Alors que la nef qui ramenait Lady Ashara Arryn dans le Val voguait sereinement sur les flots gris-verts, une tempête se préparait, qu’on ne peut contrôler, une de celle, pourtant, qui ne se voit pas. Dans l’esprit de la jeune fille un millier d’idées et de sentiments contradictoires n’avaient cessés de se bousculer tout au long du voyage qui touchait presque à sa fin alors qu’on voyait le port de Goëville s’approcher depuis le lever du jour. Et comme son humeur, le soleil clair avait illuminé l’aube pour s’assombrir finalement et se cacher derrière les nuages. Se cacher. Peut-être aurait-elle préféré rester cachée à Roche Aux Runes comme depuis le début de sa courte vie. Une vie tranquille et simple qui venait d’être chamboulée.

Intendante du Val. Si la brunette, du haut de ses treize ans c’était attendue à ça pour son anniversaire célébré en grande pompe à Port-Real ! La fierté se mêlait à la peur, la peur au doute et le doute au sens du devoir et de l’honneur qui lui avait été inculqué depuis sa plus tendre enfance. Enfance qui avait définitivement prit fin lorsque Lord Jon Arryn s’était levé pour porter un toast et avait ainsi annoncé sa décision de la mettre, elle, au même niveau que Nestor Royce, à la tête du Val. Comme elle était jeune, elle se sentait incapable d’accomplir cette tâche confiée par son grand-oncle et mentor, un exemple de génie diplomatique qu’elle souhaitait plus que tout essayer d’égaler, si les Sept lui en donnaient la force et l’intelligence. Elle pensait à un mariage, elle pensait à un voyage, mais pas à ça, cette charge, cette responsabilité. Ce genre de titre était d’habitude réservé aux hommes, mais en l’absence d’héritier assez âgé pour tenir ce rôle, en l’absence de mâle dans la lignée Arryn, c’était elle qui avait été choisie. Soit.

Ainsi, le Mestre envoyé par Jon à Roche aux Runes, ses nombreuses visites à Port Real, aux Portes de la Lune et aux Eyrié, les encouragements du Gouverneur de l’Est à étudier la politique et même la stratégie militaire, prennaient leur sens. Ces longues discussions dans la Tour de la main sur ce qui fait un bon gouverneur, sur les choix qu’on doit faire lorsqu’on a la responsabilité d’une région, d’un peuple, de vassaux. Tout cela prenait son sens à présent. Quelque part, elle s’en doutait depuis un moment, qui d’autre qu’elle pour hériter du Val, Harrold Hardyng ? A priori, Jon ne le portait pas dans son cœur, ni lui, ni sa Maison non plus qu’Anya Vanbois. En tout cas, il ne lui avait envoyé aucun Mestre ni ne l’invitait souvent à Port-Real pour le montrer à la cour et le faire accepter des puissants du Royaume. Mais cela, c’était du temps où il n’avait pas d’héritier, Lady Lysa se révélant incapable de lui donner le moindre descendant. Elle aurait pensé que la naissance de Robin aurait pu lui faire changer d’idée. Ça n’était pas le cas. Peut-être parce que le petit, malingre, semblait ne pas devoir survivre bien longtemps. Néanmoins, il vivait, et ce depuis deux ans, un page fatidique disait-on, une bonne chose pour la lignée et la Maison Arryn, une bonne chose pour le Val.

Evidemment, la nouvelle n’était pas encore parvenue à la population et bien qu’Ashara c’était souvent rendue à Goëville pour différentes raisons et que certains pourraient la reconnaitre, la vie sur le port continuait malgré sa présence. Certains néanmoins, sa robe de brocard bleue et blanche brodées de perles faisant foi, s’inclinaient devant elle parce qu’elle était noble et d’autres la regardaient, parce que c’était une belle jeune fille. En revanche, les seigneurs de la cité portuaire et des alentours avaient, eux, reçu des corbeaux et certains étaient venus rendre leurs hommages à la brune. Ils étaient en train de faire des courbettes et de lui promettre leur soutien et leur loyauté lorsqu’elle entendit une conversation qui tournait vinaigre non loin de là.

Elle cessa d’écouter leurs sornettes pour suivre ce qui se passait et, sans vraiment s’en rendre compte, escortée évidemment de quelques soldats elle s’était approchée. Les vassaux quant à eux, la regardaient s’éloigner d’eux, vexés ou simplement étonnés que leurs platitudes enrobées du miel de l’hypocrisie ne prenne pas sur une enfant si jeune et donc probablement facile à duper. Mais c’était bien mal connaitre Ashara, elle avait été guidée et conseillée par des hommes aguerris aux jeux de la politique et elle n’était pas femme à se laisser séduire par quelques compliments et de vaines promesses. Elle était peut-être une enfant, mais elle était aussi un Faucon qui scrutait le monde d’un œil acéré. Peut-être, finalement que Jon ne l’avait pas choisie au hasard. Il fallait l’espérer.

Le chef de sa garde allait l’annoncer lorsqu’elle leva la main pour qu’il se taise. Etonné par se geste plein d’autorité, Ser Neraron Vanbois qui venait de quitter Port-Real pour faire du baby-sitting et ne se réjouissait absolument pas de ses nouveles fonctions, se tut. Il le regretta dans l’instant car il n’avait pas envie d’obéir à une enfant, toute Arryn soit elle et qu’il aurait mieux fait de continuer sur sa lancée, désormais, s’il l’annonçait, se serait de la désobéissance pure et il avait trop de respect pour Jon Arryn pour décrédibiliser sa pette protégée aussi ouvertement. Elle attendit, mains jointes devant elle que les deux hommes la remarquent, avec les boucliers ronds frappés du faucon et du croissant de lune sur fond bleu et les capes assorties de ses gardes, cela ne devrait pas trop tarder. En attendant, elle en apprenait le plus possible sur la situation. Si démêler l’embrouille devait être son premier acte d’Intendante du Val, elle n’avait plutôt pas intérêt à se planter !

Elle s’éclaircit la gorge tout de même au cas où ils ne l’aient pas remarquée, preuve de son inconfort et d’un léger manque de confiance en elle bien qu’elle essaye tant bien que mal de n’en rien montrer.

L’homme qui, d’après ce qu’elle avait compris, ne voulait pas acheter le cheval livré parce qu’il ne correspondait pas à la commande, la salua. Il ne s’inclina pas. Il aurait dû. Mais en un sens, elle ne savait trop pour quelle raison, elle préférait son simple Ma Dame sans fioriture ni courbettes à toute les révérences mielleuses qu’on lui avait servi jusqu’ici. Néanmoins, elle planta son regard dans celui de Willem pour l’inciter à baisser les yeux et attendit patiemment à la fois qu’il s’exécute et que le vendeur de chevaux ait terminé de s’énerver tout seul.
Il devait faire deux têtes de plus qu’elle et deux fois sa carrure, mais elle n’était pas femme à se démonter pour si peu, même si, elle devait bien se l’avouer, elle n’aurait pas aimée se retrouver seule face à lui en combat. Clairement, elle ne ferait pas le poids, cela dit, elle ne ferait le poids contre aucun des hommes qui l’entouraient, sauf peut-être le maquignon et certains de ses nobliaux qui préféraient la parlote à l’entrainement. Elle était une femme, elle avait appris à se battre, mais elle ne se faisait pas d’illusion sur ses chances de survie sur un champ de bataille. Elle admirait d’autant plus ceux qui s’y jetaient à la vie à la mort et respectaient d’autant plus les vies humbles perdues dans les guerres menées au nom des Maison nobles.

Parmi ses hommes prêt à se sacrifier pour un autre, il y avait ses gardes, oh probablement pas tous, elle n’avait pas encore eut le temps de voir de quel bois ils étaient faits et moins encore d’en recruter d’autres dont elle soit sûre. Ser Neraron, elle le savait, la méprisait et haïssait cette nouvelle charge. Il ne savait pas cacher ses sentiments malgré une certaine courtoisie toute misogyne. Mais il avait été nommé par Jon Arryn en personne à la tête de ses protecteurs et son nom de famille le rendait indétrônable. Néanmoins, pensait-elle, il ferait ce pour quoi il avait été nommé, pas pour elle, mais pour Lord Jon et pour sa propre réputation. C’était un guerrier dans l’âme et il ne laisserait pour rien au monde mourir une donzelle sous sa protection fusse-t-elle une insupportable gamine qui ne méritait pas sa place et encore moins le pouvoir que le Sire des Eyrié lui avait confié.

