La fête avait été agréable et, comme à son habitude, Silithia s'était montrée sous son meilleur jour. Bien que le vin fut exquis, elle but peu, appréciant simplement la compagnie de chacun et jetant parfois un coup d’œil vers Harren, s'assurant qu'il restait toujours à sa place et qu'il ne faisait rien de déplacé. La vie au Donjon Rouge devait être bien plus plaisante que dans une taverne des bas-fonds de la capitale, et elle était certaine que sa compagnie était bien plus agréable que celle de la Pie. Pourtant, Silithia remarqua l'ennui du Braavosi et quitta donc cette petite fête le plus tôt possible ; il s'assurait de sa sécurité au quotidien, elle pouvait bien faire une bonne action pour lui.

Tous deux partirent donc dans les jardins, la demoiselle appréciant le coucher du soleil et la fraîcheur du soir. Tandis qu'elle songeait que, malgré leur beauté, les jardins du Donjon Rouge ne valaient pas ceux de Hautjardin, elle fut hélée par quelqu'un qu'elle reconnut immédiatement.

Souriante comme à son habitude, elle observa longuement le jeune homme et s'avança vers lui d'un pas tranquille, comme si jamais ils n'avaient bravé les interdits. Elle aurait volontiers pincé les lèvres ou passé son chemin sans lui jeter un regard, parce qu'il avait osé lui dire non. Pourtant, elle n'en fit rien et s'arrêta près de lui.
Elle tourna légèrement la tête, croisant le regard d'Harren et y captant une forme d'inquiétude, peut-être un léger doute. Il avait l'air de se rendre compte de la trop grande proximité qu'il y avait entre Garlan et elle, si bien que le visage de la jeune ouestienne se durcit un peu, son sourire et son regard se faisant légèrement plus froid. Elle reporta son regard sur le bieffois, s'inclina doucement.

-Ser Garlan, c'est un plaisir de vous revoir.

Elle sourit plus franchement lorsqu'il évoqua ses fiançailles. C'était, effectivement, un bien heureux événement. Elle comprit immédiatement à quel jeu se prêtait le second fils Tyrell lorsqu'il évoqua le mariage d'amour. Ce terme d'amour fit d'ailleurs légèrement serrer les dents à la jeune femme, puisqu'elle se perdit à nouveau dans de bien sombres pensées, songeant quelque peu à ce qu'elle aurait pu vivre si elle avait pu épouser Alessander... s'il n'était pas mort...
Elle resta pourtant de marbre, ne montrant rien de cette vague de tristesse, redressant la tête pour répondre d'une voix toujours douce et aimable, comme si jamais rien de mal ne s'était passé entre eux, comme si jamais il n'avait cherché à la provoquer ainsi.

-Lord Tyrion est un homme bon et qui saura, j'en suis certaine, m'offrir une vie des plus douces. Mais dîtes-moi ; que faites-vous ici ? Je ne m'attendais pas à vous voir ici ; je savais que j'y trouverais très certainement votre sœur ou encore lady Olenna, mais pas vous. Elle se tut un instant, laissant les quelques bruits qu'on entendait encore à cette heure-ci leur parvenir plus clairement. Puisque nous parlons de mariages, comment se porte donc lady Leonette ? C'est une femme exquise, un véritable trésor, d'une grande sensibilité ; elle ne supporterait pas la moindre tromperie, j'en suis certaine. J'ose espérer que vous prenez soin d'elle et qu'elle ne manque de rien.

Son sourire découvrit ses dents blanches, se faisant presque félin, tandis qu'elle rappelait ainsi à Garlan que quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, jamais elle ne le laisserait mener la danse.
Il se leva alors du banc, et Silithia hésita un instant à lui dire qu'elle avait à faire, mais l'idée qu'il prenne ça pour un simple moyen de l'éviter la fit rester en place. Suivant du regard les mouvements du chevalier, elle osa un regard vers la fête qui ne semblait pas terminée. Si il voulait réellement la tutoyer comme il le faisait, alors ils devraient s'éloigner.

-Que diriez-vous de m'accompagner pour marcher un peu ?, demanda-t-elle poliment. Un sourire quelque peu amusé aux lèvres et l’œil pétillant de malice, elle commença déjà à s'enfoncer dans les jardins sans même attendre sa réponse...

