Un nouveau jour se levait sur Froidlac, tout aussi glacial que l'ancien, la brume matinale commençait à peine à se dissiper, que déjà les pêcheurs quittaient les quais sur leurs frêles embarcations pour aller jeter leurs filets sur le long lac. Quelques commerçants avaient déjà ouvert afin de préparer leurs échoppes pour la venue des clients. Bard déambulait le long des canaux qui parcouraient la cité, saluant chaleureusement les quelques villageois qu'il rencontra sur sa route. Il se dirigeait vers le pont, seul moyen de rentrer ou de sortir de la ville hormis par bateau, il l'empruntait tous les matins afin de rejoindre la terre ferme et de se diriger vers la forêt pour s'adonner à son activité préférée : la chasse. C'était comme un rituel, une chose devenue banale et qui se répétait presque tous les matins, on aurait pu penser qu'une personne de son rang avait des obligations bien plus importantes que celle d'aller courir après du gibier, mais Bard n'était pas intéressé par tout ce qui concernait la gestion d'une seigneurie, les intrigues politiques, les alliances entre famille et tous ceux qui s'en suit. C'était d'ailleurs la réputation qui lui était faite, celle de ne pas s'impliquer à ce qu'exige la vie de noble. L'unique chose qui l'intéressait vraiment c'était sa tranquillité et plus il restait loin de tout cela plus il était serein. Enfin bref, généralement notre chasseur se débrouillait pour revenir en ville au moment où l'on servait le dîner dans le grand hall. Sauf que cette fois il était en retard, bêtement qui plus est, puisqu'il s'imaginait particulièrement en veine ce jour-là à cause d'un tir plus que chanceux qui lui avait fait percer deux faisans d'un seul coup. Il fit donc abstraction du temps, espérant tomber sur une proie bien plus grosse ou tout au moins pour réitérer l'exploit, ce n'est qu'en entendant son estomac grommelé qu'il se rendit compte de son erreur. Je passe sous silence la partie de son retour en ville pour vous raconter directement son entrée dans le grand hall.

Une fois la grande porte ouverte, à peine eut-il le temps de la passer qu'un des serviteurs se rua sur lui :

-Ho m'sire vous v'là ! Nous avions fini par penser qu'vous seriez pas là avant c'soir, une chance pour vous, j'ai insisté auprès du cuistot pour qu'il vous garde un truc au chaud, des fois que vous soyez juste en retard !

-Tu as bien fait gamin, j'étais tellement absorbé par ce que je faisais que j'en ai oublié l'heure. Sois gentil, apporte-moi ces deux faisans au chef et présente lui mes excuses. Sur ce je vais prendre place à table !

Quelle ne fut pas sa surprise en entrant dans la grande salle, de trouver son frère et sa belle-soeur en train de l'attendre. L'un confortablement installé dans le siège du maître de la ville, l'autre debout, les mains jointes, se tenant un peu en retrait. Les deux arborant un visage a l'air grave, ils regardaient fixement le retardataire qui s'avançait pour prendre place. Bard ressentant bien le malaise qui régnait dans la pièce essaya tout de même de désamorcer la situation.

-Ma famille adorée ! Héhé... Hum... Si vous faites la tête parce que je suis en retard sachez que je suis vraiment désolé, j'ai heu... Je n'ai pas d'excuses valables, mais vous auriez dû voir le magnifique tir que j'ai fait : deux faisans, une flèche ! C'était grandiose ! Enfin bref vous...

Il fut interrompu par le grincement d'une porte par laquelle sorti le jeune serviteur qu'il avait croisé tantôt, celui-ci apportait avec lui le repas du noble : une simple soupe de champignons, une miche de pain et un verre d'hydromel. Le jeune homme installa cela rapidement à la place où Bard s'était assis, avant de disparaître aussi vite qu'il était venu. Le chasseur, affamé comme il était, ne fit même pas attention qu'il n'avait pas fini sa phrase et se jeta directement sur son repas. Mais alors qu'il mâchonnait un morceau de pain préalablement trempé dans son potage, il tourna la tête pour se rendre compte que le regard des membres de sa famille le suivait toujours. Il avala sa bouchée, bu une goulée d'hydromel pour la faire descendre, expira lourdement tout en tournant la tête vers eux.

-Quoi ? Vous allez rester là avec vos trognes de six pieds de long à me regarder manger sans rien dire ?

