La nuit était là et seul le halo rougeoyant du feu maintenait ses ténèbres à l'écart. Josua regardait les flammes danser comme il le faisait à chaque bivouac, chaque nuit. Il se perdait dans leur contemplation car elles agissaient sur lui comme un prisme, une fenêtre sur le passé s'ouvrant sur autant de formes et de visages qu'il en avait connu. Certains n'étaient plus, d'autres seulement disparus. Certains vivaient encore mais maudissaient son nom. C'était ces visages là qu'il redoutait le plus, ceux des fantômes assassins qui assaillaient son âmes pour la mettre en pièce. Pouvait-il les blâmer pour ça ? Assurément non, et de fait, il craignait leur colère autant qu'il estimait la mériter. De sa main prolongée d'un morceau de bois épais il entreprit de tisonner le feu pour en ranimer l 'éclat. Il craignait le néant et ses ombres rampantes, pensant au fond de lui qu'elles n'attendaient qu'une occasion pour lui sauter à la gorge. Il avait toujours eu peur du noir et ce aussi loin qu'il s'en souvienne. Il n'était pas lâche et ne craignait ni l'acier ni le feu mais la nuit,elle, recelait des menaces bien pires encore. Quiconque avait vécu suffisamment longtemps et suffisamment au Nord savait qu'en ces lieux régnaient une force ancienne contre laquelle nul homme ne pouvait se prémunir. Il vivait dehors depuis des semaines maintenant et chaque nuit il avait craint d'être engloutis par la Forêt. Mais celle-ci ne semblait pas vouloir de lui et se contentait de le tourmenter. Du vent hurlant dans les branches aux heures les plus noirs, aux pas faisant crisser la neige pour le sortir de ses torpeurs lorsque ses dernières barrières tombaient.

Cette nuit toutes les conditions étaient réunis. Le vent hurlait et balayait les flammes du feu avec force, projetant et déformant les ombres des troncs qui devenaient alors des spectres aux griffes longues et acérées. Les quelques flocons qui commençaient à tomber lui promettait le blizzard si leur chute s'intensifiait. Sa tente résisterait-elle à une tempête majeure ? Rien n'était moins sur. Les arbres parviendraient-ils à briser ses assauts ? Il l’espérait de tout son cœur. La dernière il l'avait affronter depuis l'intérieur rassurant d'une caverne, mais cette fois il était tout à la merci des éléments et il savait d’expérience que le froid et la glace faisaient plus de mort chaque lune que les monstres qui hantaient la Forêt. Il adressa une prière silencieuse aux Anciens Dieux, ceux qui détenaient encore le pouvoir véritable au delà du Mur. Il les implora de lui épargner une telle épreuve ce soir. Il n'avait pas véritablement dormi depuis des jours, il était maigre et affaiblit et il ne se sentait plus la force de lutter contre un ennemi pareil, pas cette nuit. Sa quête ne l'avait mener qu'au désespoir. Il avait marcher aussi loin qu'il avait pu, suivit les conseils des uns et les indications des autres sans jamais trouver quelqu'un qui soit susceptible de le guider. On l'avait envoyer à des rebouteux, des sorcières des bois, des charlatans souvent. Il n'avait eu qu'un nom, celui d'un change-peau reconnu dont il n'avait rien obtenu à part les pleurs de sa veuve. Il allait d'échec en échec, de déception en déception. Il était las, tout simplement. Il serait sans doute plus facile de s'allonger sur le sol gelé et de fermer les yeux. La mort le prendrait peut être cette nuit, tremblant de fièvre qu'il était. Ou alors il rejoindrait « son » esprit et se fondrait en lui. Il était si facile et si tentant de renoncer, de s'abandonner.

Mais quelque chose en lui s'y refusait. Un sentiment de révolte grondant contre le sort qui le poussait à lutter chaque nuit et à se relever chaque matin, avançant plus encore, traînant son traîneau derrière lui comme un fardeau qui s'alourdissait à mesure que ses forces le quittaient. Il n'avait plus la force de chasser, plus la force de penser. Le froid, la faim et la fièvre lui refusaient cela. Il n'était plus qu'un errant, une âme souffrante enfermé dans un corps meurtri et condamné à arpenter la Forêt comme s'il n'était plus qu'une coquille vide. Vide à l'exception de cette petite flamme, cette dernière lueur d'espoir qui continuait à brûler après que toutes les autres fussent éteintes. En y pensant bien, il ne craignait plus la nuit et les ombres car il ne craignait plus la mort. Ce qu'il redoutait à présent c'était que la dernière bougie ne soit soufflée, l’entraînant dans un puits intérieur sans fond et le menant tout droit à la folie.

