An 299 - Lune 8 - Semaine 1 - Jour 7

Tywin, Tyrion, Joanna, Jaime, Genna, Tygett, Kevan, Daven, Cersei… Félicitée.

Adosser contre un arbre, le Kelio répétait ces noms, comme un mantra. Son esprit semblait s’être envolé, tant que son regard était vide. Il ne regardait nulle part. Il n’oubliait jamais. Malgré sa nouvelle vie, il ne voulait pas oublier et c’est pourquoi il continuait ce rituel. Pourtant, ils n’étaient plus que des noms. Il n’avait plus aucune visage en tête. Cela faisait si longtemps qu’il n’espérait même pas les revoir. Après tout, s’il croisait un seul lion, il n’aurait pas été capable de le reconnaître. Pourtant, tout guerrier qu’il était, il ne vivait toujours que pour sa famille. Cette famille, c’était Kashina à présent.

Ses sandales se frottèrent contre le pavé alors qu’il faisait les cents pas dans le temple. Il chuchota à nouveau :

Tywin, Genna, Tygett, Kevan... il arrêta sa course un instant avant de contempler une des torches du temple, Kashina, Aemon.

C’était eux sa nouvelle famille et qu’ils le veuillent ou non, le gladiateur n’avait d’autres raisons de vivre qu’eux. Il savait qu’il serait capable de verser des marées de sang juste pour être sûr qu’ils soient en sécurité. Après tout, s’il ne faisait pas un bon homme, il était un bon soldat. Il se l’était à nouveau prouvé alors qu’au milieu d’un lieu sacré, il fut prêt à tuer Davos de ses mains, lui qui connut un parcours similaire au sien, lui qui combattit à ses côtés lorsqu’ils faisaient partis de la Compagnie Dorée. Tout cela ne signifiait plus rien. Le Lion des Mers ne savait décidément plus éprouvé de l’empathie. Kashina était la seule exception. Peut-être était-ce la raison pour laquelle il savait son destin lié à elle ?

Il arriva finalement devant la porte de la chambre de sa tendre. Il fallait qu’il lui parle, à elle et l’enfant, quand bien même il ne serait pas en mesure de répondre. Quoi que… il était censé être sacré, non ? Sa venue au monde était tout particulière et même si feu Gerion n’était en mesure de comprendre une quelconque croyance, il aurait fallu être le plus grand des idiots pour ne pas se rendre compte que quelque chose avait changé avec la naissance de cet enfant.

Il était grand temps que Kashina et Gerion mettent les choses au clair. Depuis leur retrouvaille, jamais ils n’avaient eu l’occasion de parler de tout ce qui leur était arrivé par le passé. Peut-être était-ce tabou à présent ? Quoi qu’il en soit, tout brutal qu’il était, l’ancien esclave allait briser la glace car rien d’autres que les derniers mots de Benerro ne résonnaient dans sa tête. Enfin, il frappa à la porte, un sourire nerveux se dessinant sur ses lèvres.

La main de Gerion s’était raidie alors qu’il fut sur le point de se raviser et de tourner les talons. Pourtant, comme un murmure abstrait, l’invitation de Kashina lui fit comprendre qu’il serait mal avisé, compte tenu de sa situation de faire machine arrière. Ainsi, ouvrant la porte, il se présenta à sa douce. Celle-ci semblait en pleine forme. Bien qu’il doute qu’il ne s’agisse que du résultat des prières à son Dieu, il lui fallait admettre que les soins administrés par Benerro depuis la naissance de l’enfant l’avait remise sur pied rapidement. Il lui sourit lorsqu’il aperçut le couffin à ses côtés. Evidemment, elle veillait sur Aemon, à sa façon.