__ Mon brave. » Répondit Ashara sur le même ton que Willem attendant que le maquignon ait terminé.

Elle ne savait pas qui il était, moins encore s’il était chevalier ou simple reitre, elle ne voulait pas lui accoler un titre qu’il ne possédait pas aussi attendrait-elle d’en savoir plus pour l’appeler autrement. Cependant, à peine eut elle prononcé cette formule qu’elle la trouva ridicule et se sentit fautive d’avoir utilisé ce terme. Un petit rictus de remord traversa son visage d’albâtre. Elle baissa les yeux, souffla son embarras, se mordit la joue, releva la tête et reprit sa stature altière. Elle inspira profondément pour se donner du courage et se présenta d’une voix claire et aussi assurée que possible dans de telles circonstances.

__ Je suis Lady Ashara Arryn, fille d’Elbert Arryn, petite nièce de Lord Jon Arryn, seigneur de la maison Arryn, Gouverneur de l’Est, défenseur du Val, Sire des Eyrié et Main du Roi. Il m’a nommée surintendante du Val d’Arryn. Aussi, je suis en droit de rendre la justice ici même. Présentez-vous et donnez-moi votre version des faits. »

En réalité, elle en savait assez, mais elle voulait l’entendre de leur bouche devant-elle, voir comment chacun se comporterait, et
Elle désigna Willem.

__ Commencez. » ajoute-t-elle en désignant Willem

Sa voix était assurée, elle avait joué à ce jeu depuis trop longtemps pour se rater maintenant. Faire semblant d’être sûre d’elle, tenir son rang, ne pas trembler, elle savait faire. Mais était-il besoin de se perdre dans sa généalogie et dans la liste des titres de lord Jon quand le sien suffisait amplement ? Elle avait besoin de ça, pourtant, pour se sentir à sa place en tant que juge, pour se légitimer en tant que surintendante. Tout son pouvoir venait de lui, son nom ne suffisait pas, ni celui de son père, ni ses efforts pour apprendre tout ce qui ferait d’elle une bonne suzeraine, parce qu’elle n’était qu’une femme et que dans ce monde, les femmes ne gouvernaient pas, et moins encore les enfants de treize ans, elle le savait et il était difficile pour elle de se faire à l’idée. Elle se sentait si petite et si faible dans ce monde de requins. Y arriverait-elle ?
Elle serra le poing pour reprendre contenance.

Surintendante depuis à peine plus d’une lune le temps de rentrer de Port-Real à Goëville et de reposer le pied sur sa terre chérie. Les années d’entrainement à ne pas trop montrer ses sentiments, à essayer de faire bonne figure en tout lieu et toute situation et à paraître digne de son nom et de son rang que ce soit, comme ce jour les pieds dans la fane ou dans les luxueux couloirs du Donjon Rouge avaient donc portés leur fruits. Du moins faisait elle de son mieux pour ne pas montrer combien elle était terrifiée de faire une erreur et en proie aux doutes qui assaillent toute personne portant le fardeau du pouvoir et souhaitant s’en acquitter dans le respect de sa fonction et l’amour de son peuple.

Suite aux explications de Willem, Ashara donna la parole au maquignon qui lui dit, le plus poliment du monde évidemment, que c’étaient là les deux chevaux qu’on lui avait confié pour ce long voyage pénible. Que s’il y avait eu un malentendu entre l’éleveur et l’acheteur, il n’y était pour rien, mais qu’il n’avait pas d’autre Destrier à fournir et que s’il revenait avec un des deux chevaux, non seulement il lui faudrait payer le retour de sa poche, mais en plus, l’éleveur risquait fort de ne pas le rembourser et de lui laisser sur les bras.

__ Je vois. » Répondit la petite brune en cherchant une solution.

Plusieurs problèmes se posaient, l’achat du cheval pour éviter au vendeur de le ramener et de se retrouver dans la situation qu’il avait décrite et qu’elle pensait véridique ou en tout cas plausible, mais aussi le fait qu’il manquerait un Destrier à Fort Etoile à cause de cette méprise. Pour ce point, elle avait sa petite idée, en revanche, elle ne savait vraiment pas quoi faire pour le palefroi de trop. Elle aurait pu le racheter, hélas, elle en avait déjà un, tout juste offert par son grand-père, Lord Yohn Royce et en acheter un second ne serait que de l’argent jeté par les fenêtres. Ça na serait que piètre action que de dépenser de l’argent pouvant servir aux nécessiteux par exemple, pour régler un tel conflit. Sans qu’elle s’en rende trop compte, toute concentrée qu’elle était sur le fait de trouver une solution juste, les minutes s’écoulaient lentement en silence tout autour d’elle et la jeune fille était scrutée par ses vassaux et ses gardes.

__ S’il ne livre pas la bonne marchandise, il n’a qu’à rentrer chez lui avec ! » dit Neraron Vanbois avant qu’Ashara ne lève la main pour le faire taire.

Certes, la solution de facilité, une solution simple, voir simpliste. Cela ressemblait tout à fait à Ser Neraron, on ne pouvait demander à un chevalier tel que lui de faire de la politique. C’était un excellent combattant, probablement le meilleur qu’elle aurait jamais à son service, mais il était dénué de toute finesse d’esprit et plus encore d’empathie et de sens de la diplomatie. Chaque décision entraîne des conséquences et c’était encore plus vrai quand on était une Arryn et plus vrai encore quand on était surintendante du Val, qu’on était une femme et qu’on avait treize ans. Ashara en était parfaitement consciente, elle ne devait pas faire d’erreur, elle sentait derrière tous les yeux la scruter, elle entendait presque leurs murmures mauvais, elle les entendait penser que Jon n’aurait jamais dû la nommer et qu’on ne saurait être gouverné par une femme, une enfant qui plus est. C’était ce qu’elle voulait justement éviter, pas pour elle, mais pour son Suzerain et mentor. Elle avait trop de respect pour lui pour le mettre ainsi dans l’embarras et elle ne saurait souffrir d’entendre la moindre mauvaise parole sur lui. Elle avait trop d’amour pour le Val pour risquer que se répande la rumeur que ses gens étaient de mauvais payeurs. Elle avait trop d’amour propre pour laisser dire que la gamine qui gouvernait manquait de respect aux étrangers et se laisser dicter ses décisions par le capitaine de sa garde. Peut-être était-elle un peu paranoïaque, mais elle avait vraiment l’impression de les entendre chuchoter, en un sens elle comprenait, elle avait tout à prouver, elle devait gagner leur respect, tout au moins. Lord Jon était sage, mais il avait pris un énorme risque en la nommant à ce poste, une femme aussi jeune, toute Arryn qu’elle était, il devait avoir une sacrée confiance en elle, elle en était honorée, raison de plus pour ne pas faire n’importe quoi.

Ils me promettent monts et merveilles, une fidélité sans faille, leur soutien inébranlable, une loyauté absolue. Ils font des courbettes parce qu’ils croient qu’il sera aisé de gagner ainsi la confiance d’une enfant naïve et qu’ils ont tout à y gagner. Ils pensent me berner et gagner en influence en me manipulant pour aller dans leur sens. Mais ils n’attendent qu’une chose : me voir chuter pour rapporter mon incapacité à gouverner à Lord Jon et Nestor Royce, pour que me soit retiré ma charge. Ce n’est pas à eux de m’accepter rien que parce que je suis née Arryn, c’est à moi de leur montrer que je suis bel et bien une Arryn, et que je suis à la hauteur des attentes de mon Suzerain. Tous ne sont pas ainsi, non, mais tous, probablement doutent que j’en sois capable. Ils me disaient, il y a quelques minutes encore, tout ce que je voulais entendre, mais là, il n’y a plus personne pour m’aider, pour me conseiller en tout discrétion, pour… Un sourire en coin apparut furtivement sur son visage avant qu’il ne se transforme à nouveau en une douce frimousse de jouvencelle. Pour acheter ce cheval !

__ Capitaine, payez cet homme pour le destrier, il est à vous, ou plutôt à votre maître. Et puisque Fort-Etoile a besoin d’un second cheval de guerre, soyez devant ce bateau à l’aube demain, prêt à voyager. » Elle désigna le bateau duquel elle était descendue, sourit à Willem et se tourna vers le cheval.

__ Fais le trotter pour voir ? » Dit-elle au palefrenier qui tenait le palefroi. « Montrez donc cette belle monture aux fidèles seigneurs du Val qui sont venus si courtoisement me prêter allégeance et me témoigner leur soutien dans ma toute nouvelle charge. » Ajouta-t-elle en se tournant vers les vassaux de Lord Jon avec un large sourire.

Le garçon d’écurie s’exécuta après un bref coup d’œil au maquignon qui lui fit signe de se dépêcher d’obéir. Le cheval aubère avait un port altier et un joli trot régulier.