Il fut tirer de sa torpeur par les grognements conjoints de bêtes en maraude. Dans un sursaut et aussi vite que son état le lui permettait il se saisit de la dague qu'il portait à la ceinture avant de pointer la lame vers l'origine du bruit. Il faisait sombre malgré le feu mais il parvint à distinguer deux silhouettes au moins. Celle qui retint d'abord son intention se tenait à quatre pattes et semblait énorme. Il n'en distinguait que de vagues contours tant elle semblait attirer les ténèbres et les absorber.

- Des ombres et des crocs souffla t-il tandis que son regard passait d'une forme à l'autre. La seconde se mouvait sur deux pattes et portait un arme, un arc, dont la flèche encochée dardait sur son cœur. La forêt avait décider de venir le prendre et elle avait envoyer pour cela ses limiers, un chasseur et sa bête pour le traquer. Son premier réflexe fut de reculer au plus profond de la tente, comme un enfant se cachant sous les couvertures pour échapper aux monstres.

Mais la peur n'évitait pas le danger et il n'existait pas de courage sans peur. Il était de mourir et il devait l'accepter avec courage. Doucement il rampa vers l'ouverture et chaque centimètre lui paru comme une éternité. Alors il se leva avec toute la dignité et les maigres forces qui lui restaient, manquant un instant de trébucher et de s’effondrer dans la neige aux pieds de ses bourreaux. Mais il parvint à conserver son assiette et sa dernière joie serait d’accueillir la mort debout, en digne représentant du peuple libre.
Le vent continuait de hurler et son maelstrom d'ombres mouvantes donnait un un air surnaturel à la scène, comme si elle était vu a travers un kaléidoscope maléfique. Le jeune homme déglutit lentement et abaissa son poignard. Il ne pouvait pas lutter aussi il était inutile de s'humilier en une parodie de combat. Mieux valait faire preuve de bravoure en acceptant un sort qu'il avait sceller des années auparavant. Il était maudit et la malédiction le rattrapait après avoir suffisamment ri de lui, lassée du jouet brisé qu'il était devenu. Il rengaina son arme, apprécia une dernière fois le bruit de la lame embrassant le fourreau en esquissant un demi-sourire puis porta de nouveau son regard sur les démons, de plus près cette fois.
L'un était le plus gros loup qu'il ai jamais vu, une créature infernale aussi massive qu'un poney, aux crocs immenses et au regard incandescent, meurtrier. A contrario, l'autre était une jeune femme aux traits sauvages, communiquant avec lui par grognements comme un loup à forme humaine. Sorcellerie, magie du sang. Les mots s'entrechoquèrent dans l'esprit de Josua. La femme s'adressa ensuite à lui. Un mot, un mot unique qui prenait tout son sens lorsque on le répétait suffisamment longtemps. Banni. Oui il était banni, mais pas par les hommes. Il s'était exilé de lui même pour porter son fardeau loin des autres, pour les mettre à l'abri du danger qu'il représentait.

- Maudit.

Il avait réussi à le dire suffisamment fort pour qu'elle puisse l'entendre, malgré sa voix éraillée. Le fait de parler avait raviver les craquelures de ses lèvres gercées à l'extrême et il lécha quelques gouttes de sang qui perlaient. Le goût du fer empli ses papilles, subtile mais présent. Un avant goût probable des prochaines secondes.

- Fuir ? Non, répondit-il dans un souffle. Je ne te crains pas, ni même la bête à ton côté.

Il serra les poings, son regard oscillant entre la traqueuse et son loup énorme dans une attitude défiante, gonflant sa poitrine dans un dernier sursaut d'orgueil. Mais voulait-elle vraiment sa mort ? Il venait à en douter. Elle ne le tenait plus en joue et semblait moins menaçante, s'était-il tromper sur ses intentions ? Il était trop tôt pour en être sur.

- Je suis Josua, le fils de Jaria la piqueuse. Je ne sais pas ce que tu es, mais si tu es faites de chair et de sang tu ne devrais pas t'approcher de moi. La mort marche sur mes traces.

