An 297 - Lune 5

Et donc, où est-ce qu'elles étaient, ces chaussures ? Est-ce qu'elle les avait au moins eues à un moment où à un autre ? Depuis que sa mère lui avait demandé de les retrouver, à l'occasion de la venue d'un homme important dont la petite avait déjà presque oublié le nom, elle avait eu le temps de mettre la moitié de sa chambre en bazar, fouillant chaque recoin pour mettre la main sur cette fichue paire. Et il y avait cette impatience qui l'emportait de plus en plus, qui lui picotait les doigts, et cette envie irrésistible de sortir finalement pieds nus ! Après tout, qu'est ce que ça allait bien pouvoir lui faire, à ce Roose, de voir ses chaussures ou pas ? Mais elle osait à peine imaginer la tête que ferait sa mère si elle osait sortir sans ce qu'elle lui avait demandé. Ah, la vie difficile d'une petite fille qui ne pouvait pas désobéir autant qu'elle le voudrait ! Ce qu'elle faisait pourtant beaucoup trop déjà, à en écouter les dires de son entourage. Mais ça ne lui importait pas. Par contre, la venue du lord à Winterfell l'intéressait beaucoup plus ; il y allait avoir, sans aucun doute, des hommes armés, des gardes, des guerriers ! De quoi faire se fendre d'un joli sourire le visage d'Arya. Etre comme eux, un jour, était loin d'être une fantaisie ou une envie illusionniste comme certains le disaient ; c'était bien plus que cela ! C'était son rêve, son ambition première. Au diable la vie de lady que l'on voulait lui confier, à s'occuper de son mari et de ses enfants pour le reste de ses jours, enfermée dans un château dont elle n'aurait même pas les commandes, se contentant d'être aussi cadrée que cadrante pour sa petite famille. Non, ce qu'elle voulait, c'était de l'aventure, des armes, et tout ce qu'il pouvait en découler. Ce que les gens résumaient simplement à une vie d'homme, et donc à ce qu'elle ne pouvait pas avoir. Des remarques réalistes qu'on lui répétait souvent, avec une patience qui s'en allait avec le temps. Mais malgré la véracité de ces dires, Arya ne pouvait pas les accepter. Elle ne voulait pas les entendre. Elle y arriverait, simplement.
Décoinçant son bras fin passé derrière un gros sac laissé là dans son grand placard, elle en sortit les chaussures, soupirant un peu de soulagement avant de les enfiler avec vivacité et agilité. Enfin, elle se rua vers la sortie de la bâtisse, où sa mère l'attendait déjà. S'arrêtant devant elle, Arya passa rapidement ses doigts sur ses cheveux, vérifiant qu'ils n'étaient bel et bien pas décoiffés, comme Catelyn le lui avait ordonné, tandis que celle-ci lui fixait son petit manteau orné de fourrure pâle. Qu'il avait été difficile de rester tranquille tout cet après-midi afin de ne pas se salir ou abîmer la coiffure que la septa lui avait refaite le matin-même ! Une torture à laquelle elle se laissait difficilement contraindre, habituellement. Mais il fallait parfois être raisonnable. Au moins, elle n'avait eu droit à aucune réprimande aujourd'hui.
Lorsqu'elle sentit que sa mère avait terminé, Arya emboîta rapidement le pas à ses frères Robb et Bran, avant d'aller se placer près d'eux comme il en avait été convenu. La nuit commençait déjà à tomber, et le petit groupe tant attendu ne mit pas longtemps à arriver. Aussitôt, elle se mit à les regarder, les uns après les autres, s'arrêtant sur quelques détails. Leurs vêtements noirs lui plaisaient plutôt, et ils semblaient bien plus confortable que la robe qu'elle s'était forcé à mettre sous la demande sa mère, encore une fois. Quant à leur bannière... Elle était originale. Mais ne lui déplaisait pas vraiment non plus. Elle l'avait déjà vue sur l'un des livres que Bran étudiait en compagnie de mestre Luwin. Son regard poursuivit sa course, s'arrêtant longuement sur celui qui était le plus en avant et qui parla le premier. Ce devait donc être lui, le Roose dont Catelyn lui avait parlé. Mais Arya ne suivit pas le reste de la conversation entre lui et son père. Elle vit des regards se tourner à plusieurs reprises, accompagnés de murmures, vers un autre homme, un peu décalé du lord. Elle le scruta un instant à son tour, haussant un sourcil, mais se força à baisser les yeux pour éviter que son inattention ne se fasse trop remarquer. La jeune louve tâcha alors de se concentrer de nouveau, convenablement, sur le dialogue phare de ce début de soirée.

« […] Suivez-moi, je vous retrouve à l'intérieur. Seul à seul. »