Gerion n’avait jamais envisagé ce rôle pour Kashina, celui de mère, même pendant sa grossesse. Pourtant, à présent ce rôle se présentait bien plus comme dans la nature de cette dernière que comme la dernière des surprises. L’amour qu’elle portait à sa progéniture n’était pas nouveau, il était très bien placé pour le savoir et force est de constaté que le Kelio ne pouvait être dupé sur ce point, elle avait sûrement enfanté auparavant. Quoi de plus normal pour une prostitué après tout.

L’ancien esclave se tendit à mesure que ses pas l’amenait vers sa moitié jusqu’à ce que quelque frisson vint le rafermir lorsqu’il sentit le contact de Kashina contre lui. Rien de désagréable, bien entendu. Pourtant, loin d’être une gêne, un nouveau sentiment s’était installé. Et s’il n’allait pas être à ses côtés ? La seule mission qu’il s’était donné était d’être auprès d’elle et d’Aemon. Bien plus encore qu’une mission, d’ailleurs, il s’agissait de son dernier objectif, le dernier but de sa vie. C’était au terme de ce contrat qu’il avait passé qu’il voulait trépasser.

Alors que le bruissement des cheveux blonds de Kashina contre son épaule l’envoutait, il la fixa sans qu’elle ne le remarque.

Pas mal comme cadeau, c’est vrai. Mais parfois on peut en avoir deux, la taquina-t-il tout en faisant référence à ces deux derniers êtres de son existence.

Le ton, bien que nonchalant, trahissait une perplexité quant à son avenir. Si l’espace d’une seconde, il avait voulu oublié ce sentiment, il en omit sa simple présence dans la pièce au point de ne même pas être capable de répondre à l’étreinte de Kashina sur sa main.

Pourtant, il la rejoignit finalement alors qu’elle l’invitait. De façon presque irrévérencieuse, il posa son coude sur la balustrade tout en posant son visage sur son poing. L’air chaud de Volantis vint frapper son dos sans qu’il ne le sentit. Son regard était perdu sur Aemon. Gerion ne semblait pas si vieux pour quelqu’un qui avait un tel vécu. Ses cheveux étaient restés d’un blond pur, sa peau était devenue matte avec le temps passé sur le continent, ses muscles étaient toujours aussi entretenus, le ton de sa voix toujours aussi jovial et pourtant… son regard dénonçait la fatigue d’un homme qui avait sûrement bien trop vécu. Comme un rocher balancé dans l’eau, il prononça de façon lapidaire.

J’ai été père une fois.

Ceci, même Kashina n’était pas au courant. A vrai dire, des fois lui-même n’était plus au courant. Il s’agissait de choses qu’on oubliait facilement en Essos car on voulait les oublier. Lorsqu’il se rendit compte de la portée de ses mots, il ne s’en souciait déjà guère. Elle voudrait sûrement qu’il développe et il le ferait sans doute. Il était là pour parler car pour la première fois depuis qu’il avait posé les pieds sur le continent, il voulait se décharger de certains poids et il savait que seul son premier amour serait capable de l’écouter et réciproquement.

Tu feras sûrement une meilleure mère que je n’ai été un père Kashina… même si je resterai son parent préféré, plaisanta-t-il sous couvert d’une mélancolie non dissimulée.

Gerion ne s’était pas étonné de la révélation de Kashina. Quelle femme pouvait avoir un si grand naturel avec les enfants sans en avoir eu avant. Dans un contexte plus cru, même, quelle femme pouvait être prostituée sans jamais n’être tombée enceinte. Toutefois, Kashina était différente. Elle n’avait pas simplement abandonné l’enfant comme n’importe quelle fille de joie. Elle l’avait nommée. En un sens, elle lui avait offert une existence en plus de la vie. En cela, elle avait déjà accompli son rôle de mère en trois jours seulement.

