Catelyn Tully était à sa fenêtre, dans ses appartements. Impressionnée par toutes les bannières qui flottaient dehors, tant sur les tours du château que parmi les invités, elle ne cessait de se dire que tout ce monde n’était là, en fait, que dans un seul but : sceller l’alliance du Nord et du Seigneur son Père, Lord Hoster Tully, Seigneur du Conflans, en l’offrant, elle, en mariage à Lord Stark. Un autre Stark cette fois, vu que son premier promis, Lord Brandon Stark, avait été exécuté par le Roi Fou. Catelyn n’eut pu dire ce que cette nouvelle avait eu comme effet sur elle. Franchement, elle devait se l’avouer : à elle, l’annonce de sa mort n’eut d’effet qu’un soulagement. De plus, se montrer triste alors qu’elle n’avait pas demander à épouser Brandon et pour ne l’avoir vu qu’une seule fois, lui était tout bonnement impossible. A l’annonce donc de l’annulation de son union avec Brandon Stark, elle fut au début soulagée, mais elle savait très bien que ce ne serait qu’un sursis supplémentaire pour elle. Lord Hoster trouverait bien un autre Nordique à qui la marier, vu la nécessité de cette alliance entre les deux territoires. Et Lord Hoster trouva vite. Il faut dire qu’il n’eut pas à chercher bien loin ; Brandon ayant par chance un frère, Eddard Stark, qui se trouvait encore libre de tout engagement. « Magnifique », c’était-elle dit en apprenant la nouvelle, « Un Stark pour un autre… ». Comme pour Brandon, son père avait fait venir Lord Eddard à Vivesaigues, pour sceller la chose entre les deux Seigneurs. Et il était venu en grande pompe, ce Seigneur du Nord.


A la tête de plusieurs milliers d’hommes, tant Stark que bannerets des Stark, avait chevauché Eddard jusqu’à Vivesaigues. Pour l’occasion, les bannières à la truite Tully avaient été dressées un peu partout sur le château, aux côtés des lunes et faucons Arryn, l’époux de Lysa, sa sœur, et bien évidemment, du Loup-Garou des Stark. Du haut, de sa chambre, Catelyn voyait toutes les couleurs des bannières Tully et Arryn mais la bannière grise et austère des Stark ne l’enchantait guère et reflétait, pour elle, le caractère des gens de cette famille. Froid et austère, telle était sa représentation de son futur époux.

On frappa à sa porte :

Entrez, dit-elle, le visage tourné vers la fenêtre.

Un serviteur entrant dans ses appartements. Les mains jointes devant lui, il adressa à Catelyn la requête de son père :

Lady Catelyn, Lord Hoster vous fait quérir dans la Grande Salle pour…

Oh oui je me doute de la raison, le coupa-t-elle. Elle se leva, lissa sa robe bleue foncée et se dirigea vers la porte, le serviteur la refermant sur ses pas. Plus elle s’approchait de la Grande Salle, plus son cœur battait vite. « Allons, allons Catelyn », se dit-elle. « Tu es une Tully ! Il en faut plus pour t’impressionner qu’un Loup du Nord ! ». Néanmoins, en apercevant la porte légèrement entrouverte de la Grande Salle, elle ne put s’empêcher de questionner le serviteur au sujet de celui qu’elle s’apprêtait à rencontrer.

Comment est-il ?

Quelques pas les séparaient de la porte à présent. Le serviteur s’arrêta et lui répondit :

Je l’ai à peine vue, ma Dame. J’ai peur de ne pouvoir vous en dire grand chose…

Catelyn passa ses mains moites sur sa robe :

Fort bien.

Le serviteur s’inclina et la laissa faire les derniers pas vers la Grande Salle. Elle n’eut pas besoin d’ouvrir beaucoup plus la porte et lorsqu’elle y entra, la Grande Salle était vide. Rares étaient les fois où elle avait vu la salle ainsi. Un homme se trouvait devant la fenêtre. Il lui faisait dos. Prenant une grande inspiration, Catelyn se rapprocha de lui, mais ce dernier ne l’avait visiblement toujours pas entendu entrer. Elle en profita donc pour l’observer un peu de dos. Il était plus grand qu’elle. Il se tenait droit et elle devina un corps musclé sous ses vêtements. Carré d’épaule, le dos large, son regard se posa sur ses mains, jointes derrière son dos. De grandes mains faites pour tenir la garde d’une épée bien lourde… Il lui fallait cependant voir le visage de celui avec lequel elle allait devoir partager le reste de sa vie. Elle toussota légèrement ce qui le tira de ses pensées. Il se retourna et la voyant, il s’inclina cérémonieusement et s’adressa à elle d’une voix grave :

Lady Catelyn. Votre père vous a-t-il annoncé la nouvelle ?