__ Rouge et blanc, Lord Horton Rougefort, comme votre blason. Vos écuries n’attendent que lui ! » Dit-elle en montrant d’un geste gracieux le cheval en train de se pavaner dans la boue du port. « Lady Anya Vanbois, avec une si grande famille, je ne peux croire que personne à Chênes-en-fer n’a besoin d’une monture, votre pupille peut-être… »

Ashara sourit à la Dame en se demandant comment elle prenait la nouvelle étant donné que son fameux pupille n’était autre que l’héritier putatif de Lord Jon. Puis, elle s’approcha d’un autre de ses vassaux

__ Qui à Goëville pourra s’enorgueillir d’avoir acquis un si beau palefroi et rendu un grand service à la Surintendante du Val ? Lord Gerold Grafton ou Ser Damon Shett ? »

La petite brune jouait sur les rivalités entre ces deux familles de la seule véritable ville du Val, un jeu qui pouvait être dangereux, mais qui pourrait s’avérer fructueux.

__ Lord Uthor Tallett, vous êtes un vassal de la Maison Royce, Maison de mon grand-père maternel elle-même vassale de la Maison Arryn, cela fait deux fois plus de raison de m’aider ! N’est-il pas digne du sire de Grey Glen ? » dit-elle sur un ton enthousiaste.

Elle fit signe au palefrenier d’approcher et flatta l’encolure du palefroi.

__ Ser Edmund Cirley, regardez sa crinière, n’est-elle pas comme une flamme dans la nuit ? » fit-elle remarquer alors que l’équidé s’ébrouait.

Elle fit signe de faire marcher le cheval et attendit une réponse.

Lord Horton fut le premier à répondre, mais d’autres l’auraient fait s’il n’avait pas été le premier. Dommage, avec un peu plus de confiance en elle, elle aurait même pu faire monter les enchères se dit-elle avec un léger sourire. De toutes les personnes présentes, c’était probablement le Sire de Rougefort qu’elle appréciait le plus, et le fait qu’il fasse ce geste supplémentaire ajoutait une pierre de plus à l’édifice de la confiance qu’elle lui portait. ‘As strong as stone’, telle était leur devise, et ils avaient effectivement cette force des premiers hommes et un peu plus d’humilité que bien des familles de leur importance, humilité offert par la montagne elle-même au cœur de laquelle ils résidaient. Ashara inclina légèrement la tête et sourit avant de faire une dernière caresse au palefroi.

__ Le Val vous remercie pour votre geste Lord Horton, je ne pense pas que vous aurez à regretter votre achat, ais si tel était le cas, faites le moi savoir, nous sauront retrouver l’éleveur de ce cheval pour obtenir réparation. » Elle se tourna vers le maquignon avec un regard dur avant de lui sourire.

L’écuyer du Seigneur s’approcha pour prendre le cheval au palefrenier après que Lord Horton ait jeté une pleine bourse au maquignon. Celui-ci comptait encore ses pièces d’un air satisfait quand la petite brune s’adressa à lui.

__ Je crois que votre problème est réglé, plus rien ne vous retient ici désormais, néanmoins, je ne saurais que trop vous conseiller l’Auberge du Faucon d’Argent pour vous restaurer et vous reposer avant le long voyage de retour qui doit vous attendre… »
__ Oui Ma Dame, je vous remercie. J’irais peut-être faire un tour en ville, mon bateau ne repart que demain matin pour Port-Real. »
__ Bonne continuation alors, et bon vent pour demain. »

Ashara, satisfaite, alla rejoindre ses hommes et ses vassaux qui admiraient la nouvelle acquisition de Lord Horton et le maquignon retournèrent à ses occupations. Peut-être, à bien y réfléchir, que l’auberge que lui avait conseillée la jeune surintendante était un peu chère pour ses moyens, mais si celle-là ne lui convenait pas, il y en avait quelques autres à Goëville qui saurait lui aller, tout ce que désirait la jolie brune, c’était qu’un peu de l’argent qui lui avait donné Lord Horton soit dépensé dans le Val, tel un juste retour des choses.

__ Dame Ashara, j’ai fait préparer un banquet pour vous, si vous voulez bien me faire l’honneur. »
__ Avec plaisir Lord Grafton ! J’espère cependant que vous avez prévu assez à manger pour tous les Dames et Seigneurs ici présents ! »

La jeune fille sourit au Seigneur de Goëville et attendit qu’il élargisse son invitation à tous les hommes présents, ce qu’il fit, à contre cœur vue sa mine. Puis, elle le suivit dans les rues de la ville, bien entourée de ses soldats et de ceux qui avaient accompagné Lord Gerold. Elle s’arrêta néanmoins pour donner quelques sous de cuivre à un mendiant qu’ils croisèrent, lui souhaitant des jours meilleurs…
Durant le diner, elle demanda à Lord Gerold s’il y avait beaucoup de mendiants à Goëville, ce à quoi il ne sut pas répondre. Il faudrait qu’elle revienne pour voir, elle ne pouvait tolérer que des Valois meurent de faim dans les rues de la cité portuaire, cela dit, elle ne pouvait pas non plus les inviter chez elle, elle n’était pas Septa et qui plus est, elle n’avait pas spécialement envie de partager sa table et moins encore ses draps avec de pauvres vagabonds puants…


Le lendemain à l’aube, Ashara retourna à son bateau et fit préparer son poney, ses gardes firent de même pour leurs chevaux et la petite troupe se prépara à prendre la route, les écuyers s’occupant des montures et les valets de charger les affaires de tout ce beau monde dans des chariots. Elle prenait son petit déjeuner dans sa cabine lorsqu’on lui annonça que Willem était arrivé. Tout n’était pas encore tout à fait prêt, aussi, elle demanda qu’on propose à Willem et ses hommes de manger quelque chose à bord, puis elle termina de se préparer. Lorsqu’elle sortit, dans une robe simple de voyage en laine noire et blanche avec une capuche, elle surprit une conversation entre Ser Neraron Vanbois, Ser Ceighton Rougefort et Ser Barristan Tallett.
Creighton n’était autre que le second fils de Lord Horton et l’épée lige de la jeune femme depuis que sa mère avait quitté le Val, ce dernier avait connu son père et ils étaient très proches. Barristan quand à lui, était au service de Lord Yohn Royce depuis qu’il savait marcher et il était comme un frère pour la jeune femme.
Les trois chevaliers étaient en train de décider de la meilleure route pour se rendre aux Eyrié…

__ Aux Eyrié ? Mais… je… »
__ Et bien oui aux Eyrié Dame Ashara, c’est là que les Arryn vivent. »
__ Non… enfin oui, mais, je ne suis pas… je suis une Arryn, mais je ne suis pas Suzeraine, je ne suis que la Surintendante, les Eyrié, restent et resterons la demeure de la branche régnante ? Même si ses attributions l’empêche, d’y résider, c’est toujours la forteresse de lord Jon, je n’y ai pas ma place. Est-ce lui qui vous a dit de m’y emmener ? »
__ Non, il n’a rien dit à ce sujet. »
__ Alors je n’irais pas, je continuerais de vivre à Roche aux Runes, parmi les miens, c’est là ma maison. »
__ C’est com… pardonnez-moi ma Dame, mais ça n’a aucun sens, aux Eyrié vous serez chez vous, vous aurez des serviteurs, plus de place qu’il en faut. »
__ Non je ne serais pas chez moi, je serais chez Lord Jon, mon grand oncle, et se seront ses serviteurs qui me servirons, je ne veux pas cela, je ne veux pas usurper sa place. »
__ Bien… Comme il vous plaira. Roche aux Runes alors. »

Ashara Arryn monta sur son poney qui, malgré une jolie robe pommelée, faisait pâle figure parmi les beaux coursiers de ses gardes avec sa crinière hirsute et sa taille modeste.

__ Bonjour Willem, j’espère que vous avez bien dormi, la route risque d’être longue. Je dois me rendre chez un éleveur de ma connaissance pour changer de monture, pas que je n’aime plus embrun, bien au contraire, mais ce n’est pas une monture digne d’une surintendante, j’en ai peur. Il aura certainement un bon destrier à vous vendre. »

Elle sourit et fit signe de se mettre en route, se plaçant au milieu de ses gardes, où Willem n’avait quant à lui pas sa place. Ser Barristan lui tiendrait compagnie…

__ Allons y ! Mais surtout, ne profitez pas du fait que nous ayons des jambes plus courtes que les vôtres pour nous semer ! » sourit-elle.

Le chevalier resta concentré le temps qu’ils sortent de la ville, puis, une fois sur les chemins, il entama la conversation avec l’invité.

