Le visage granitique, lord Stark resta silencieux cependant que les autres membres du Conseil Restreint s'exprimaient à tour de rôle. Et, plus il les écoutait parler, plus il regrettait le Nord. Il était venu à Port-Réal, d'abord pour aider un ami, ensuite pour ne pas offenser son Roi, mais avec aussi dans l'idée que, peut-être, il pourrait aider le Royaume à faire face à la vraie menace. Mais autant pelleter de la neige avec une cuiller.

Les Fers-Nés étaient en position de force, ils étaient enivrés par la victoire comme des loups affamés par le sang frais, dans tous les Sept Royaumes, l'ensemble des sujets du Roi tremblaient de peur, et tout ce que Pycelle et Oberyn Martell suggéraient pour y remédier, c'était de froncer les sourcils à l'adresse des marchands et d'envoyer un nain alcoolique négocier alors qu'il n'avait aucun argument pour ce faire ?

Il avait pris sa décision. Comme Tybolt Lannister et Beron Stark à l'époque de Dagon Greyjoy, il s'unirait avec d'autres régions. Le Nord aurait à nouveau une flotte, et il porterait la guerre sur mer, pour mettre les Fers-Nés à genoux. Alors, ils pourraient négocier. Mais pas avec Balon. Sa tête tomberait.

Ce n'était pas par amour du combat que lord Stark raisonnait ainsi. Seulement, nul ne devait pouvoir brandir impunément les armes contre son seigneur légitime. Un homme qui tirait l'acier contre son seigneur lige devait mourir, tout simplement.

Maintenant, la discussion tirait sur la question fondamentale qui était au centre de cette réunion, Eddard le devinait : qui le prince Durran devait-il épouser ?

Pour lord Stark, la situation était claire. Il s'était juré de garder le silence à ce propos, la situation étant déjà assez compliquée. Mais à ce moment, il croisa le regard de Robert, et se rappela que, justement, cet alcoolique qui n'avait aucune considération pour les affaires d'Etat, avait fait en personne le voyage jusqu'à Winterfell. Pour aller chercher un ami pour l'aider à gérer les situations compliquées. Et c'était son devoir d'honorer cette marque d'estime en donnant son avis, quoiqu'il puisse lui en coûter.

Pour ma part, je dis que les Tyrell ont pris de grands risques en protégeant le prince durant toute sa jeunesse.

Ce, alors que leur loyauté envers la Couronne aurait pu être largement discuté à l'époque (à peine plus que celle des Lannister, cela dit).

Concrètement, ils ont sauvé la vie du seul et unique héritier légitime au Trône de Fer, en prenant de grands risques pour ce faire. La Couronne leur doit une reconnaissance éternelle. Et concrète.

Il jeta un regard à Olenna dont il anticipait déjà les remarques sarcastiques sur la "reconnaissance" ou la "gratitude".

Jon Arryn a fait une promesse et Durran en a fait une autre. Celles-ci étaient incompatibles. Personne n'est en tort puisque personne n'était au courant de l'ancien engagement de Jon Arryn. Reste qu'aujourd'hui, comme vous le signalez, sire, seule votre parole compte. Et la Couronne s'est déjà engagée auprès de Doran Martell à accepter les fiançailles.

Le visage fermé, Eddard se rencogna dans son siège. Il pensait personnellement que les Martell étaient des opportunistes revanchards qui avaient fait moins que les Tyrell pour mériter une place sur le trône. Beaucoup moins. Mais là n'était plus la question. La question était de tenir ses promesses. Les questions d'alliances entre Stark et Tyrell ou de politique n'étaient rien à côté de cela. La parole du Roi devait être d'acier. Ceci, pour lord Stark, closait la discussion, indépendamment de ses opinions personnelles.






[Note : la lettre en question qui parle de la promesse se trouve ici]

Devant le silence qui s'éternisait, Eddard se sentit obligé de reprendre la parole. Ici, à Port-Réal, les gens murmuraient semblait-il énormément, mais quand il s'agissait de s'exprimer franchement, les choses étaient nettement plus lentes à mettre en œuvre. Et tout cela forçait Ned à parler beaucoup plus qu'il ne le souhaitait. Lorsqu'un homme utilisait beaucoup de mots, chacun d'eux pesait un peu moins lourd. Mais il était au service d'un roi.

Après avoir balayé la table du regard, Eddard soupira fortement. Fallait-il qu'il fasse aussi maître des chuchoteurs ?

Sire, j'ai eu vent d'un certain... Andrik. Ser Andrik Pyke, maintenant, puisque vous l'avez vous-même adoubé à Port-Lannis. C'est un Fer-Né, mais qui n'a apparemment que peu de sympathie pour les Greyjoy. Et il a servi longtemps dans la Compagnie Dorée. Peut-être pourrait-il déjà nous donner des informations sur les meneurs de la Compagnie ? Nous n'en saurons guère plus sur les évènements récents, mais il est toujours utile de savoir comment réfléchissent ceux qui dirigent.

