Lynce était perdue, elle avait tout abandonné pour Baeron et il était mort, son Roi, il ne serait finalement jamais celui qui ferait d’elle une Reine. Mais alors qui ? Comment, quoi et quand ? Elle ne savait plus, elle doutait de son destin autant que de sa mission sacrée pour R’hllor. Elle en venait même à douter de son Dieu car elle ne voyait ni le chemin ni son but approcher et que pour l’instant, elle n’avait eu l‘occasion que de voir son monde s’écrouler. Au moins, avec Tregar, elle n’était ni libre ni reine, mais elle était riche, respectée, à l’abri du besoin et en sécurité. Etait-ce encore le cas ? Elle n’en avait pas l’impression, elle se sentait seule, un peu abandonnée, même par Kashina qui passait son temps à s’occuper de son fils. Elle n’en voulait pas à Aemon, ni même à sa maitresse, mais cela ne faisait que renforcer son sentiment d’abandon et sa tristesse de voir ses rêves s’effondrer un à un et son monde, son pouvoir, s’envoler, tout comme la compagnie dorée. Elle était Reine sans Roi, sans armée, sans fils même, car elle sentait bien que, malgré toute l’affection qu’elle lui portait et tous les soins qu’elle lui prodiguait pour permettre à la danseuse sacrée de se reposer, elle n’était pas la mère de la réincarnation d’Azor Ahai et ne le serait jamais. Il la reconnaissait, lui souriait même, mais jamais il ne la gratifiait des regards intenses qu’il réservait à la belle blonde. Et avec ce sentiment d’abandon et de solitude, vint une profonde mélancolie qui commençait à la ronger. Elle, Lynce, elle ne serait jamais mère, jamais un enfant ne la regardait comme Aemon regardait Kashina, jamais elle ne regarderait un être comme sa génitrice le regardait, jamais elle ne donnerait le sein ni ne bercerait son petit. Serait-elle jamais femme sans cela, avec un ventre vide et stérile ?

La nuit passée avec Kashina lui avait fait plaisir sans pour autant la consoler totalement, même si peut-être l’attention de la danseuse sacrée lui avait fait du bien et qu’elle se sentait un peu moins abandonnée et vide, vide de sens, vide d’envie.

Lynce crut entendre la voix de sa belle dans un songe, il lui semblait alors que c’était le milieu de la nuit. Elle dormait mal ses derniers temps et elle peinait à trouver le sommeil. Ce ne fut pas le cas cette nuit-là avec Kashina, mais elle avait besoin de repos aussi eut elle un mal fou à se réveiller. Les baisers de la danseuse sacrée finirent tout de même par lui faire ouvrir les yeux. Un léger sourire plein de mélancolie se dessina sur son visage, sa bouche exprimait un peu de bonheur et de sérénité, mais ses yeux ne suivaient pas.

La veuve Feunoyr s’étira longuement et se leva sans un mot. Elle jeta un regard attendri à Aemon qui dormait paisiblement, l’enviant un peu de pouvoir s’assoupir où et quand il voulait avec tant de confiance, en l’avenir, en sa mère, en tout. Il était si mignon, il ressemblait à son père mais tout en ayant gardé les traits fins de sa mère. Il serait probablement un bel enfant et un magnifique charmeur une fois adulte. Debout devant la fenêtre, elle s’étira une nouvelle fois, stoppée nette par la proposition, ou plutôt l’envie de Kashina. Elle la regarda interloquée, elle n’avait pas vraiment envie de sortir, surtout sans chaise à porteur, et vu leur nouvelle condition, il fallait oublier. Volantis était une ville sale et remplie d’esclaves. Enfin, elle ne partageait pas, mais elle savait les sentiments de la danseuse sacrée pour le peuple et particulièrement pour les être maltraités, aussi se garda-t-elle de faire la moindre remarque à ce sujet. Au lieu de ça, elle retroussa son nez et répondit en grimaçant :

__ Je n’ai pas très envie de me promener. »

Enfin, vu le ton ou plutôt la formulation qu’elle avait employé Kashina paressait être bien décidée, aussi Lynce enfila donc une robe de soie blanche translucide et suivi sa maitresse à contre cœur.