__ Alors comme ça vous êtes chef de la Garde de Fort-Etoile ? C’est… Templeton c’est ça ? La branche cadette. C’est quoi le nom de votre Lord… enfin, maitre, ser. Je crois que je l’ai jamais rencontré. »

Depuis près de trois lunes qu’il était accompagnait Lady Ashara à Port-Real et n’avait vu personne d’autres que ses frères d’arme, sa Lady et les coincés du cul de la capitale, Barrisan était ravie de pouvoir faire la conversation avec quelqu’un de nouveau, même s’il aurait préféré un bon combat qu’une balade à cheval. Aussi, il souriait à Willem de son air gai qui lui faisait une tête d’idiot alors que ce dernier lui répondait.

__ Tant que ça ? T’as commencé à quel âge ? Moi, la Garde Ailée comme Ash’… hum, Lady Ashara l’appelle, c’est tout nouveau, mais j’étais déjà son protecteur depuis un bout de temps. »
__ N’importe quoi, c’est moi son épée lige. » Le contredit un autre chevalier brun avec un air très sérieux.
__ Officiellement, c’est toi, parce que t’as été plus rapide à t’agenouiller. Mais en réalité, je la protège depuis plus longtemps que toi. » Répondit Barristan en se frappant sur la poitrine, amusé.
__ Si tu appelles s’amuser à se battre avec des bouts de bois dans la boue la protéger, alors oui, tu es son épée lige depuis plus longtemps que moi. Mais la seule personne qui la protège vraiment ici, c’est moi. » Dit le brun avec la mine toujours aussi sérieuse, mais avec un sourire en coin qui ne tarda pas à apparaître.
__ Il est jaloux parce qu’elle me préfère… » rit le grand chevalier blond.
__ Ser Creghton Rougefort, enchanté de vous rencontrer. » Sourit le jeune homme brun. « Voici Ser Barristan Tallett. Et en fait, nous avons tous deux grandit avec Ashara, mais elle n’aimerait pas que nous vous racontions ses jeux d’enfant. »
__ Faux ! J’ai grandi avec elle, toi, tu as été envoyé à son service alors qu’elle avait déjà 5 ans ! »
__ 4, pour être exacte. »
__ Moi j’étais déjà à Roches aux Runes avant sa naissance. »
__ C’est bien ce que je dis, tu triches… »
__ Bref, ça ne répond pas à ma question, depuis combien de temps es-tu à Fort-Etoile, comment y es-tu arrivé, comment es-tu devenu chef de la Garde ? » Demanda à nouveau le puissant blond.

Les deux chevaliers attendirent la réponse…
Ensuite, Ser Creighton bifurqua sur un autre sujet :

__ J’ai connu Ser Raymar. De nom et de réputation. Je l’ai même croisé, toi aussi j'ai certainement dû te croiser. J’ai combattu avec Lord Jon Arryn durant la rébéllion de Robert, j'étais encore écuyer à l'époque. En fait, j’étais avec Elbert Arryn quand il a été brûlé vif avec les Stark devant mes yeux. Je peux te jurer que je me serais jeté dans les flammes et que j’aurais éviscéré cet espèce de taré d’Aerys si l’un des chevalier qui nous accompagnait à l’époque ne m’avait pas à moitié cassé le bras pour me retenir. » Il serra les dents et lança un regard noir en serrant le poings sur ses rênes.
__ Ce chevalier, c’était Ser Nestor Royce. Le Surintendant du Val. Qui est aussi un cousin d’Ashara. » ajouta Barristan en montrant l’homme en question du doigt.
__ S’il n’avait pas fait ça, je serais mort. »
__ Hum… et tu ne nous rabattrais pas les oreilles avec ton protocole… » sourit Barristan.
__ Je ne te rabattrais pas les oreilles avec le protocle si tu n’avais pas une fâcheuse tendance à le transgresser. Faut-il te rappeler que Lady Ashara est une jouvencelle de la Maison Suzeraine du Val d’Arryn et qui plus est la surintendante du Val ? Elle se doit d’être irréprochable et ses gardes aussi. »
__ Ouaip… mais n’empêche qu’avant d’être tout ça, elle est ma sœurette en quelques sortes, alors je suis déésôlé si môôsieur n’est pas content, mais ton protocole, tu peux te le mettre où je pense. »

Creighton soupira, conscient que ses leçons ne porteraient probablement jamais leurs fruits et dépité par le manque d’éducation dont Barristan faisait preuve en toutes circonstances. C’était un excellent combattant doublé d’un homme bon et généreux bien qu’un peu bagarreur, mais il n’avait aucune retenue. Heureusement, le Rougefort, son ami, lui servait de garde-fou, même si ça ne lui plaisait pas toujours. Il reporta son attention sur l’invité :

__ Ser Raymar Templeton est à Hautjardin tu dis ? Que fait-il là-bas, si loin du Val et de son fief ? » Demanda Ser Creighton, étonné.
__ Il est allé cueillir les roses de Hautjardin. » Sourit Barristan, fier de sa métaphore

Il haussa des sourcils plein de sous-entendus grivois sans prêter attention à Ser Creighton qui le regardait d’un air noir.

Ser Creighton sourit à Willem, conscient que leurs chamailleries devaient être, au mieux, amusantes à regarder, mais que le grand bonhomme n’en avait que faire et qu’il participait de son mieux. Il était peu loquace, comme bien des guerriers qui sont passé près de la mort. Lui avait connu les champs de bataille, mais malgré tout ce qu’il y avait vu et vécu, il avait été relativement épargné, jamais en première ligne. Quant au Tallett, il bénéficiait de tout l’enthousiasme de la jeunesse, c’était un joyeux drille que rien ne pouvait abattre, toujours prêt à discuter, si possible autour d’une bière et toujours prompte à défendre son honneur et celui de sa Dame à coups de poings s’il le fallait. Le Rougefort lui jeta un coup d’œil et sourit. Il était plus taciturne et se disait parfois que Ser Barristan conservait à lui tout seule la bonne humeur de la troupe, ce qui était une qualité indéniable sur un champ de bataille.

__ Trois ans ça n’est pas si long ! Tu faisais quoi avant ? Tu étais déjà reître ? »

Le grand blond était bien décidé à en apprendre plus, même si l’invité de Lady Ashara n’était pas un grand bavard. Pas qu’il veuille lui tirer les vers du nez, mais tant qu’à faire un bout de chemin ensemble, le temps passerait plus vite en discutant, de plus, il était bon de savoir qui nous accompagnait et qui était susceptible d’approcher la jeune femme de près. Il ne laisserait pas qui que ce soit la mettre en danger, surtout pour un cheval, mais celui-ci était un simple guerrier, pas un de ses intriguant ambitieux de la capitale, un bon point.

Il ne remarqua pas le silence qui se fit lorsque Creighton évoqua la guerre et le brun était trop absorbé par sa propre colère pour remarquer quoi que ce soit.

Ser Barristan offrit un sourire niais, un peu gêné, à Willem quand celui-ci lui apprit qu’il venait de perdre son épouse, ce qu’évidement, le jeune homme ignorait ou avait oublié. Il n’osa pas demander comment elle était morte, ni comment elle s’appelait. Quant à ser Creighton, lui avait appris pour l’épouse de Ser Raymar de Fort Etoile, mais il avait oublié aussi et maintenant que cela lui revenait, il ne parvenait pas pour autant à mettre un nom sur la défunte femme.

__ Je suis désolé. » Le Rougefort jeta un coup d’œil au grand blond. « Barristan aussi est désolé… il n’en dira rien, mais il s’excuse pour sa maladresse. » sourit le chevalier.

Le son étouffé des pas des chevaux sur la lande, du vent dans les herbes, du ressac de la mer qu’ils suivaient depuis le départ reprit ses droits. Les vassaux étaient restés à Goëville ou avaient, à leur tour, regagnés leur pénates, la Surintendante du Val était seule avec ses gardes, Ser Neraron Vanbois en tête. Le destrier renâcla bruyamment. Deux hommes parlaient à voix basse à l’arrière de la file. Le paysage défilait lentement. Les montagnes, majestueuses et colossales, approchaient comme des crocs prêts à mordre. Mais à peine grimperaient-ils qu’il faudrait bifurquer et s’enfoncer dans les terres, s’éloigner de la mer grise pour rejoindre le meilleur élevage de chevaux du Val, celui où tous les chevaliers et Seigneurs se fournissaient. Les habitants des quelques masures qu’ils passèrent s’arrêtaient à peine pour les regarder. Le Capitaine, la première fois, avait annoncé Ashara en hurlant, mais après avoir salué de la main ces gens qui s’inclinaient, elle lui avait dit que c’était inutile de les déranger.