A mesure qu'il parlait il semblait retrouver une voix et une diction plus assurée. Prit de vertige il vacilla une seconde mais réussi à retrouver son équilibre après un pas maladroit. La femme en revanche semblait en forme, forte et athlétique. Elle était grande et dardait un regard d'acier sur lui, tantôt dédaigneux, tantôt curieux. Un spectre ? Les spectres ne laissaient pas de traces de pas dans la neige. Peut être n'était-ce qu'une femme après tout. Il porta la main à son front et se massa les tempes. La fièvre le faisait délirer et il ne parvenait plus à démêler le vrai du faux, le cauchemars de la réalité. Il fit un pas dans sa direction, puis un autre tout en plissant les yeux pour mieux voir. Il ne s'approcha pas trop pour ne pas la provoquer, ni elle ni le loup.

- Tu as l'air réelle.

Ce qui compliquait les choses. Elle rôdait probablement alentours et il ne savait pas si elle tolérerait cette intrusion. Au fil des semaines elle semblait avoir dévoyer la nature du lien qui les liait ensemble. En le protégeant de ce qu'elle jugeait comme une menace, elle l'avait enfermé dans une prison de solitude sans barreau pour le retenir. Il pouvait aller à sa guise, ici et là, mais toujours son chaperon sur les talons. Elle veillait sur lui sans comprendre pourquoi elle le devait et cela la rendait violente et agressive. Ils n'avaient aucune expérience en la matière et leurs lien se résumait en un partage d'émotions négatives : la méfiance, le doute, la peur, la colère et la contrainte. Cela empoisonnait leurs esprits, lentement mais sûrement. Il soupira et s'accroupit, portant ses mains à son visage.

- Dieux...je suis fatigué. Je crois devenir fou, dit-il en soupirant, tu devrais partir ou elle va te tuer.

Son ton était ferme mais son regard n'exprimait qu'une profonde empathie, une condoléance anticipée, comme s'il pouvait prédire l'avenir et en était désolé. Il savait au fond de lui que ses menaces étaient vaines, on le prenait toujours pour un fou c'était là sa malédiction. Certains refusaient de perdre leurs temps avec lui, d'autres pensaient qu'il était un oiseau de mauvais augure ou que ses paroles recelaient tout de même un fond de vérité. Ceux là tournaient les talons et vivaient. D'autres se moquaient de lui ou tentaient d'abuser de sa faiblesse physique et du fait qu'il soit simple d'esprit ou dérangé pour essayer de le voler. Un homme avait essayer de l'aider une fois et avait partager son feu durant quelques heures en dépit de ses avertissements. Elle lui avait broyer le crâne de ses mâchoires après l'avoir projeter contre un tronc d'une charge aussi puissante que soudaine.
Elle était imprévisible et frappait parfois dans la seconde, parfois au bout d'une heure ou d'une journée, mais elle frappait toujours avec la même férocité, c'était la seule constante.

- Si tu étais seule...mais le loup...

Il laissa la fin de la phrase en suspens, hochant gravement la tête d'un air sinistre. Lorsque elle se rendrait compte de la menace, elle attaquerait, tempête de griffes de crocs et de rage.

- Va t'en. dit-il en se redressant puis en se détournant d'eux. Pensant que son indifférence la forcerait à se désintéresser de lui et à partir.

- S'imposer ? Demanda-t-il en braquant ses yeux brillants de fièvres sur la jeune femme qui venait de congédier sa bête, son frère comme elle l'avait désigné. A quoi pense tu ? Regarde autour de toi, il désigna le modeste campement d'un geste circulaire avant de poursuivre, Je serais bien en peine de m'imposer de quelques manières que ça soit.

Il réfléchit un instant car il craignait de ne pas avoir prit la pleine mesure de son conseil, a quoi pouvait-elle bien faire allusion ? L'exhortait-elle à lutter contre sa condition ? Ou bien faisait-elle allusion à autre chose, quelque chose qu'elle ne pouvait pas savoir. S'imposer...c'était loin d'être facile sans clé en main. Rasséréné par le départ du loup, il fit quelques pas dans sa direction tout en resserrant autour de lui les pans de la peau qu'il portait en guise de cape.

- Comment as-tu fais pour dresser le loup, Maytook ? J'ai vu comment tu le domine, ça n'a rien d'un savoir faire ordinaire...

Et si elle était comme lui ? Et si elle était la réponse à ses prières ? Le guide que les Anciens Dieux lui envoyaient pour l'aider à apprivoiser sa condition nouvelle ? Il s'approcha encore de sorte qu'il n'était plus qu'a quelques pas de la jeune femme. Il la distinguait bien mieux à présent. Il fut frapper par sa jeunesse car elle ne paraissait guère plus vieille que lui.