Se rendant compte de la difficulté pour sa douce de se confier, Gerion voulut la prendre dans ses bras. Il avait déjà levé la main comme pour attraper la sienne mais se ravisa finalement. S’il y avait bien une chose dont il était sûr par-delà toute croyance, c’était qu’on ne pouvait survivre sans accepter d’être ce que nous sommes. Il n’aiderait pas Kashina ainsi. Aussi horrible cela puisse-il être, il fallait qu’elle accepte ce qu’elle avait fait et le Kelio ne doutait pas que c’était déjà le cas. Gerion était attristé de voir que Kashina avait espéré un avenir meilleur pour sa fille à Westeros. Lui qui y avait vécu savait que c’était faux. Si, certes, elle n’était pas devenue esclave, elle était sûrement devenue prostituée à son tour, femme de chambre, au mieux septa, au pire morte.

C’est joli Alyss, tu sais vraiment les choisir, les prénoms, la complimenta-t-il tout en prenant enfin sa main d’un geste protecteur, alors qu’elle en avait fini.

C’était à lui. Gerion connaissait Kashina depuis bien trop longtemps pour ne pas savoir ce qu’elle attendait de lui. Il n’avait pas honte ni peur d’en parler. Elle était la seule oreille qui devait… qui pouvait entendre ceci.

C’était également une fille. Je n’ai pas été aussi original que toi, je l’ai juste appelée Félicitée, s’amusa-t-il. Je l’ai élevé seul au grand désarroi de mes frères.

Il se redressa et s’approcha d’Aemon. Tandis que sa voix grave résonnait à travers la pièce, il tournait son index autour du visage de l’enfant voyant son regard d’améthyste le suivre comme un chasseur après sa proie. C’était une bâtarde et chez moi, avoir une bâtarde peut être très mal perçu, il pensa à Tywin puis à Genna et enfin Kevan qui étaient si déçus de l’attitude de leur jeune frère, si prometteur. J’aimais profondément cette petite et puis… je suis parti à ses trois ans. Je l’ai abandonné moi aussi alors qu’elle n’avait que son père pour vivre.

L’un de ses poings se serra tandis qu’il arrêtait de jouer avec l’enfant de son autre main. Il semblerait qu’on ne puisse s’appeler Lannister tout en étant un bon père. C’est contre la nature du lion de protéger sa progéniture. Pourtant, cette malédiction, le Kelio voulait la combattre pour cet enfant, cette nouvelle chance. Comme un signe, Aemon, dans un réflexe pré cognitif agrippa l’immense doigt de son père de substitution ce qui suffit à détendre l’ancien esclave.

Lors de la naissance d’Aemon, Benerro a dit quelque chose. Quelque chose que je ne peux oublier malgré tous mes efforts. Il est vrai que je ne connais pas ta religion, pourtant je veux m’investir dans ton avenir et celui du bébé. Kashina… que voulait-il dire ?

Gerion ne voulait surtout pas de cet avenir pour Aemon. Il respectait ces croyances mais pourquoi celles-ci devaient elles isoler l’enfant de toute personne ? Les traits du gladiateur se raidirent alors qu’il tournait des yeux innocents vers la prostituée sacrée. Jamais il n'avait été aussi bavard en dix ans.

Retrouver les miens ? gloussa-t-il, Ca fait bien longtemps que les miens ne sont que deux.

Alors qu’il était prêt à prendre les mains de Kashina sur ces derniers mots, Gerion roula finalement des yeux avant d’étouffer un rire moqueur. Ça sonnait bien moins fleur bleu dans ma tête , pensa-t-il. Quoi qu’il en soit, il n’arrêta pas pour autant la course de ses bras lorsqu’il vint attraper ceux de Kashina.

Si je dois rentrer, ce sera à tes côtés, ma belle. Même un chevalier déchu ne rompt pas une promesse, glissa-t-il suavement comme pour faire naître la nostalgie en elle, lui rappeler leur plus merveilleux souvenir.