Vers midi, ils s’arrêtèrent pour manger. Ashara invita Willem à se joindre à eux pour partager un frugal repas de pain et de fromage avec un peu de charcuterie et de vin. Pendant que Barristan apportait une grosse branche morte pour qu’elle puisse s'asseoir sans trop se salir. Les autres prirent place autour d’elle, dont le grand blond, derrière elle, de dos, debout, son épée dégainée, lui servait de bouclier.

__ J’ai l’honneur de vous présenter Ser Neraron Vanbois, Capitaine de la Garde de Lady Ahsara arryn, Ser Ronan Froideseaux et Eogan. » dit Creighton en désignant un homme entre deux âges à la carrure impressionnante, un autre, peut-être un peu plus âgé mais surtout plus marqué par les batailles, à peine moins impressionnant et un troisième, encore plus âgé et marqué. Tous trois avaient guerroyé aux côtés de Jon Arryn lors de la rébellion, Ronan avait passé presque toute sa vie à servir Lord Yohn Royce à Roche Aux Runes et Eogan avait veillé sur la sécurité d'Yvaine, la mère d'Ashara, avant de veiller sur celle de sa fille.
__ Garde Ailée Ser Creighton, Garde Ailée, tel sera son nom. » Ajouta Ashara
__ Ça manque d’archers. » grogna Ronan.
__ Oui Ser, nous allons tâcher d’y remédier au plus vite. »
__ Z’êtes pas archer vous ? » demanda Barristan
__ Un archer sans arc ? Et puis quand bien même, je ne vais pas débaucher le Capitaine de Fort Etoile. Cela dit, si vous en connaissez Capitaine, n’hésitez pas à me les envoyer à Roche Aux Runes. »
__ Ouais... Pas de braconniers ou autre vagabonds hein, des gens digne de Lady Arryn. » dit Neraron

Une fois les estomacs pleins, on se remit en selle et on reprit la route jusqu’à ce que le soleil commence à décliner derrière les cimes acérées des Montagnes du Val d’Arryn. On entendit les hennissements et les coups de pieds des chevaux à l’heure du repas avant que, au détour d’un rocher, l’imposante ferme apparaisse enfin.

__ J’avais compris. » répondit Barristan en haussant les épaules, un peu vexé.
__ Un fermier donc. En somme, un guerrier de la terre. Vous aviez déjà les mains calleuses avant de tenir votre première épée. C’est un avantage non négligeable ! » Sourit Creighton

Il n’avait rien contre les fermiers, mais il n’avait trouvé que ça à dire parce qu’il n’avait aucune idée de ce qu’était le métier de fermier du Val et en réalité, il s’en fichait un peu. Des hommes et des femmes cultivaient les terres de son Seigneur père et nourrissaient ainsi sa famille en échange de quoi Lord Horton Rougefort leur offrait sa protection entre autre. Il n’avait pas de mépris pour eux, même s’il voyait bien que le travail était dur et qu’ils étaient moins bien lotis que lui. Mais c’était ainsi, c’était l’ordre des choses. Il était noble, il n’avait donc jamais cultivé quoi que ce soit et n’aurait jamais à le faire. Il rendait grâce aux Sept d’être né Rougefort, d’avoir toujours eut de quoi se vêtir, à manger sur la table et chaud, d’avoir monté son premier poney à quatre ans et d’avoir été destiné à devenir chevalier. L’ordre des choses lui allait très bien ainsi.

Durant les présentations, Ser Neraron scruta le roturier d’un air supérieur, Ronan lui fit un signe de tête et leva sa fourchette en l’honneur de l’invité de sa Dame, Eogan quant à lui sourit de presque toutes ses dents (il lui en manquait trois ou quatre) à Willem qui, avec bien des années de moins, semblait venir du même milieu que lui. Ashara, et d’ailleurs tous les autres se contentèrent d’ignorer la remarque désobligeante du Vanbois, mais elle remarqua la réaction de Willem, et aussi le fait qu’il préféré se taire plutôt que de la mettre en défaut. Elle lui sourit et lui fit un signe de tête reconnaissant avant de lui répondre :

__ Je vous remercie Capitaine. » Elle réfléchit et se répéta à vos basse : « Ser Raymar… Ser Raymar Templeton… » Elle releva la tête et demanda : « Si je ne m’abuse, il est à Hautjardin, en mission pour Lord Jon Arryn, mon grand oncle, non ? »

Ashara attendit la confirmation de Willem, pas totalement certaine qu’elle ne se trompait pas, soit de Raymar, soit de Templeton. Jon lui avait dit tant de choses sur ses vassaux en si peu de temps à Port-Real que, bien qu’elle les connaisse déjà pratiquement tous, elle n’était peut-être pas parvenue à tout enregistrer. Cette histoire-là lui semblait néanmoins particulièrement étrange car lorsqu’elle avait demandé ce qu’il devait faire à Hautjardin, Jon avait détourné le sujet, aussi elle s’en souvenait.

__ Un homme droit, fidèle et loyal m’a-t-il dit. Quelle tristesse qu’il ait perdu son épouse. Faites-lui mes salutations distinguées et présentez lui mes condoléances lorsque vous le verrez. Je prierais pour lui et pour les gens de Fort-Etoile. »


A l’approche des bâtiments, un homme grand et svelte, presque maigre, vint à leur rencontre et s’inclina devant la demoiselle et ses chevaliers. Voyant l’escorte et le nombre de chevaux à loger et nourrir pour la nuit, il siffla pour appeler à lui quelques palefreniers.

__ Dame Ashara. Je suis ravie de vous revoir après tant d’années. J’ai appris que Lord Jon vous avait fait surintendante du Val d’Arryn, toutes mes félicitations. »
__ Bonsoir Leo, et merci. Embrun m’a bien servi et s’il n’y avait eu cette surprise, je l’aurais bien gardé encore quelques années. » Répondit la brune en mettant pied à terre.
__ Honneur vous servira mieux encore Ma Dame. »
__ Je peux le voir ? »
__ Bien sûr. » il s’inclina et montra la direction à suivre.
__ Capitaine Willem, venez avec nous, il y aura peut-être aux écuries quelque Destrier à votre gout. »
__ Destrier ? »
__ Oui Leo, Willem ici présent, Capitaine de la garde de Fort-Etoile a eu quelques déboires avec un maquignon venu d’ailleurs. Je l’ai fait venir ici dans l’espoir que tu aurais peut-être un bon cheval à lui vendre, un cheval Valois ! »
__ Ah je vois. Je devrais avoir quelques montures qui vous conviendront Ser Willem » dit-il en souriant au capitaine.

Evidemment, en plus de l’éleveur de chevaux, de Willem et de la Surrintendante, Ronan et Creighton suivirent tandis que Neraron supervisait l’installation de tout ce beau monde pour la nuit et que Barristan et Eogan montaient les tentes dans un pré. Il faisait sombre dans l’écurie, un palefrenier alluma une torche et la donna à Leo. On pouvait aisément observer que, malgré l’humilité des installations, l’écurie était très propre et bien tenue. Elle comptait une dizaine de boxes tout au plus, une autre écurie avait été vidée pour accueillir les montures de l’escorte qui étaient en train d’être confortablement installés et seraient bientôt nourris. Plusieurs chevaux s’ébrouèrent sur leur passage dont au moins trois avaient la saturent de destriers, mais la petite troupe s’arrêta devant le box d’un palefroi gris, presque blanc, grand et majestueux qui souffla bruyamment lorsqu’Ashara approcha sa main pour lui caresser les naseaux.

__ Je savais bien que je n’aurais pas dû venir te voir Honneur, maintenant, j’ai envie de monter sur ton dos. » murmura-t-elle, comme pour elle-même.
__ Vous voulez l’essayer Ma Dame ? »
__ Il fait presque nuit, ça ne serait pas raisonnable. Demain. » Elle fit une nouvelle caresse à Honneur. « Nous nous reverrons demain mon beau. »

Après une dernière caresse, Ashara sortit de l’écurie escortée de ses gardes, laissant Leo à ses chevaux et Willem à sa rêverie. L’éleveur attendit quelques instants avant de demander à celui qu’il prenait pour un chevalier :

__ Vent-d’Est. C’est ainsi qu’il se nomme. Il vous plait ? Il a un grand potentiel, mais il n’a pas encore tout à fait terminé son dressage, il sera prêt à vous accompagner dans les plus grands Tournois de Westeros d’ici un peu plus d’une Lune. »

Il fit une caresse à Vent d’Est et il ne faisait aucun doute qu’il aimait ses bêtes car il y avait dans ce geste empreint de douceur toute la tendresse qu’il leur portait et la patience dont il faisait preuve dans leur éducation et dans leur préparation. Il le savait pourtant, nombre de ses chevaux finiraient tués sur un champ de bataille ou sur la lice, mais de leur naissance à leur vente et même, quand l’occasion lui était donnée, après, il leur vouait toute son existence et ses efforts. Mais en valant ainsi une petite fortune et en lui apportant une excellente réputation dans le Val et les Sept Couronne, ces chevaux le lui rendaient bien et ils faisaient sa fierté.