Comment Garlan osait-il dire des choses pareilles, ici, à la Cour ? Bien sûr, qu'elle connaissait Hautjardin, et les appartements du second fils de Mace Tyrell également. Pourtant, feignant l'innocence, son sourire n'en fut que plus grand, et elle se fendit alors d'un rire léger, accélérant légèrement le pas ; ils devaient s'éloigner, puisque l'alcool ne semblait pas réussir au jeune homme.

-Que dîtes-vous ? Je pense que l'alcool ne vous réussit pas, ser Garlan. Elle rit une seconde fois, plus doucement, puis laissa un silence de quelques secondes s'installer avant de reprendre, l'air un peu mélancolique. Une fois mariée, je ne reverrai sans doute que peu Hautjardin. La cité me manquera, je dois l'admettre. Vous avez beaucoup de chance d'y vivre.

Elle adressa un sourire qui se voulait sincère à Garlan, espérant ainsi calmer le jeu et l'arrêter dans ses révélations plutôt gênantes en la présence d'Harren. Personne ne devait savoir pour eux, ni pour les autres liaisons qu'elle avait pu avoir. Tyrion devait la croire parfaite, tous devaient la croire parfaite. D'ailleurs, ne l'était-elle pas ? Si, bien sûr, elle en était persuadée.

Alors qu'elle pensait être parvenue à détourner la conversation de tous sujets gênants, Garlan reprit. Si elle le trouva d'abord bien curieux, il aborda un sujet des plus délicats. Alessander. Elle avait l'impression de ne pas avoir entendu ce nom depuis des siècles, et pourtant, des mois plus tôt, il était près d'elle, lui offrant un dernier baiser et lui avouant que cet amour qu'elle gardait pour elle était réciproque. Bien triste histoire que celle du cygne noir et de la blanche colombe. Inconsciemment, ses yeux s'étaient baissés pour observer le sol, sa vue menaçant d'être brouillée par les larmes. Le cœur et la gorge serrés, l'estomac noué, elle cherchait à regrouper toute sa confiance en elle et à surmonter cette dure étape qu'était la perte du seul homme qu'elle ait aimé d'un amour sincère.
Mais il était trop tard, parce que déjà une larme coulait le long de sa joue. Elle avala sa salive, chassant la larme d'un bref revers de main et inspirant longuement. Elle devait se calmer. Parfaite en toute situation, songea-t-elle tandis que l'image d'Alessander, son amant, son aimé, s'imposait encore et encore à elle.

Après une véritable joute intérieure qui dura de longues secondes, elle releva les yeux, fixant un point devant elle, un sourire bien peu crédible fendant ses lèvres, tandis qu'elle répondait d'une voix qui se voulait claire.

-Mon père est enchanté par cette union ; il sait que je serai heureuse et bien mariée, que demander de mieux ? Je m'accoutumerai rapidement à la vie à Castral-Roc ; je voyagerai, certes, bien moins, mais je sais que je ne serai pas seule là-bas. Lord Tyrion s'y trouvera, et je ne serai pas très loin de Belcastel. Je pourrai toujours voir ma famille. Elle fit une pause, hésita un peu mais reprit d'une voix plus douce. Je vous remercie. Ser Alessander était comme un frère pour moi, sa perte fut douloureuse, dit-elle du bout des lèvres, relevant alors son regard pour croiser celui de Garlan. La voix toujours tremblotante, son sourire peu crédible toujours aux lèvres, elle dit d'une voix basse. Changeons de sujet, je vous prie.

Elle s'avouait alors, à l'instant, vaincue. Elle serait bientôt une lionne, mais ses griffes n'étaient pas encore aussi affûtées que celles des autres Lannister. Silithia n'avait aucune envie de parler plus encore d'Alessander, c'était bien trop douloureux. Elle n'avait également pas envie de s'éloigner plus de Garlan. Il l'avait déjà vexée en la jetant de son lit, elle ne voulait pas que leur amitié se dégrade plus encore. Chassant les bien tristes pensées qui l'avaient submergées à l'évocation du cygne, elle afficha un sourire plus sincère.

-Comment allez-vous ? Voilà bien longtemps que nous ne nous sommes pas vus.