Le cadet se figea littéralement en entendant son frère haussé le ton, non pas parce qu'il était effrayé, mais parce qu'il était surpris ! D'aussi loin qu'il s'en souvienne, son aîné n'avait jamais levé la voix contre lui, mis à part quand l'un et l'autre étaient avinés et qu'ils finissaient par hurler pour s'entendre. En tous les cas, Danal n'employez pas un ton aussi sec et n'y avait jamais mêlé d'expression aussi sévère que celle qu'il employait à présent. En le voyant ainsi, Bard se demanda si c'était sa remarque qui avait mis son frère dans cet état, mais il changea rapidement d'avis. Après tout il avait toujours montré une certaine désinvolture, chose que son aîné avait toujours admiré et accepter... Non, Danal avait réagi ainsi pour une tout autre raison et ce qu'il annonça par la suite, ne firent que confirmer les soupçons de l'archer.

Heureusement qu'il était assis d'ailleurs, autrement il serait littéralement tombé à la renverse. À en croire les dires du lord Lake, un corbeau se serait arrivé le matin même, portant avec lui un message venu du Conflans. Apparemment lord Walder Frey des jumeaux semblait vouloir accorder sa fille Walda en épousailles à Bard. Ce dernier d'habitude si enjoué, vit retomber son humeur comme un soufflé mal préparé. Aussitôt son esprit s'emplit de doutes, son coeur sembla se compresser et son visage laissa apparaître de la tristesse. Il attrapa la chope en face de lui et la descendue d'une traite, avant de la reposer bruyamment sur la table en bois. Il tourna ensuite la tête vers son frère, sans trop savoir pourquoi d'ailleurs, peut-être pour y chercher un quelconque soutien ou bien alors pour le défier. Après l'avoir regardé dans le blanc des yeux pendant quelques instants, le chasseur eut un sourire en coin et laissa même échapper un fou-rire.

-Ha ! T'as bien failli m'avoir pauvre idiot ! J'avoue que j'ai failli y croire à ton histoire... enfin sois gentil évite de me refaire une telle frayeur, je ne le supporterais pas à nouveau.

C'était là un bref sursaut de déni qui disparut aussi rapidement qu'il était venu. En voyant que son frère le fixait encore avec ce regard autoritaire, il comprit rapidement que celui-ci ne plaisantait pas. Il se leva d'un bond, renversant sa chaise au passage, fonçant en direction de son aîné, il saisit le morceau de papier qui trônait devant celui-ci et le lu vivement. Il n'y avait plus de place pour le doute, plus aucun moyen de ruser en prétextant que le message ne lui était pas adressé, puisque tout était réuni pour le désigner comme le principal destinataire : nom et prénom, âge, titre social et nom de la ville... Il n'y avait pas la moindre chance d'insinuer que le vieux Frey aurait pu se tromper de noble.

-C'est... heu... C'est impossible ! Il y a forcément une erreur... Enfin je veux dire que... Même moi je connais la réputation de Walder Frey ! Explique-moi, quel intérêt ce vieux renard pourrait avoir à marier l'une de ses filles au frère cadet d'un noble, d'une maison à la réputation inférieure à celle de sa famille ? Je suis pas particulièrement doué pour ce genre de choses mais j'aurais tendance à dire aucune !

Bard porta furtivement son regard vers sa belle-soeur, bien trop occupée à pester dans son coin pour avoir entendu la remarque de son époux, puis reporta son attention sur son aîné. Il savait que ces derniers ne s'étaient pas mariés par amour, mais plutôt aux termes de négociations orchestrées par leurs pères. Et alors qu'il savait parfaitement qu'aucun amour n'avait germé de cette union, c'était bien la première fois qu'il prenait conscience que son frère en était malheureux et qu'il en souffrait en silence car c'était son devoir. Sans doute était-il d'autant plus attristé de devoir forcer la main de son cadet qui avait échappé à ces mariages arrangés que leurs sœurs et lui-même avaient dû subir, lui qui avait fait en sorte de laisser le choix à son jeune frère, devait aujourd'hui lui imposer un avenir. Par la force des choses, les tentatives du couple pour engendrer un héritier n'avaient pas fonctionné, Danal ne rajeunissait pas et s'inquiéter quant à l'avenir de sa lignée, si eux ne pouvaient pas assurer la descendance, c'était à son frère de le faire ! Le Lord de Froidlac désirait un neveu afin de lui enseigner comment lui succéder, d'une certaine façon il cherchait à préserver Bard en lui évitant d'avoir à assumer ce titre si un malheur devait arriver.