Remarquant que la chaleur devait certainement exciter Aemon, celui-ci, malgré les berceuses ne réussissait pas à s’endormir. Profitant de l’éveil de l’enfant, Gerion, dans un geste très paternel plaça ses mains éternellement sèches et bronzées par le soleil d’Essos sous les aisselles de l’enfant. Il souleva alors le nouveau-né, les bras tendus, tout en simulant un grand effort par un lourd soupir.

Vous verrez, vous adorerez Westeros. Il y fait bien plus froid mais les forêts y sont luxuriantes, elles s’étendent sans fin. Je viens d’une région en hauteur, il y a des montagnes à perte de vue. La cicatrice à ma cuisse – il assuma qu’elle savait de laquelle il parlait- vient d’une chute lors d’un entraînement avec mon frère. Le coucher de soleil y est si chatoyant que tout le roc de la région semble prendre feu. C’est un bel endroit.

Si ses mots semblaient emplis de nostalgie, d’excitation, malheureusement le ton du Lion des Mers fut bien plus neutre qu’il n’aurait voulu le faire ressentir à Kashina. Il aurait voulu l’émerveiller par ses simples déclarations, faire rire Aemon en voyant Gerion lui sourire mais non. Point de nostalgie, seulement des souvenirs, des faits, une liste plutôt qu’un conte.

Il reposa l’enfant dans son berceau avant de caresser son front d’un seul pouce, il savait que la tête des bébés était très fragile et ne devait en aucun cas être brusquée. Kashina s’était collée à lui, il laissa ses bras passer devant lui comme des draps glissant sur sa peau ; il sentit ses fins cheveux lui chatouiller la nuque et sa poitrine contre son dos bien trop tendu pour une matinée si chaude. Grand Dieu qu’il l’aimait, si chaque moment passé ensemble elle lui rappelait, lui n’en avait pas besoin, il n’avait qu’elle, elle était sa dernière émotion. Répondant à l’affection qu’elle lui portait, il balança sa tête en arrière pour la poser sur celle de son amour. Fermant les yeux, il écouta son histoire comme un enfant attendant sa berceuse.

Il était restait statique tout au long de son récit. Seul un raclement de gorge brusqua le duo lorsqu’elle fit mention de la mort du lion. Soit une prophétie tragiquement bien ficelée, soit un hasard tout aussi morbide.

Bien sûr, il croyait difficilement à cette histoire, non pas à cause des incohérences de n’importe quel légende, après tout, lui-même eut la foi des Sept à une époque où il ne connaissait pas les chaînes. Ici, la foi d’un Dieu de feu ne serait pas suffisante pour lui faire retrouver un quelconque goût à la vie. Il n’avait jamais été aussi heureux qu’aux côtés de Kashina mais malgré tous ses efforts, il ne serait jamais vraiment heureux. Ca, jamais il ne lui dira, elle lui avait promis de lui rendre son bonheur perdu et il ne voulait briser les espoirs de sa douce. Il savait que jamais elle n’y parviendrait mais quand bien même, elle n’avait pas à le savoir.

Les mots de Benerro prenaient tout leur sens une fois mis dans le contexte de la légende d’Azor Ahai. Gerion n’était pas sûr de vouloir ce genre de futur pour cet enfant qui n’avait peut-être rien mérité de tout cela. Oui, il était sceptique mais quel père de substitution ne le serait pas en apprenant que le futur de son enfant ne serait que sang et malheur ?

Si ce que tu dis est vrai, c’est un triste avenir qui m’attend, en effet… Et qu’est-il arrivé à la mère d’Azor Ahai ?