- Tu...tu rêves toi aussi ? Tu rêve du loup ? Demanda t-il maladroitement, poussé par l'étincelle du dernier espoir qui se ravivait à présent. J'erre...j'erre depuis si longtemps que j'ai perdu le fil des jours. Je cherchais quelqu'un comme toi. Quelqu'un qui puisse m'aider à comprendre, quelqu'un pour me guider.

Il avait l'air piteux, décharné et sale. Son babillage devait probablement le faire passer pour un fou, mais il en avait l'habitude à présent. S'il y avait une chance pour qu'elle comprenne, il devait la saisir.

- Tu dis que tu veux m'aider hein ? N'est-ce pas ? Ce n'est pas de nourriture dont j'ai besoin, j'ai besoin de connaissance. Tu comprend non ? Lorsque je dors je suis dans sa tête, et je ne sais plus qui je suis. Je suis un homme tu vois ? Dit-il en agitant ses mains tremblantes devant lui. Je suis un homme oui, mais il m'arrive de l'oublier. Je ne dors plus, parce que je crains de ne plus retrouver le chemin. Tu comprend Luna ?

Luna...son nom sonnait comme une promesse. Malgré le vent, le froid et la fièvre, il ne put s'empêcher de sourire. C'était un pauvre sourire, triste, aux lèvres craquelées, mais il venait de trouver un feu dans les ténèbres, un phare dans sa nuit, et cela suffisait pour le lui arracher.
Mais un grondement sourd vint tout balayer. Celui la il reconnaissait entre tous, car c'était le sien. Elle émergea des sous-bois en se traînant de son pas lourd et nonchalant. Elle était énorme, et l’œil d'un chasseur aguerri pouvait l'évaluer à près de douze pieds de haut. Son crâne triangulaire et massif se terminait en une gueule barbelée de dents aussi tranchantes que des rasoirs qu'elle laissait entrevoir en grondant en direction du couple. Elle aussi souffrait du manque de nourriture, son pelage blanc était en mauvais état et on pouvait y déceler des traces de luttes à divers endroits. Elle s'arrêta à une centaine de pas d'eux, les considérant un moment en silence avant de se dresser sur ses pattes arrières, immense et menaçante, l'écume aux lèvres.

- Non...non non non ! NON ! Cria l'homme en s'interposant entre l'ourse et la jeune femme, bras en croix et l'air affolé. Ne fait pas ça je t'en prie ! Elle peut nous aider ! Tu ne comprend pas ? Elle peut nous aider ! Je t'en prie ! Tu dois m'écouter !

Son cauchemars prenait corps une fois de plus et il savait qu'une fois encore il se terminerait dans le sang. Le feu mourant n'éclairait plus qu'a quelques pas et le reflet de la lune dans le pelage de la bête lui donnait un air fantomatique, irréelle. Sans la lâcher du regard le change-peau s'adressa à la chasseuse.

- Dit moi ce que je dois faire !

L'ourse semblait hésiter à présent. Elle s'agitait nerveusement, tournait sur elle même en se dressant parfois sur ses pattes, grondant à l'intention des hommes dont la présence semblait l'irriter. L'instinct la poussait à suivre Josua sans qu'elle sache pourquoi et à l'encontre de sa nature sauvage. Elle ignorait la condition exacte de la contrainte mais comme bien souvent, l'ignorance se muait en peur et en colère. Elle n'était pas chez elle ici, trop au sud, et la grève gelée lui manquait. Il n'y avait pas de phoques dans les bois, pas de grands espaces à parcourir, juste la promiscuité des arbres et l'obscurité entêtante qu'ils plongeait sur elle à longueur de journée. Son mal-être se traduisait par une agressivité sans bornes envers ceux qui s'approchait de lui. Elle ne pouvait pas le blesser, mais elle pouvait s'attaquer à tous les autres. Elle se dressa une dernière fois, sonnant le glas de sa voix rauque avant de charger de tout son poids, avec toute sa rage, soulevant autour d'elle des gerbes de neiges et faisant presque trembler le sol.

- Non...murmura le sauvageon.

Encore une fois elle allait tout détruire, le priver de la seule et unique chance qui se présentait enfin et les priver tous les deux d'une aide salutaire. Il la suivit des yeux, admirant malgré lui la puissance des muscles qui jouaient sous une peau que les privations avaient dégraisser au maximum. Son souffle rauque et saccadé formait des volutes autour de son crâne massif et son grondement sourd ponctuait chacun de ses élans. Elle serait bientôt sur eux et se transformerait alors en tempête de crocs et de griffes, un maelström de mort. Que pouvait-il faire pour l'en empêcher ? Dans sa meilleure forme il n'avait pus rivaliser avec elle. Aujourd'hui avec son corps malingre et affaiblit il ne pouvait qu’être un témoin dévasté. Non. Il refusait de continuer comme ça.