Elle l’observa un moment, détaillant les traits de son visage. Des traits durs, un regard sérieux et décidé. Même le ton de sa voix et la façon dont il s’était adressé à elle montrait qu’il prenait la chose comme un devoir, un devoir dont il se serait peut-être également passé… A cet instant-là, Catelyn en vint même à envier Lysa. Sa sœur, promise à Lord Jon Arryn du Val, avait bien plus de chance qu’elle ; non seulement Lord Jon était bien plus avenant et moins grave que l’homme qui se tenait, droit comme un i et froid comme l’hiver, mais aussi le Val était un endroit bien plus gai que le Nord où elle allait devoir suivre son mari et y vivre… Néanmoins, puisque Lord Eddard avait l’air de prendre la nouvelle comme un devoir, elle allait lui montrer qu’il en est de même pour elle. Ainsi, elle lui répondit après s’être à son tour inclinée devant lui:

En effet, Lord Eddard, j’ai été mise au courant. L’alliance du Conflans et du Nord étant cruciale pour le Seigneur mon Père, mon sort était pour le moins clair. Il est heureux que votre défunt frère avait un frère cadet encore libre de tout engagement pour sceller cette alliance. Je me réjouis de pouvoir apporter ma pierre à cette alliance et suis honorée de rencontrer mon futur époux.

Elle s’était efforcée de trouver des mots courtois, des mots qu’elle se souvenait avoir appris avec Lysa et leur Septa lorsqu’elles étaient encore jeunes filles. Mais c’était cependant loin d’être réellement ses sentiments. En tant que Dame, elle ne pouvait les montrer, surtout pas à cet homme, ce parfait étranger qui se tenait en face d’elle et qui, elle devait se l’avouer, l’impressionnait assez. Son regard se reporta sur Lord Eddard. « Comment vais-je pouvoir vivre avec cet homme ? » se disait-elle. « Si froid, si en retrait, si austère, si sérieux ! Jamais je ne pourrais aimer un homme pareil et jamais il ne m’aimera. » Elle entrevoyait un avenir sombre et triste. Elle ne pouvait savoir qu’en réalité, elle allait réellement aimer cet homme et que lui aussi allait lui donner tout son amour. Mais à ce stade-là de leur rencontre, c’était tout le contraire qu’elle s’imaginait.

Mon Père vous a-t-il fait part d’une date et d’un lieu pour notre mariage ?

Votre père n'a pas parlé de la manière dont les choses allaient se passer. Mais, vu les circonstances, je pense que le mariage aura lieu ici. Très bientôt.

Un mariage rapide… C’était ce que redoutait Catelyn…mais aussi ce à quoi elle s’attendait. Le caractère urgent de cette alliance ne lui laissait guère de temps pour s’habituer à sa si proche nouvelle vie. Un mari, qu’elle connaissait à peine pour ne pas dire pas du tout, une demeure étrangère, des terres sur lesquelles elle n’avait jamais mis les pieds et qui ne l’enchantait guère mais par-dessus tout, elle allait changer de nom et apprendre à découvrir la vie de femme et tout ce qui allait avec. Ce n’est même pas tant le fait de devenir mère qui l’effrayait un peu (pour elle, la famille est chose sacrée), mais elle redoutait ce que la Septa appelait joliment « les devoirs conjugaux ». Elle se souvenait très bien de son explication et, alors que Lysa buvait littéralement ses mots et ne cessait de lui en parler par la suite, Catelyn était plutôt partagée sur le sujet. Au final, à force de trop y réfléchir et d’écouter Lysa constamment lui rabâcher les oreilles, Catelyn avait décidé de ne plus écouter ni Lysa ni la Septa et d’attendre de voir par elle-même comment cela se passerait le moment venu. Ainsi, pas de préjugé ni d’angoisse démesurée ! Du moins, c’est ce dont elle s’était persuadée. Or voilà que ce moment était particulièrement proche et cela remettait en jeu sa façon de voir les choses.