Si mignon, si important, même si la prédiction n’avait pas fait de lui le Prince qui fut Promis, la réincarnation d’Azor Ahaï, Aemon dormait paisiblement dans l’écharpe, tout contre sa mère. Elle si douce, si tendre avec lui. Une mère parfaite. Aurais-je été une bonne mère ? Lynce en doutait fortement, elle qui était si égoïste, mais pour un être si parfait, si petit, si fragile, pour la chair de sa chair, le sang de son sang, peut-être aurait-elle pu revoir ses propres désirs à la baisse. En tout cas, malgré les nuits difficiles, les pleurs, les heures passées à s’occuper de lui, Kashina s’en sortait admirablement bien. Elle, pour sûr, avait été faite pour porter cet enfant et le mettre au monde, le faire grandir et le protéger de tout. Cela rendait d’autant plus plausible la prédiction de Benero, pour ceux qui pouvaient en douter. Lorsque Lynce posa les yeux sur le visage de son amie, elle vit combien tout cela l’avait changé, non physiquement, mais dans son regard il y avait quelque chose de nouveau, quelque chose de puissant qu’elle ne parvenait pas à définir. La Hightower était un peu jalouse de sa douce, elle aurait aimé être à sa place et recevoir tous les égards et la protection dont elle bénéficiait depuis peu, mais elle savait qu’elle ne le méritait pas alors que la Prostituée Sacrée, oui. Jalouse et heureuse pour elle à la fois. Heureuse pur el monde qui avait trouvé son sauveur aussi. Mais elle n’arrivait plus à comprendre quelle était sa place dans tout cela et ses supplications à R’hllor n’obtenaient aucune réponse.

Finalement, en voyant le dehors, Lynce fut ravie, elle aussi, de sortir. Kashina avait eu raison de la forcer à sa manière, si douce. Cependant, alors qu’elles marchaient bien entourées de leurs gardes, la blonde remarqua que nombre de gens, des esclaves surtout, se retournaient sur leur passage, regardant Kashina comme une véritable déesse et le petit être qu’elle portait comme un Dieu. Ils étaient au courant, le bruit avait dû se rependre. Certains même s’inclinaient d’autres essayaient de s’approcher pour venir la toucher, mais les Soldats les repoussaient fermement. Ça n’était pas elle qu’on regardait, ce qui lui aurait fortement déplu, en d'autres circonstances et avec une autre personne, mais avec Kashina tout étit différent. Ainsi, Lynce profitait de ce bain de foule admirative, c’était plaisant, et elle n’avait plus connu ça depuis bien trop longtemps à son gout. Elle sourit et posa une main caressante sur l’épaule de Kashina avait d’effleurer la tête d’Aemon.

Kashina, d’un enthousiasme communicatif, acheta du pain. Au fond, oui, elle avait réussi son coup à bien des égards, faire ainsi le marché, le regard des gens et la joie de vivre de son amante avait complètement changé les idées de Lynce. Elle avait déjà presque oublié sa tristesse, même si elle savait qu’elle reviendrait, quand elle serait seule, quand la nuit tomberait, tôt ou tard, les mêmes questions, les mêmes regrets éternels. Qu’importe, elle était bien décidée à profiter de l’instant présent avec sa chère et tendre qu’elle n’avait pas eu l’occasion de beaucoup côtoyer ses derniers temps. Lorsque cette dernière s’approcha d’un vieil esclave affamé pour lui donner un généreux morceau de pain, la veuve Feunoyr leva les yeux au ciel. Elle avait oublié la propension de son amie à aider tout le monde. Naïve ? Oui. Sans quoi, elle n’aurait pas aimé Lynce. Cette dernière sourit à cette idée et haussa les épaules. Après tout, pourquoi pas, si elle voulait donner à manger à cet homme, elle pouvait bien le faire, avec Aemon, elles étaient à l’abri de tout besoin. Elle dit, sur un ton un peu condescendant, mais aussi amusé :