__ Dites m’en plus sur le cheval que vous cherchez et l’usage auquel vous le vouez. J'y réfléchirais cette nuit et je tâcherais de vous en proposer au moins un demain matin. »


De toute évidence, vue la taille de la ferme, l’éleveur ne pouvait accueillir tout le monde dans son modeste foyer, c’est d’ailleurs pour cela que Neraron avait fait monter les tentes dans un pré libéré pour eux. Il y avait donc désormais, au milieu d’un pré, une tente aux couleurs de la maison Arryn, bleue et blanche avec le faucon et la lune sur la porte et sur les quatre flancs. Elle était grande, digne d’un riche seigneur, mais usée, il ne faisait aucun doute qu’elle avait connu bien des tournois et probablement plusieurs batailles dont la rébellion de Robert. Une vieille tente que Jon Arryn avait prêtée à la brune pour sa nouvelle fonction et qui, pour voyager léger était la seule que la petite troupe avait prise.

L’épouse de Leo, quant à elle, avait été prévenue de l’arrivée de la surintendante et avait un peu paniqué à l’idée de devoir lui préparer un diner digne de son rang. En effet, même si elle ne pouvait l’accueillir dans son salon pour des raisons de place tout autant que de décoration, elle était tout de même son invitée. Heureusement, son mari l’avait très vite rassurée sur les exigences de la jeune fille avant qu’elle ne fasse une syncope et ainsi elle avait opté pour quelques poulets rôtis accompagnés de bouillie d’orge et de légumes dans leur bouillon. Les chevaux passeraient la nuit dans de confortables écuries exprès libérées et aménagées pour eux, une bonne ration d’avoine dans leurs auges. L’ensemble des dépenses engagées pour Ashara et son escorte seraient amplement remboursés par le présent offert à la brune par son grand-oncle, le Suzerain du Val d’Arryn en avait assuré la jeune surintendante qui s’en était inquiété.

Ser Ronan et Ser Neraron discutaient du retour en montant la garde devant la tente pendant qu’Ashara faisait sa toilette et que les deux jeunots de la bande s’évertuaient à apporter des bûches pour s’installer autour d’un feu entretenu avec amour par Eogan. Mais, hélas, la jeune femme manquait encore d’expérience et ces gardes n’y avaient pas pensés non plus, personne n’avait réfléchit à Willem et aux palefreniers. Où allaient-ils bien pouvoir dormir ? Ashara, tout juste débarbouillée sortit en trombe avec, encore à la main le linge avec lequel elle venait de se sécher le visage. Toute paniquée à l'idée de n'avoir aucune réponse à apporter à cette question, elle ne prit pas le temps de savoir si le Capitaine ou les palefreniers étaient là ou pas.

__ Comment allons nous faire pour Willem et ses hommes ? » Demanda-t-elle alors, ce à quoi les Gardes Ailés répondirent par un regard interrogateur sans trop comprendre de qui il s'agissait. Elle ajouta donc : « Où vont-ils dormir ?! »

Leo sourit à Willem et le laissa, se donnant la nuit pour réfléchir à la requête du Capitaine. Lorsqu’il entra dans la cuisine de son humble demeure, l’odeur alléchante du poulet rôti et de bouillon de légumes vint lui titiller les narines. Il embrassa sa femme qui s’afférait et qui, il le savait, se donnait beaucoup de mal pour nourrir tous ses invités. Quand tout fut prêt, il l’aida à apporter les marmites et les plats dehors vers le camp d’Ashara…

Ashara était rassurée de voir qu’ils avaient apportés une tente, en effet, elle avait complètement oublié de les prévenir qu’il en faudrait une, heureusement, Willem semblait plus prévoyant qu’elle. Elle trouva qu’ils étaient installés fort loin, mais Neraron dit que c’était pour sa sécurité et même Ronan acquiesça, ça plus le fait qu’ils avaient déjà tout installés, elle n’osa pas faire la moindre remarque. Elle demanda néanmoins à Barristan d’aller les inviter pour le dîner et de s’assurer qu’ils ne maquaient de rien. Ce dernier s’approcha donc du camp de Willem et surprit la conversation des palefreniers et attendit un peu avant d’entrer dans la tente.

__ C’est pas mortel de regarder les jolies filles mon gars, sinon je serais mort depuis belle lurette. Mais celle-là tu vois, j’y tiens beaucoup, alors gardes tes mains dans tes poches parce que ça m’ennuierait beaucoup de devoir te les couper. »

Il aurait pu être nettement plus vindicatif dans le ton comme dans la forme car il détestait qu’on s’en prenne à l’honneur de la brune. Mais pour le coup, il avait bien vu que le jeune garçon d’écurie ne pensait pas à mal et l’autre n’ayant pas surenchérit, il estima inutile de le prendre mal. Mais il avait dit cela sur un ton pince sans rire qui semblait sérieux et venant de Barristan, grand gaillard en armure qui le fixait à présent d’un regard perçant, c’était tout de même inquiétant. Après quelques instants à le fixer ainsi pour voir s’il ferait dans ses chausses, le chevalier s’approcha du palefrenier et, comme si de rien n’était, il lui mit une grande tape dans le dos et se mit à rire. Une tape qui, bien qu’amicale, était puissante, assez pour envoyer valdinguer un jeune freluquet et lui couper le souffle.
Le jeune homme reporta son regard sur Willem et dit :

__ Lady Ashara Arryn vous invite à venir partager notre repas. » Il jeta un coup d’œil aux autres et ajouta, car cela ne semblait pas clair pour tout le monde. « Tous. »

Un chaudron de légumes au bouillon, une pleine casserole de bouille d’orge, six poulets rôtis à la peau caramélisée ainsi qu’une marmite de vin chaud aux épices furent apportés au milieu du camp de la Surintendante du Val. Posés sur le grand feu autour duquel avaient étés disposés de grosses bûches pour faire office de tabourets, ils resteraient chaud le temps que tout le monde s’installe. En voyant Lady Ashara assise sur un tronc d’arbre, Leo lui apporta une de ses propres chaises et des coussins malgré les objections de la demoiselle. Ainsi, installée sur sa chaise avec son écuelle pleine, elle attendait patiemment ses invités alors qu’un hibou se réveillait au loin et sourit à Willem en le voyant approcher.

__ Installez-vous messieurs, et servez-vous, vous devez être épuisés et affamés après ce périple. Je suis soulagée de voir que vous aviez prévu une tente et de quoi dormir, avez-vous tout ce qu’il vous faut ? »

La nuit noire avait désormais entièrement envahit le vallon et, à seulement quelques mètres du feu, le petit croissant de lune permettait à peine de distinguer silhouettes. Mais là, autour du feu, les flammes dansaient avec gaieté sur les visages fatigués des hommes de la Garde Ailée. Neraron était assis et attendait qu’Ashara ait prit la première bouchée pour manger. Eogan servit les nouveaux venus et Ronan se servit de vin et proposa des louches à qui le désirait. Creighton tendit une écuelle fumante à Barristan et tous deux s’installèrent juste à côté d’Ashara, leur épée plantée dans le sol pour être prêts à se battre si la situation l’exigeait. En l’occurrence, le terrain bien dégagé et connu avec la tente juste derrière la brune rendaient la surveillance plus facile qu’au déjeuner, même si l’obscurité n’était pas leur alliée.

__ Vous avez trouvé votre bonheur au fait Willem ? » demanda Ronan. « En terme de destrier j’entends. »

Bien que le repas n’ait été prévu que pour six à la base, il semblait bien assez copieux pour le partager avec Willem et ses hommes, en tout cas d’après la brune et ce même si certains gourmands devraient peut-être se retreindre sur la viande.

__ C’est bien normal, vous êtes mes hôtes, même si nous sommes nous-mêmes les hôtes de Leo et de son épouse qui nous a généreusement préparé ce repas. Je suis désolée de ne pas vous avoir prévenu que nous passerions la nuit ici et qu’il fallait prévoir à manger. Bon appétit à tous. »

Ashara laissa les nouveaux venus s’installer tranquillement et commença à manger sans autre forme de cérémonie. Elle sourit à Willem alors qu’il assurait avoir tout ce qu’il fallait et rappelait que ses hommes étaient habitués aux conditions rudimentaires. Elle n’en doutait pas et à vrai dire, ses hommes aussi, même elle d’ailleurs, ils se contenteraient tous cette nuit d’une couche de paille car elle avait voulu limiter au maximum les meubles, toujours dans le souci de voyager léger. Cependant, elle était Surintendante du Val et elle se devait d’avoir une tente à la hauteur de sa fonction, ainsi, heureusement que Lord Jon Arryn lui avait fourni celle-là assez grande pour l’accueillir elle et sa garde si nécessaire. Cela dit, lorsqu’il ne s’agissait pas d’aller vite et qu’elle acceptait de voir un chariot les ralentir, Ser Neraron avait une autre tente pour les hommes et elle, un lit démontable ainsi qu’un fauteuil, une table, des chaises, une coiffeuse et des tapis qui isolaient du sol. Ce manque de confort n’était donc dû qu’à sa volonté de ne pas être ralentie par un charriot sur les chemins escarpés du Val. C’était ainsi qu’elle aimait voyager : sans entrave. Autant que faire se peut.