Elle redressa vivement la tête, levant les yeux vers son père, les sourcils froncés. Alors comme ça, c'était déjà fini ? Elle avait du se préparer tout ce temps pour ce petit échange de rien du tout ? Intérieurement bouillonnante, elle se retourna sous la main de Robb qui l'avait poussée un peu en direction de l'intérieur, la petite famille commençant déjà à y retourner. Quelque chose qui ne plaisait décidément pas du tout à Arya. Elle ne voulait pas rentrer, pas maintenant ; la soirée était à peine entamée ! L'air bougon, elle se dirigeait lentement vers le bâtiment, emboîtant le pas à Bran, allant se glisser à l'intérieur, songeant déjà à un moyen de s'éclipser de là, comme d'habitude. Elle fut légèrement bousculée par Roose qui tâchait de suivre Eddard, poussant la petite sur le côté. Regardant les gens autour, c'est avec une certaine satisfaction qu'elle voyait tout le monde retourner à ses occupations, ses yeux s'arrêtant un long moment sur sa mère et Sansa. Ces deux là étaient les plus dangereuses pour son petit plan ; si elles la voyaient, c'était fichu. Mais les dieux avaient apparemment penché en sa faveur, puisque les deux lady s'éloignèrent jusqu'à passer dans la pièce d'à côté. Arya se jeta donc à l'extérieur de nouveau, ses pieds foulant rapidement la neige, l'amenant à la hauteur de la place qu'elle occupait quelques petites minutes auparavant. S'y arrêtant, elle regarda ce qui se trouvait devant elle, prête à choisir où elle irait se défouler un peu. Ou avec qui. Au cours de sa légère absence, beaucoup de gens étaient rentrés chez eux ou s'étaient simplement dispersés un peu plus loin. Elle ne mit cependant pas longtemps à choisir, puisqu'elle se mit vite à aller rejoindre l'homme qu'elle avait remarqué tout à l'heure. Arrivant bientôt à sa hauteur, elle leva les yeux jusqu'à son visage. Il était beaucoup plus grand qu'elle, et du haut de ses huit ans, la petite était pleine d'une certaine confiance, emportée par sa curiosité, face à cet inconnu.

« Vous êtes un chevalier ? »

Arya avait pris le soin de parler suffisamment fort pour qu'il puisse l'entendre. Elle souriait un peu, non sans attendre une réponse positive, le fixant et n'en attendant pas plus pour continuer.

« Pourquoi est-ce que tout le monde vous regardait ? »

Peut être le dérangeait-elle. Mais ça n'en avait pas l'air, en tout cas. Alors elle se contentait de rester plantée là, à ses pieds, détaillant son visage qu'elle trouvait assez atypique mais qu'elle ne prenait pas la peine de juger.

An 297 - Lune 5

Les enfants jugent souvent les gens se trouvant en face d'eux à la vue de leur simple physique ; en cas d'une personne alors jugée pas vraiment commune, si certains enfants en restent plus curieux, d'autres se désistent en se remémorant les bons conseils de leur parents qui tentent au mieux de leur enseigner la prudence. Ce qui marche plus ou moins bien, aux risques et périls du petit ; et autant qu'Arya restait insensible à la majorité de ce qui lui était autorisé d'apprendre, elle ne gardait qu'une vague notion du danger, inconsciente du mal qui pourrait lui être fait, à elle et son intrépidité parfois un peu trop entreprenante.
Autant que le sourire de l'homme face à elle avait d'abord pu lui paraître sincère, elle s'attendait d'abord à recevoir une réponse positive quant à sa première question. Et quelle joie ça aurait été ! Peut être aurait-il pu lui apprendre quelques trucs, des choses qui l'intéresseraient enfin au milieu de ses horribles leçons de broderie et compagnie. Mais au fur et à mesure qu'Arya écoutait ses paroles, son enthousiasme disparu et son visage se déforma un peu sous une légère grimace. Il parlait suffisamment vite et continuellement pour embrouiller légèrement les pensées de la Stark, feuillues de milles réactions révoltés, mais elle n'ouvrit pas tout de suite la bouche. L'homme énonçait non seulement une vision qu'Arya ne concevait pas concernant les bons gens qu'elle côtoyait, mais il se permettait aussi de presque insulter les chevaliers, et les Dieux savent combien Arya pouvait les admirer.
Fronçant les sourcils et serrant ses petits poings au bout de ses bras raidis, la jeune fille se transformait en une véritable boule de nerf, s'énervant comme il lui était si facile de le faire ; éclatant lorsque son interlocuteur jeta ce caillou sur cette poule. De sa petite force, elle le poussa comme elle le pu, soit bien moins loin que ce qu'elle aurait voulu ; elle ne le fit que légèrement chanceler, avant de relever un regard bouillonnant vers lui.

« Non mais OH ! Non, nous n'avons pas fini ! Arrêtez d'insulter tout le monde ! Et la poule ne vous avait rien fait ! Et puis je suis pas naïve. Je sais que je suis petite mais ça ne m'empêche pas d'être plus intelligente que vous, idiot ! »

Elle se mâchouillât un instant la lèvre, le poussa de nouveau. Elle se fichait bien du fait qu'il soit un bâtard ; après tout, Jon en était un, et ça ne l'empêchait pas de l'aimer, au contraire, ils s'en trouvaient tout deux des ressemblances dans leurs vécus respectifs. Mais ce bâtard là, avec ses yeux froids et son sourire tordu, sans doute ne pourrait-elle jamais l'aimer. Un avis qui s'était forgé bien vite dans la vivacité d'esprit et la spontanéité d'Arya, qui finirait par prendre une place qui ne lui réussirait certainement pas.

« Je comprends pourquoi vous avez une mauvaise réputation. Pas parce que vous êtes un bâtard, mais parce que vous êtes le pire idiot que j'ai jamais vu ! »

Arya le fixait dans les yeux, comme elle avait pris l'habitude de le faire dans tout genre de situation. Elle était de toute façon certaine de ses dires et de la légitimité de ceux-ci ; aussi loin que sa naïveté pouvait l'en convaincre. Tout autant que son insouciance.

« Je suis sûre que votre père a honte de vous ! »

Corde qu'elle jugeait elle-même sensible, comme elle pouvait redouter ce sentiment de la part de ses parents. Mais c'était loin d'être de la méchanceté pure à l'égard du bâtard, elle se doutait simplement, de ce fait, que sa réaction pourrait prendre une certaine ampleur. Ou pas du tout. Alors elle restait sur sa position, de toute façon bien prête à mordre de nouveau.

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