C'était à ce genre de choses qu'on voyait que le réseau d'informateurs de lord Stark commençait à fonctionner. D'ailleurs, quelques regards autour de la table semblaient évaluer Eddard avec une acuité nouvelle. Pycelle devenait courageux, Eddard Stark avait son propre réseau... les pièces bougeaient sur le plateau.

Pourtant, à la réflexion, c'était logique. Andrik était un transfuge Fer-Né. Suffisamment pour intéresser largement quiconque voulait la peau de Balon, à savoir tous les lords du Bief, du Conflans et du Nord, a fortiori lorsqu'ils étaient en plus Main du Roi. Et il avait été rien moins que discret sur ses origines. D'après ce qu'Eddard en avait compris, c'était même l'archétype de la "grande gueule".

Il s'entendrait fort bien avec Oberyn Martell.

Concernant la Compagnie Dorée...

Sire, je ne sais pas grand-chose des dernières activités de la Compagnie Dorée, mais s'ils veulent revenir réclamer le trône du Dragon Noir, il leur faut un héritier pour assurer sa légitimité. Or, à ma connaissance, ils n'en ont pas. Donc, quelles que soient les victoires qu'ils remportent de l'autre côté du Détroit, je ne les pense pas dangereux... Pour l'instant. Pas si l'on compare au péril des Îles de Fer et du Grand Nord.

Parce que la question, évidemment, était celle de la répartition des forces. Si on cherchait des dangers, on pouvait toujours en trouver, mais il fallait savoir utiliser judicieusement ses ressources. Ce qui nécessitait des informations, et, malheureusement, chaque jour montrait à quel point remplacer Varys était difficile.

De plus, si une dornienne est mariée au prince héritier, les Degrés de Pierre seront un habitat peu accueillant pour des envahisseurs.

Pendant plusieurs minutes, Ades s'était sagement reculé dans son siège, sans même prendre le risque d'avancer la main pour attraper à manger. Ils en étaient arrivés à un sujet qui promettait d'être compliqué et dans lequel le jeune homme s'était promis de ne pas ou peu intervenir. Il avait, bien sûr, son avis sur la question, mais ce n'était pas le genre de chose qu'il était près à dire en face d'Olenna Tyrell et Oberyn Martell. Il était encore trop jeune pour se faire détester d'une des familles régentes, que ce soit du Bief ou de Dorne. La situation était un désastre de toute façon, qui que soit la famille la plus opportuniste, les deux avaient obtenus des promesses. On pouvait retourner la situation dans tous les sens, l'une d'elle allait se sentir trahie. Ades Overton n'était pas prêt à accepter d'être responsable d'une manière ou d'une autre.

Il n'était vraisemblablement pas le seul autour de la table à ne pas désirer trop s'avancer sur le sujet, ce qui ne manqua pas d'ennuyer le Roi. Par chance, il comprit sûrement qu'ils n'avanceraient sans doute pas plus loin que les piques envoyés entre Oberyn et Olenna, et il lança un autre sujet. Du genre qu'Ades pouvait mieux appréhender, même si ça ne relevait pas de sa juridiction. Comme tout le monde ici, il avait eu vent des événements survenus en Essos, mais il avait accès à un peu plus d'information. Enfin, si l'on pouvait appeler informations les murmures de marins alcoolisés aux oreilles des prostituées qu'il employait. Les rumeurs ne valait pas grand chose mais c'était toujours mieux que rien.

- Il se passe d'étranges choses en Essos, ces derniers temps, Sire. On me rapporte des rumeurs absurdes, notamment concernant cette femme qui aurait vaincu Drogo.

Il attrapa une feuille sur laquelle il avait griffonné quelques mots. Rien de vraiment intéressant en réalité.

- Hum... Je ne vais pas vous abreuver de détails, mais il est question de beaucoup de sang et d'une brutalité qu'aucun Khal Dothraki ne renierait. Le fait qu'elle ait récupéré une bonne part du khalasar de ce Drogo n'est qu'une preuve supplémentaire. Cependant, je ne pense pas que cela nous concerne. Contrairement à Drogo, elle n'a aucun contrat de mariage en cours avec un quelconque Targaryen. D'autant que le fameux Viserys n'a plus laissé de trace depuis un moment.

Alors qu'il y réfléchissait, le jeune homme attrapa un morceau de papier et griffonna distraitement.

- Je doute que cela n'impacte nos côtes, certaines cités avec lesquelles nous commerçons pourraient s'en trouver perturbé, mais cela semble improbable. Cela fait plusieurs mois maintenant et cette Khaleesi n'a fait aucune vague. Puisque c'est aussi le cas de Viserys, nous pouvons supposer qu'il a été tué au cours de la bataille ou rattrapé par Drogo avant cela.

Commercer avec des esclavagistes n'avaient rien d'agréable mais tant qu'à le faire, autant que l'esclavagiste en question soit un commerçant digne de ce nom. Ades n'espérait qu'une chose et c'était que cette Khaleesi folle et la disparition de prince déchu ne soient pas de mauvais augure pour le commerce avec Essos.