__ Les routes du Val sont difficiles, pour les hommes comme pour les chevaux. »
__ Il vaut mieux savoir se contenter de peu que de perdre monture et paquetage en route. »
__ Peut-être, mais pour les longs voyages, un minimum de confort permet d’être frais et dispo pour la bataille. »
__ C’est facile pour les jeunes de dormir sur une mince couche de paille, vous pourrez malgré tout vous lever le lendemain sans être victimes de vos vieux os et de vos anciennes blessures, mais pour nous qui avons plus de milles dans les pattes et plus de combats dans les mains, bien dormir est aussi vital que… manger pour notre cher Ser Barristan. »
__ Oui Messer, vous n’avez pas tort. De plus, pour les Tournois, mieux vaut faire honneur au Val d’Arryn que de passer pour des vagabonds. Mais nous n’en sommes pas là, il ne s’agit que d’un petit détour de deux trois jours tout au plus. »
__ Et qui nous aurait pris le double avec un charriot, certes, vous avez raison Ma Dame. D’ici demain soir, nous dormirons tous au chaud dans un bon lit confortable. »
__ Demain soir ou après-demain, peut-être ne partirons pas dès l’aube demain, pour prendre le temps de dire au revoir à nos invités. C’est moi qui les ait fait venir ici, je dois m’assurer qu’ils trouvent le Destrier qu’ils sont venus chercher. »

Willem répondit d’ailleurs au sujet du cheval.

__ Ah très bien. J’espère que vous trouverez une bonne monture ici. Leo élève les meilleurs chevaux du Val, ils ont assez chers il est vrai, mais si vous voulez l’assurance de la qualité autant pour la bête que pour son dressage, il vaut mieux s’adresser à lui. Cela m’étonne d’ailleurs que vous ne le connaissiez pas… Vous n’en aviez pas entendus parler ? »

La majorité des chevaliers finissaient leur assiette sans empressement, profitant de la chaleur des plats et de la douceur de se restaurer après cette rude journée. Ashara qui avait été servie bien trop copieusement pour sa corpulence, à cause de son rang, ne termina pas son assiette. Barristan, comme à son habitude, engloutit sa première assiette et la brune lui passa la sienne, comme toujours. D’ailleurs cette dernière se demandait parfois si on ne faisait pas exprès de trop la servir pour que Barristan puisse manger à sa faim sans avoir à se jeter sur la marmite.

__ Merchi… » dit Barristan en se plongeant dans l’assiette de sa Lady avant de se prendre un petit coup de coude de la part de Creighton et d’ajouter : « Ma Dame. »

Eogan fit une nouvelle tournée de vin, il restait encore une ou deux petites part de légumes et d’orge dans les marmites, en revanche, le poulet avait disparu.

__ Hé bien messieurs, nous n’allons pas rendre à notre hôtesse ce qu’elle nous a si gentiment préparé, je suis sûre qu’il y en a parmi vous qui ont encore un petit creux… »

Ashara sourit et jeta un coup d’œil amusé à Barristan qui terminait juste sa propre assiette, les autres semblaient repus et à vrai dire, même le jeune homme avait assez mangé, mais il allait bien faire preuve d’un peu de gourmandise pour terminer le plat. En revanche, elle n’avait pas spécialement fait attention à Brenn. Le grand chevalier blond s’approcha de la marmite pour se resservir sans demander si qui que ce soit en voulait encore, il n’avait pas l’habitude d’avoir de la concurrence. Alors qu’il prenait la louche, Ashara lui mit un petit coup de pied dans une jambe. Il se retourna vers elle, étonné, mais un regard et un coup de menton vers les invités suffit à lui faire prendre conscience de son manque de politesse.

__ Qui en veut encore ? »

Ashara sourit à Brenn, enchantée par son enthousiasme au sujet de Leo et de ses chevaux.

__ Je vous remercie Capitaine. C’est vrai qu’il est magnifique, le Lord mon grand-père a fait là un choix plus que judicieux. Néanmoins je ne pourrais jamais oublier que c’est Embrun et non Honneur qui m’a accompagné durant toute mon enfance. Je l’abandonne désormais pour une monture de Dame et je ne peux m’empêcher de penser avec nostalgie qu’avec lui, j’abandonne mes années d’insouciance. Enfin, ce ne sont là que des turpitudes de jouvencelle que les hommes qui ont fait la guerre doivent trouver bien ridicules. »

Embrun, le poney gris pommelé, avait été le compagnon privilégié des jeunes années d’Ashara. Il avait connu la gamine libre qu’elle avait été par le passé. Libre et sauvage, préférant aller galoper sur la plage et revenir trempée et ébouriffée par le vent que de s’adonner bien sagement à la broderie, activité qu’elle n’avait jamais pratiquée avec grand enthousiasme. Elle eut un petit sourire et baissa les yeux en y repensant. Toutes ses bêtises qu’elle avait pu faire, toutes ses frayeurs qu’elle avait provoquées à Lord Yohn, toutes ses robes souillées, toutes ses réprimandes. Elle n’avait pas été une enfant facile à élever, aussi casse-cou que caractérielle, pourtant, désormais, elle était Surintendante du Val d’Arryn, le devoir l’appelait et elle n’avait pas le droit à l’erreur. Elle savait que sa vie ne serait plus jamais la même. Pour sa Maison et pour le Val, elle ne pourrait plus se permettre de jouer les filles de l’air, de se battre ou de s’enfuir au triple galop. Elle était une femme. Depuis peu. Elle devait désormais devenir une Dame. Mais là tout de suite, elle aurait bien aimé pouvoir se jeter dans les bras de Ronan et pleurer toutes les lames de son corps. Ainsi, un regard furtif et un sourire vers celui qui l’avait formée au maniement de l’épée et de l’arc suffit à lui arracher une larme qu’elle écrasa rapidement pour que personne ne la voie. Elle espéra que ce qui se jouait entre les deux derniers gourmands ait pu détourner l’attention d’elle et de sa fragilité momentanée.

Barristan venait, un peu à contre cœur, de proposer la toute fin de la marmite lorsque Brenn se jeta sur l’occasion. Le fait est que, s’il y avait un manque de politesse dans les propos du jeune palefrenier, l’imposant chevalier ne le remarqua pas, lui-même peu porté sur la rhétorique. Ashara sourit, contente de voir que tout le monde était détendu et profitait de cette soirée sans se retenir à cause de sa présence, même si ça n’était pas totalement le cas. Aucun ne broncha sauf Neraron qui jeta sur le jeune homme un regard empreint de mépris. Tout le monde se mit à rire alors qu’un des gardes de Fort-Etoile raillait Brenn, Barristan y compris, même si cela le privait d’une petite part supplémentaire sur laquelle il n’aurait pas craché. Enfin, il restait à boire et cela suffirait pour la soirée.

__ Donne-moi ton auge, gamin. » Dit-il en tendant la main pour l’attraper et le resservir.
__ Prenez garde, si vous continuez ainsi, vous allez détrôner Ser Barristan en tant qu’Estomac sur patte, Brenn. » Lui sourit-elle un peu moqueuse.
__ Se sera surtout le premier d’entre vous tous que je mangerais dans la nuit si j’ai une petite faim ! » Répondit-il en lançant un regard faussement carnassier à Brenn.
__ Barristan… hum… Ser Barristan, cessez d’essayer de faire peur à mes invités. » rit-elle.

Barristan se mit à rire et les autres suivirent. Malgré leur position, malgré le fait qu’ils étaient prêts à réagir en cas d’attaque, les hommes de la Gade ailée se détendaient peu à peu, le bon repas chaud, la nuit et la bière aidant. Ils ne craignaient pas que leurs hôtes deviennent soudainement agressifs, sauf peut-être Neraron qui se méfiait de tout et de tout le monde, surtout lorsque ça ne portait pas de nom de famille ni de titre. Mais c’était là leur mission et leur devoir, leur honneur d’homme et de chevalier reposait sur le fait de protéger cette enfant au péril de leur vie. Tous, sauf peut-être Neraron, mourraient sans hésiter pour elle, mais si, jusqu’ici, le danger était tout relatif et prévisible, maintenant qu’elle détenait le pouvoir, il se faisait bien plus pressent et pouvait venir de partout. C’est pourquoi ils restaient en alerte, même dans ce pré où ils auraient pu se sentir en sécurité.