__ Ma chérie… Avec tous les esclaves de cette ville qui ont à peine de quoi survivre, tu pourrais acheter la boulangerie entière et en distribuer tout le pain que tu ne viendrais pas à bout de la famine. Souviens-toi, dix esclaves pour un homme libre ! »

Elle avait toujours trouvé l’idée même d’aider les pauvres aussi farfelue qu’inutile, sans comptait que son odeur lui retournait l’estomac. Néanmoins, en voyant le regard que l’homme posa sur Kashina, elle vit une grande reconnaissance et se souvint que c’était ainsi que Cloporte avait promis d’offrir sa vie à la prostitue Sacrée, ce qui pouvait s’avérer fort utile. Mais lorsque d’autres esclaves s’approchèrent et demandèrent la bénédiction de la jeune femme et de son enfant, Lynce eut d’abord peur qu’elles soient mises en danger par un mouvement de foule, ou qu’ils les agressent puent et simplement. Avec seulement trois gardes, leur protection n’était peut-être pas si bien assurée que ça. C’est donc en serrant les fesses et en priant de toutes ses forces, R’hllor, mais un peu les Sept aussi, comme un ancien réflexe qui resurgissait dans le feu de l’action qu’elle les regarda s’amasser autour d’elles.
Le bruit et l’odeur étaient insupportable, elle manqua de tourner de l’œil et se raccrocha à la jeune mère pour se redonner pied et aussi être certaine de ne la perdre sous aucun prétexte. Les gardes serrèrent les rangs autour d’elles. Comment faire face à une foule aussi immense, même si elle semblait tout sauf hostile. Une fois qu’elle eut repris ses esprits et qu’elle fut habituée à l’odeur de crasse qui régnait, elle observa, leurs regards, tous admiraient la mère du Prince du Feu, la servante de R’hllor, tous voulaient qu’elle les touche, qu’elle leur parle, une telle ferveur, Lynce n’en avait jamais vu, même dans les yeux de ses amants éconduits… Elle savait jusqu’où un tel amour peut mener les hommes, celui-là semblait sans limite.

Lynce sourit à la réponse de Kashina. Elle avait peut-être raison, elle ne pouvait pas sauver tout le monde, mais ce n’était pas une raison pour ne sauver et n’aider personne. Une autre réalité lui apparut alors que la jeune mère lui rappelait que sans ce coup de pouce dans son enfance, elles ne se seraient jamais rencontrées. R’hllor devait être derrière tout cela, sans nul doute, pour que finalement la vie les mènes toutes deux à cet instant, tenant le tout petit qui sauverait le monde dans leur sein. Un bout de pain, un grain de sable dans le désert, mais un grain de sable qui pouvait donc changer le monde. Lynce laissa ses pensées divaguer sur ce sujet et sur les observations, on ne peut plus juste de sa chère et tendre.

La blonde n’était pas du genre à aider ou sauver qui que ce soit, sauf peut-être Kashina. Pourquoi elle ? Parce qu’elle était pure, douce, pas encore pervertie par le monde, parce qu’elle était telle une enfant qui vient sans à priori. Mais surtout, oui, surtout parce que la Danseuse Sacrée l’avait sauvée en premier lieu. Par toutes ses qualités et son talent au lit, elle l’avait sauvée de la lassitude avec Tregar, de la solitude dans ce beau palais doré. Elle lui avait redonné le gout de vivre et d’espérer, elle lui avait rappelé, par ses caresses, ce qu’étaient ses rêves de petite fille, rêves qui seraient réalité puisque Maggy la Grenouille l’avait dit…

Kashina l’avait sauvée, et Kashina était devenue, de fait, la seule personne au monde pour laquelle Lynce pouvait se sacrifier, la seule qu’elle pouvait suivre sans autre but que d’être avec elle, sans arrière-pensée. La seule à qui elle ne pourrait jamais faire de mal, même si sa réussite en dépendait. Et alors que cette pensée faisait le tour de son cerveau ils s’approchèrent effrayant la veuve Feunoyr avant qu’elle ne se rende compte qu’ils ne leur voulaient aucun mal bien au contraire. Elle posa les yeux sur chacun de ses gens et vit des regards plein de gratitude alors que c’est eux qui faisaient des offrandes. Elle sut alors qu’ils avaient été touchés par la grâce de Kashina et qu’il ferait n’importe quoi pour elle. Un léger sourire apparut sur son visage.