Cependant, elle voulait montrer à ce Seigneur du Nord qu’elle était prête et nullement impressionnée par lui-même ou par ses futurs devoirs d’épouse et de Dame. Ainsi elle fixa à nouveau son regard bleu sur Lord Eddard. « Un homme pas si désagréable à regarder... », se dit-elle. De plus, elle devait se rendre à l’évidence que sa voix grave lui était également plaisante à écouter. Toutefois sa manière roide et stricte de s’adresser à elle et de se tenir ne la mettait pas vraiment en confiance, tout comme le fait de penser aux milliers d’hommes du Nord, Stark ou alliés des Stark, qui l’avait accompagné à Vivesaigues. Comment était-ce possible que Lord Eddard soit si différent de Lord Brandon ? Elle ne pouvait certes pas dire qu’elle connaissait bien Brandon Stark mais ce qu’elle avait pu voir de lui l’avait mise bien plus en confiance que ne le faisait Eddard Stark, même s’il disait vouloir faire en sorte qu’elle se plaise dans son nouvel environnement. Cependant, elle aima le fait qu’il parle de devoir – valeur aussi importante que la famille pour les Tully et qui faisait même partie de leur devise « Famille, Devoir, Honneur » et que lui aussi aurait voulu que tout ceci se passe différemment. « Intéressant Lord Stark. Il ne manquerait plus que vous soyez un homme d’honneur et vous pourrez peut-être me plaire… ».

En l’entendant parler de combat, elle ne put s’empêcher de sourire. « Voyons-voir si Lord Eddard a une once d’humour sous son froid masque d’homme du Nord » :

Certes. Mieux vaudrait presque que le mariage ait lieu ce soir car si vous partiez à la guerre sans m’avoir épousé et que vous aussi trépassiez au combat ou de la main du Roi Fou, je vais commencer à croire que je porte malheur !

Un fin sourire se dessina sur ses lèvres, espérant qu’il se répercuterait sur le visage de Lord Stark qu’elle regardait droit dans les yeux, la tête haute. Soudain la porte s’ouvrit entièrement dans un grand grincement, laissant entrer Lord Hoster Tully accompagné de deux gardes et de Mestre Kym. Catelyn se retourna et en l’apercevant, s’inclina :

Père.

Lord Hoster adressa un bref regard plein d’amour à sa fille avant de s’adresser à Lord Stark :

Lord Eddard, je voudrais profiter de votre présence, de celle de Lord Arryn ainsi que de celles de vos bannerets pour célébrer votre mariage en ces lieux et dès ce soir. Vous savez comme moi que la guerre qui nous appelle tous au Sud est chose très urgente. Le plus tôt votre union aura été scellée devant les Anciens Dieux et les Nouveaux, le plus tôt nous pourrons tous nous mettre en marche. Mestre Kym ici présent [il se retourna et désigna de la main le Mestre qui s’inclina devant le Seigneur du Nord et devant Catelyn] célébrera votre union en fin d’après-midi. Nous donnerons ensuite un grand festin en votre honneur et en l’honneur de notre marche commune vers le Sud et la victoire avant votre nuit de noce.

« CE SOIR ?! » s’était répétée Catelyn pour elle-même. « Je ne suis pas prête, Père ! Je vous en prie, attendons encore un peu ! Ne me vendez pas tout de suite à ce…glacier ! » En son for intérieur, la nouvelle la bouleversait. Toutefois, son caractère fort lui interdisait d’en laisser transparaître quoi que ce soit. A l’inverse de paraître donc paniquée, elle inspira profondément et se contenta de dire :

Bien, Père.

Lord Hoster cependant, connaissait par cœur sa fille à l’inverse de Lord Eddard. Il vit très bien qu’elle était bouleversée mais n’en dit mot. Catelyn se retourna vers celui qui allait devenir son mari dans quelques heures maintenant et lui adressa ses mots :

Veuillez m’excuser Lord Eddard. Il semble que je vais devoir me préparer plus tôt que prévu pour notre mariage. Je vous revoie dans quelques heures.

Elle s’inclina devant lui puis s’inclina à nouveau devant Lord Hoster en prononçant un « Père » du ton de celle qui allait accomplir son devoir pour sa famille, puis quitta la Grande Salle d’un pas décidé. Dans son dos, elle entendit encore Lord Hoster qui parlait à Lord Stark :

Lord Eddard, me ferez-vous l’honneur de partager ma table pour le déjeuner ? Nous avons encore à nous entretenir avec Lord Jon Arryn.

Elle n’entendit pas la réponse tant elle marchait vite pour regagner ses appartements. Une fois à l’intérieur, elle ferma la porte et la verrouilla. Pour l’instant, elle avait besoin d’être seule. Elle avait besoin de se retrouver seule avec elle-même car ce soir, beaucoup de choses allaient changer pour elle. Dès ce soir, elle ne serait plus jeune fille mais femme. Dès ce soir, elle ne serait plus Lady Catelyn Tully de Vivesaigues mais Lady Catelyn Stark de Winterfell. Elle soupira longuement et essuya rageusement une larme qui s’était échappée et coulait le long de sa joue avant de commencer à se préparer.