C’était la première fois qu’Ashara se retrouvait ainsi sur un campement portant ses couleurs d’Arryn. Jusqu’ici, lorsqu’elle avait accompagné Yohn en voyage, son pavillon battait l’étendard de Roche Aux Runes et elle partageait la place avec Ysilla et ses oncles. Maintenant, cette tente élimée qui avait connu la Rébellion de Robert était la sienne et elle ne la partageait avec ces hommes que parce qu’elle le voulait bien. En entendant le vent faire frémir la toile, elle n’eut pas besoin de se retourner pour sentir tout ce que cette tente avait vu et tout ce que cela représentait. Parmi ses hommes, tous sauf Barristan, alors encore trop jeune, s’étaient battus aux côtés de Lord Jon Arryn, tous avaient, comme Willem, vu la mort d’assez près pour avoir envie de vivre encore quelques années. Ser Neraron Vanbois était alors un fier chevalier qui avait choisi d’épouser la carrière militaire pour la gloire de son Nom. Ronan était un guerrier dans la fleur de l’âge qui, après avoir sauvé la vie de son Seigneur, Lord Yohn Royce, sur le champ de bataille, resta dans le Val pour protéger les femmes et les enfants restés à Roche Aux Runes. Creighton était encore écuyer mais fut adoubé juste après la dernière bataille, ayant largement fait ses preuves au cours de la guerre. Quant à Barristan, il était déjà un grand enfant impulsif et puissant, il aurait pu participer, mais Lord Yohn, dont il était l’écuyer refusa de risquer sa vie, estimant qu’il était trop jeune pour mourir dans une guerre. Devant les supplications et les jurons du gamin alors âgé d’une dizaine d’années, il lui confia une mission que le jeune homme n’abandonna jamais, même une fois adoubé : protéger Ashara.

Alors que la lune se levait et venait éclairer le pré d’une lueur froide, contrastant avec celle, chaleureuse, du feu de camp, Ronan commença à chanter cette chanson rythmée et enjouée que tous les Valois connaissaient, bientôt rejoint par les autres, Ashara comprise.


Barristan joua les Chevalier amoureux en s'agenouillant devant sa Dame et en lui baisant la main, ce qui la fit sourire et rougir un peu, mais dans la pénombre et éclairée par le feu rougeoyant, il fallait être un fin observateur pour le voir. Cela ne fit en revanche pas rire Creighton du tout, Neraron non plus, mais aucun humour ne trouvait grâce à ces yeux. La brune retira sa main, un peu gênée que son ami fasse l'imbécile devant témoin.


La jeune femme, fatiguée se frotta les yeux et retint un bâillement avant le refrain, mais elle souriait, appréciant de partager ce moment avec ces hommes et quelque uns de ses sujets. Quand à Ser Barristan, il continuait à mimer la chanson au fur et à mesure et à la chanter à tu-tète.

Ce qui lui donnait envie de se battre ? Son peuple, sa région, son nom et sa Maison. Voilà pourquoi elle devrait se battre désormais, voilà pourquoi elle voulait se battre à présent. C’était peut-être triste, mais c’était son devoir et aussi un honneur que Lord Jon lui faisait, en lui faisant confiance, en lui donnant du pouvoir, à elle, une femme. Même pas une femme, une enfant, alors que la plupart des demoiselles de haute naissance étaient condamnées à se marier et à se taire. Elle était consciente de tout cela, consciente aussi de la chance qu’elle avait, de la chance de naître noble et riche, et de son devoir envers ceux qui avaient moins de chance. Elle ne le renierait pas pour quelques escapades d’échevelée insouciante sur la plage près de Roche Aux Runes. Mais elle ne renierait pas non plus ce qu’elle était, de toute façon, elle ne le pouvait pas…

Elle sourit à l’objection de Willem. Neraron effaça son sourire, premier à penser que les turpides d’une jouvencelle ne valait même pas le coup d’être ainsi révélées à des petites gens. Ronan et les autres furent surpris par la réponse du capitaine, mais opinèrent du chef pendant que le sourire d’Ashara s’élargissait à mesure que l’homme faisait l’éloge de l’enfance.

__ Je me suis mal exprimée, je n’abandonne pas, je deviens simplement adulte. C'est notre lot à tous et beaucoup n'ont pas ma chance, de pouvoir compter sur leurs proches quand vient le moment de devenir un homme ou une femme. Embrun fut mon compagnon pendant trop longtemps pour que je le laisse derrière moi, il fait partie de ma vie avec tout ce que j’ai pu vivre avec lui. Mais désormais, se sera Honneur qui me portera loyalement et tout aussi fiablement, je pense, qu’Embrun l’a fait, en voyage comme à la bataille, un nouveau compagnon qui, sans me faire oublier l'ancien, m'oblige à me dépasser. »

La jouvencelle jeta un regard à Ronan, Barristan et Creighton, avec qui elle avait partagé aussi toutes ces aventures et qui devaient être conscients que, lorsqu’elle disait Embrun, elle parlait aussi d’eux.

__ Ne croyez pas que j’oublierais ce qu’on m’a enseigné jusqu’à maintenant. Les leçons de la vie, les leçons de mon grand-père Lord Yohn et celles de Lord Jon et de mon mestre, les leçons de la mer, celles de la campagne, celle de la plage et celles de la montagne. Mais se sont toutes ces leçons qui m’ont amenées là où j’en suis aujourd’hui, ces personnes, tous ceux qui m’ont accompagné, éduqué, conseillé, aidé qui me donnent la force de relever le défi qui m’est lancé. »

La brune se redressa dans sa chaise.

__ J’aurais pu refuser sans même craindre pour l’avenir du Val, Lord Nestor Royce fut et est toujours un très bon surintendant, j’ai confiance en lui, autant que mon Suzerain. Mais j’ai accepté de représenter la Maison Arryn dans le Val d’Arryn en attendant que Robin soit en âge de gouverner ou que Lord Jon puisse revenir. Je suis Lady Ashara Arryn, mais dans le Val et plus encore à l’extérieur, je suis Lord Jon, le Val. Je suis bien plus qu’une simple jouvencelle et, pour l’honneur des miens, je n’ai plus le droit de me comporter comme une enfant. » Elle se leva. « Je suis les hommes qui sont tombés contre Aegon le Conquérant, je suis ceux qui ont combattu puis durant la rébellion, je suis les familles déchirées par la guerre, les veuves, les orphelins, je suis un mendiant de Goëville et tous les Rois et les Reines de la Montagne et du Val depuis l’Âge des Héros. »

La jeune fille prit une grande inspiration pour ravaler ses larmes et resta campée quelques instants sur ses jambes qu’elle sentait flageller sous sa robe et fixa l’horizon obscur de ses yeux bleus. Neraron secoua la tête comme si tout cela n’était que la bêtise d’une enfant, peut-être l’était-ce, mais Barristan et Creighton lui lancèrent un regard glacial. Ronan posa une main réconfortante sur l’épaule de la brune qui se tourna vers lui et lui sourit, comme si, un instant plus tôt elle avait été seule au monde et retrouvait par miracle un ami. Elle aurait aimé se réfugier dans ses bras, mais elle se retint, trop de monde, et surtout, surtout, Ser Neraron qui n’attendait que de la voir défaillir. Elle releva la tête dans une dernière grande inspiration et posa une main gracieuse sur le bras que lui présentait Ronan pour la raccompagner à sa place. Mais avant de se retourner, elle ajouta à l’attention de Willem, d’une voix douce mais assurée :

__ Ma naissance et mon enfance m’ont faite Lady Ashara Arryn, Surintendante du Val et si vous me devez loyauté et obéissance, je vous dois honneur, droiture et justice. » C’est désormais à moi de vous prouver que je suis digne de votre confiance. Elle sourit et s’en alla se rassoir sur sa chaise confortable avec Ronan qui, souriait de fierté.

Le calme et la légèreté revinrent à la faveur de la bière et de la nuit.
Lorsque la chanson fut terminée, Ser Neraron alla se coucher et tout le monde put vraiment se détendre, Ashara entonna alors une nouvelle chanson, puis à son tour, extenuée, elle alla se coucher alors que Barristan et Creighton commençaient The Misty Mountains Cold chanson qu’adorait Ashara et qui l’endormirait à coup sûr pour pouvoir continuer sur des choses plus grivoises.