme que les autres jeunes filles de son âge. Pourtant, il n'était pas rare qu'elle pleure pour rien... Elle n'aimait pas non plus les livres d'histoire, préférant les contes mettant en scène princes, princesses, chevaliers et histoires d'amour...
Les fêtes la terrifiaient désormais. Ainsi, lorsqu'on en organisa une pour l'adoubement d'Owen, elle fut très tendue et ne décrocha presque pas un mot du début de soirée. Elle observait l'alcool qui coulait à flots, les compliments, blagues, discussions, exclamations, qui fusaient en tous sens.

Au fur et à mesure que les minutes et heures passaient, malgré toutes les personnes réunies et qui terrifiaient la jeune fille au départ, elle commençait à se détendre. Sa mère lui avait cédé sa place, lui permettant ainsi de se retrouver entre elle et son père, la rassurant alors un petit peu.

-J'espère que maintenant que je suis chevalier, je correspondrais à tes contes en sauvant de nombreuses vies et épouserais une belle princesse.

Desmera se fendit d'un immense sourire, oubliant immédiatement sa peur. Elle ouvrit la bouche, prête à répondre à Owen et à lui dire ô combien elle était fière et heureuse d'être comme une sœur pour lui... d'être sa sœur, même. Mais c'est Hobber qui la coupa, ses grands yeux effarés ne pouvant que l'observer tandis qu'il se moquait ouvertement d'elle. Elle n'osa rien dire, se trouvant complètement désemparée. Comment osait-il casser ainsi l'ambiance ? Horras rit à son tour, ce qui lui valut un coup de poing d'Owen.
Puis tout partit très rapidement. Tous trois se battaient avec tant de hargne -au poing, par chance- que Desmera ne parvint plus à distinguer qui frappait qui...

-Arrêtez, par pitié, arrêtez !

Des larmes dégoulinaient sur ses joues, sa voix rendue presque inaudible à cause des sanglots et tremblements qui agitaient son corps tout entier. Son père lui avait pourtant demandé de ne pas pleurer, de faire un effort au moins ce soir-là, de se montrer digne d'une jeune fille de son âge et de son rang... Elle savait que certains hommes ici présents ce jour-ci pouvaient être là pour Owen, mais aussi en partie pour elle. Elle avait tout gâché. Ses frères avaient tout gâché, une fois de plus !

Paxter, amusé par la situation, se moqua ouvertement de ses deux fils et d'Owen, leur disant d'aller continuer plus loin si ça leur chantait. Il était reconnu pour sa bonhomie et sa joie de vivre, préférant faire la fête et naviguer en toute liberté que de s'embêter à être sérieux et à s'énerver pour un rien. Bien sûr, il était un homme extrêmement autoritaire et charismatique, mais il ne prenait pas au sérieux les querelles qui opposaient parfois Horras, Hobber et Owen, considérant cela comme de simples enfantillages qui se régleraient d'eux-mêmes.
Desmera, choquée par la fête et se disant qu'elle haïssait plus que tout les fêtes, les rassemblements et surtout la violence, demanda à remonter à sa chambre, ce que sa mère lui accorda. Par chance, Mina Tyrell était une femme douce et compréhensive, n'hésitant jamais à consoler et conforter sa fille dans son innocence et sa naïveté.

Alors que Desmera était dans sa chambre, Owen vint la voir. Allait-il s'excuser ? La consoler ? Elle ne savait pas, mais lorsqu'elle le vit, elle courut simplement se réfugier dans ses bras, ayant séché -par miracle- ses larmes elle-même et n'ayant alors plus besoin que d'un peu de compagnie agréable.

Owen était étrange, différent de d'habitude, sous l'emprise de l'alcool. Mais Desmera était aveugle, ne se rendant compte de rien. Idiote ? Peut-être l'était-elle. Lorsqu'Owen partit s'asseoir près de la fenêtre, elle le suivit et s'y accouda, observant elle aussi le jardin avec un émerveillement non feint. Elle tourna son visage à la mine enjouée vers Owen lorsqu'il reprit la parole après plusieurs minutes de silence durant lesquelles elle s'était imaginé quelles créatures pouvaient bien vivre au milieu de ces fleurs. Des princes-crapauds s'y trouvaient-ils, attendant le baiser d'une jeune dame ?

Pourtant, sa mine enjouée disparut lentement de son visage, s'effaçant au fur et à mesure qu'il parlait. Il ne pouvait pas partir ! Il ne pouvait pas la laisser seule ! Elle se mordit l'intérieur des joues, reculant d'un pas pour échapper à la main d'Owen qui s'était posée sur son cœur. Elle agita la tête de droite à gauche, tentant de retenir ses larmes, qui ne tardèrent pourtant pas à couler sur ses joues, lui faisant porter ses mains à son visage pour sangloter ainsi quelques instants.
Elle releva ses yeux clairs vers l'héritier de Froide Douve, agitant encore la tête.

-Ce n'est pas un monde idéalisé, Owen, tu te trompes ! Ca existe tout ça, ce ne sont pas que des histoires ! Horras et Hobber n'y connaissent rien et toi non plus... Vous ne voyez que le malheur mais mes livres de contes valent bien mieux que les livres d'histoire qui ne montrent que la guerre et la tristesse. Moi je préfère la beauté du monde et sa magie. Elle fut coupée par un sanglot mais reprit de plus belle, les larmes dévalant encore ses joues. Tu peux pas partir et me laisser seule, Owen, tu peux pas... Me laisse pas...

Le début de sa tirade aurait pu passer pour des reproches et pourtant, il n'en était rien. Son visage ravagé par les larmes, elle se détourna de l'araignée pour aller à sa petite table de nuit et se saisir d'un mouchoir en tissu qu'elle gardait toujours près de son lit, du fait de ses terreurs nocturnes. Elle s'essuya les joues, ravalant ses larmes comme elle le pouvait, jusqu'à parvenir enfin à calmer ses pleurs au bout de quelques minutes. Elle inspira alors un grand coup et se retourna vers Owen.

-Oui, oui..., hoqueta-t-elle, je veux bien aller aux jardins...