__ Tu as raisons ma chérie, aidons tous ceux que nous pouvons. »

Kashina lui lança un regard un peu perdu. Lynce lui répondit par un sourire et lui prit la main pour l’encourager et l’aider à garder pied. Elle aurait voulu parler, mais il était trop tôt encore pour qu’elle tire des conclusions et prenne le relais. Elle jeta un regard aux gardes qui étaient toujours là, pas tout à fait débordés, mais à la moindre alerte, ils le seraient.

__ Tenez-vous prêts à nous extraire d’ici sans violence si la situation dégénère, mais en attendant, restez calme, ces gens ne lui veulent aucun mal. »

Kashina se mit à chanter, mais dans la main, elles reprirent le chemin du temple, bientôt, tout en gardant un œil sur ce qui se passait, Lynce accompagna son amante au chant.

… l’aube va arriver
La nuit est longue, et le chemin est sombre
Regarde le ciel, parce qu’un jour prochain
L’aube va arriver »

Bon, au vue de cet amas informe d’esclaves et de pauvres, il faudrait certainement ordonner un peu tout ça car la populace avait besoin d’une chef ferme, sans quoi c’était n’importe quoi. Cela dit, déjà, certains connaissaient les derniers mots de la chanson. Mais malgré la peur de se faire écraser par cette foule calme, mais qu’un rien pourrait faire paniquer, Lynce exultait à nouveau car elle commençait à entrapercevoir le chemin que lui montrait R’hllor. Il répondait à ses prières, juste au moment où elle commençait à perdre la foi. Son chemin était plus que détourné, Jorah, Tregar, Baeron, de Westeros à Essos, mais il menait, sans nul doute, à son destin. Elle sourit et leva les yeux au ciel, se brulant les yeux en regardant le soleil, soupirant un « Merci » plein de gratitude et de soulagement car elle avait à nouveau un but dans la vie et ce but ne l’obligeait ni à tuer Kashina, ni à voler son enfant, mais juste à la suivre et à l’aider. Il ne restait plus qu’à atteindre le temple entières et à laisser faire le temps et la rumeur, même si la prochaine fois qu’elles sortiraient, il faudrait prendre plus de gardes. Car elles sortiraient à nouveau, bientôt, il le fallait, il ne fallait pas que ces pauvres hères oublient Kashina et le Prince qui fut promis, il fallait que, peu à peu, cette foule informe se transforme en une armée prête à conquérir le continent. Les esclaves, du fait de leur nombre et de leur besoin d’espoir constituaient une ressource inépuisable de soldats, cela dit, vouloir se battre pour la mère d’Aemon ne faisait pas d’eux des guerriers…
Lynce tenait à présent fermement Kashina par le bras et protégeait la tête du nourrisson pendant qu’elles avançaient et qu’elle réfléchissait à la suite des événements ce qui lui donnait un air décidé. Plus que quelques mètres, plus que quelques bénédictions...

Les pauvres hères, les opprimés,
murmurent dans l'ombre que l’aube va arriver
La nuit est longue, et le chemin est sombre
Regarde le ciel, parce qu’un jour prochain
L’aube va arriver.

La nuit et sombre, pleine de terreur,
Mais le prince est né, l’aube va arriver
La nuit est longue, et le chemin est sombre
Regarde le ciel, parce qu’un jour prochain
L’aube va arriver

Les feux s'allument, les âmes s’éveillent,
il est grand temps, l’aube va arriver
La nuit est longue, et le chemin est sombre
Regarde le ciel, parce qu’un jour prochain
L’aube va arriver»