- Approche ! Lui cria t-il tout en extirpant sa dague de son fourreau.

Il allait mettre fin à tout ça une bonne fois pour toutes. Il allait couper le lien et tant pis s'il y laissait la vie. Il ne laisserait pas un autre innocent mourir par sa faute. Il leva bien haut le bras et le clair de lune se refléta dans la lame. Il hurla avec ses dernières force, éclaboussant sa barbe de bave et de postillons. Un cri ferme, assuré, un cri de défi. Plus que cinquante pas, peut être moins. Lorsque elle serait sur eux elle attaquerait de ses pattes avant, si elle se dressait au garrot il se glisserait contre elle et tenterait d'atteindre son cœur. Il aurait une chance et une seule. Il devrait plonger la lame de toutes ses forces et sans trembler, il ne voulait pas qu'elle tue mais il ne voulait pas qu'elle souffre. Plus qu'une vingtaine de pas. Elle le suivait depuis si longtemps maintenant, il lui devait bien ça. Il fallait que ça soit rapide. Elle était esseulée, loin de chez elle, contrainte comme lui. Elle était sa seule compagnie et à présent il se rendait compte qu'il s'était fait à sa présence. Elle veillait sur lui malgré tout, et pour chaque mort qu'il lui imputait, combien de fois lui avait-elle sauvé la vie dans ces bois sans qu'il n'en sache rien ? Elle n'avait jamais fait montre d'agressivité envers lui. Jamais. Et pour merci il ne lui offrait que la mort. Qui était le monstre à présent ?

Lorsque elle fut sur eux tout se passa en un éclair. Elle freina brutalement devant l'homme en l'éclaboussant de neige molle, puis se dressa sur ses pattes avant de gronder, écumante. Le chasseur sentit ses jambes trembler. La peur ou la faiblesse ? Il ne prit pas le temps de réfléchir et s'élança vers elle en serrant le manche en os dans son poing. En dépit de ses espérances l'ourse retomba à quatre pattes et ne lui exposait plus que sa large tête. Il se tenait toujours entre elle et la jeune femme, campé sur ses faibles appuis et l'arme au poing. L'ourse, elle, semblait attendre qu'il se décide en le regardant fixement. C'était la première fois que ce petit homme s'interposait aussi franchement et cela la perturbait.

- Va t'en, lui dit-il, alors qu'ils croisaient leurs regards.

Non. Il ne pouvait pas frapper. Il ne pouvait pas la tuer, elle qui tuait pour lui. Il baissa son poings armé et le laissa retomber sur sa cuisse. Il ne la tuerait pas, mais il ne la laisserait plus faire. Il avait trouver le courage de l'affronter cette fois et la voir hésiter ainsi démultipliait sa détermination. Luna était essentielle pour eux et si elle ne le comprenait pas il la réduirait à l’obéissance.

- VA T'EN ! Hurla t-il avant de se mettre à pousser des cris tout en agitant les bras pour tenter de l'effrayer, VA T'EN ! VA T'EN !.

La bête recula de quelques pas en grondant tandis que Josua, enhardit, continuait d'avancer en braillant.

- VA T'EN !

Elle se dressa à nouveau sur ses pattes arrières et gronda comme le tonnerre, défiante. Il répondit en levant haut les bras comme un épouvantail, s'époumonant à son tour et dardant sur elle le regard fou d'un homme se sachant aux portes de la mort. Elle retomba lourdement devant lui en gémissant une sorte de complainte puis tourna brusquement les talons et s'éloigna vers le couvert des arbres d’où elle avait jaillit, sans se retourne en laissant l'homme essoufflé, tremblant et surpris. Il la regarda s'éloigner puis disparaître sans bouger, comme figé par la surprise. Jamais il n'aurait cru la faire fléchir ainsi.

A présent il savait qu'il tremblait de peur. Il avait peut être même mouiller ses chausses mais comment le dire ? Il avait trop froid pour en sentir l'humidité. Il abaissa les bras et rangea son arme machinalement avant de se tourner vers Luna, les yeux exorbités. Il en avait presque oublié sa présence.

- Je...est-ce que tu va b...

Il ne parvint pas à finir sa phrase car le monde devint noir autour de lui et il s'écroula dans la neige dans un bruit mat.