« Tu me demandes d'épouser cette fille et de risquer d'être aussi malheureux que toi en ménage... Pour que perdure notre nom ? »

C'était une simple question, une question sérieuse, posée d'un ton solennel et qui ne portait ni jugement ni moquerie à son frère. La réponse il la connaissait déjà, il n'y en avait qu'une possible de toute façon, il avait seulement besoin de l'entendre, mais avant même que son frère ait pu lui répondre, il poursuivit d'un ton plus léger auquel se mêler ironie et inquiétudes :

« S'il n'est question que d'avoir un héritier, n'importe quelle femme ferait l'affaire! Au moins je l'aurais choisi et elle n'aura pas le faciès si.... particulier des Frey.... Si ça se trouve cette Walda à un oeil qui scie le bois et l'autre qui l'empile, ou bien alors les dents de devant aussi imposante que celle d'un castor... Imagine-toi un peu la tête que pourrait avoir nos enfants... À moins que la condition de la mère ne soit plus importante que ce que tu ne prétendes ? »

L'insouciant en resta pantois, la dernière fois que son frère lui avait donné un ordre remonte au siège de Pyk, il y a plus d'une dizaine d'années de cela! Et aujourd'hui les rudes paroles de son aîné martelèrent son esprit, comme le marteau battait l'enclume! S'il était obligé d'en arriver à cette extrémité là, c'est que ce mariage devait représenter bien plus que ne pouvait l'imaginer Bard. Le fait de conclure des alliances ou bien d'espérer élever le nom des Lake grâce à cette union n'était rien d'important comparé au fait d'apporter une descendance à la famille. Ceci Bard venait de le réaliser à l'instant et il comprit que c'était à lui d'accomplir cette tâche, là où les seigneurs de Froidlac avaient échoués, car l'un ou l'autre... ou bien les deux, étaient dans l'incapacité de donner la vie. C'était la seule chose que son frère attendait de lui, car jusqu'à présent c'était Danal qui portait le poids de toutes les responsabilités de la famille Lake, ne recevant aucune aide de sa femme et préférant épargner son cadet de tous ces tracas. Accepter cette offre était sans doute le meilleur moyen de le remercier pour toutes ces années d'oisiveté qu'il lui avait laissées, même si pour cela il fallut épouser une Frey.

-Tu as sans doute raison. Dit-il en opinant du chef. C'est juste que....

Il n'osa pas lui dire qu'il s'était imaginé se marier par amour, quand on n'y pense c'était même idiot d'y avoir songé... les mariages entre gens nobles étaient presque toujours arrangés, l'amour ne venait qu'après quelque temps de vie commune ou bien il ne venait pas, autant dire que l'avenir de Bard pouvait aussi bien être doux et sucré que rude et amer, croyez-le ou non mais ce genre de constat ça donne soif. L'archer fit donc quelques pas en direction d'un petit guéridon sur lequel étaient posée une cruche de grès remplie de vin rouge, ainsi que plusieurs coupes en métal. Et alors qu'il commençait à remplir la deuxième, il ne put s'empêcher de faire à nouveau de l'humour.

-Tu sais, si tu as si honte de moi il y a un lac à ta portée... il n'est peut-être pas trop tard pour me noyer !

Cela le fit rigoler quelques instants, puis son rire commença à s'estomper pour laisser place au silence. Il se retourna alors vers son frère et lui tendit une coupe.

-Merci mon frère.... je me rends compte que tu en as beaucoup fait pour moi et que je n'en ai pas fait assez en retour. Il trinqua avec son aîné, vida d'une traite son verre puis repris. Tu peux dire à Lord Frey que j'accepte sa proposition, j'épouserai sa fille Walda... laquelle d'entre elles d'ailleurs, il y en a tout un défilé si je ne dis pas de bêtises ? Ho et puis peu importe après tout, c'est du pareil au même... faisons juste en sorte que se soit fait le plus tôt possible.

Attrapant la cruche, il emplit à nouveau les coupes et alors qu'il portait la sienne à ses lèvres il s'arrêta.

-Loris part bien rejoindre Lord Eddard à la capitale d'ici quelques jours, non ? Il n'a qu'à en profiter pour passer aux Jumeaux, ce sera plus simple que de faire envoyer un corbeau par ce gros mestre alcoolique !

Il versa le précieux nectar à la robe écarlate dans son gosier puis donna quelques petites tapes dans le dos de Danal.

-Bien ! Si tu n'y vois pas d'objection, je compte rester là à essayer de me faire à cette idée à grands coups de chopines et ce jusqu'à en rouler sous la table !

[HRP: pour moi c'est bon a moins que R'hollr est quelque chose a dire pour conclure, autrement ce rp est terminer ]