Une bien étrange théorie qui laissa pourtant le Kelio de marbre. Bien qu’il parle couramment le haut valyrien, il ne s’agissait pas de sa langue natale. De ce fait, il lui était difficile de faire les rapprochements de l’évolution d’un mot. De plus, il avait été bien trop cancre durant sa jeunesse pour laisser le mestre de Castral Roc lui enseigner la quelconque leçon d’étymologie. Pourtant, si entendre la prophétie précédente sur la potentiel mort de Gerion ne l’avait point ému, savoir qu’une vieille légende millénaire allait prendre la femme qu’il aimait de la main de celui qu’il allait élever comme son fils…

Sa mâchoire se crispa, même la main de Kashina sur son visage ne parvint pas à le détendre. Pourtant elle était si douce, si innocente. Elle ne parlait que d’amour car elle ne vivait qu’à travers ce sentiment. Kashina était la plus belle des rêveuses et ça, jamais Gerion ne pourrait lui reprocher, même dans ce monde. Les pragmatiques, les réalistes comme lui avaient besoin des rêveurs sans quoi ils ne pourraient jamais lever les yeux. Pourtant, même sa douce qui était si dévouée à son Dieu Rouge avait du mal à énoncer cette vérité. Le Lion des mers ne savait pas comment il réagirait le jour où son Dieu lui demanderait de mourir. Etait-il seulement capable de s’opposer à la volonté de Kashina ? Rien n’était sûr. Loin d’être une servitude, Gerion était pourtant conscient de son attachement presque malsain envers la danseuse sacrée et son bébé.

Les histoires ne finissent bien que pour les enfants, énonça-t-il comme une vérité générale, froide et tranchante.

Gerion n’avait pas sa place dans l’avenir d’un enfant. Même la chaleur de Kashina devait en être ébranlée. La destinée légendaire d’Azor Ahai ressemblait plus au fardeau lancé à un martyr. Lorsqu’on ne croit pas, accepter un tel poids sur l’être aimé semble d’autant plus difficile et à nouveau, même la vision de l’éducation de Kashina ne lui suffisait pas. Aimer et aider à grandir… ça, il l’avait fait pour Félicitée et pourtant, il l’avait perdu et rien ne lui garantissait qu’elle avait effectivement grandi aujourd’hui. L’ancien esclave se surprenait à vouloir quelque chose. Il voulait plus qu’aimer cet enfant, plus que l’aider à grandir, il voulait le guider, lui tracer sa route de la manière la plus égoïste qui soit mais qu’importe s’il le savait heureux. Lui-même avait été jeune et c’était en poursuivant des rêves insensés qu’il avait rencontré le malheur qu’était sa vie mais c’est avec humour qu’il répondit finalement.

Si Lynce et Benerro t’avaient entendu parler… À les entendre, l’avenir du petit doit se faire dans un temple au milieu d’un bon feu ! se moqua-t-il à dire afin de détendre l’atmosphère.

Il ne souhaitait pas que Kashina le surprenne à penser ainsi c’est pourquoi il voulut la faire sourire, la rassurer. Ce fut le cas lorsque leurs visages se collèrent. Gerion crut retrouver la confiance et l’innocence qui avaient fait ses seize ans. D’un coup, sa respiration se fit plus lourde et bruyante tandis que ses lèvres se muèrent indépendamment de sa volonté. Lorsqu’elles sentaient celles de son amour, il devait s’agir d’un réflexe. Ses bras hâlés vinrent couvrir la candide silhouette de Kashina. L’une de ses mains suffisait à couvrir son omoplate, l’autre glissait le long de son dos jusqu’à s’accrocher à son bassin. Son baiser se fit plus passionné lorsqu’il entendit les mots de Kashina et dans un souffle perdu entre leur deux visages entremêlés, il répondit « Avy raqan » dans un accent probablement charretier, sa concentration étant placée ailleurs. Puis, d’un coup, il se ravisa, reculant son nez.

Pas devant Aemon quand même ?

Le Kelio sentit ses lèvres éclore sur les siennes. Chaque baiser, chaque caresse offrait un nouveau frisson au Lannister déchu. Il en tremblait, jamais il ne s’était tant investi face au corps d’autrui. Ses bras étaient une couverture enveloppant Kashina. Pourtant, son cœur palpita lorsque sa main descendit le long de son torse. Une chaleur à la fois torride et angoissante s’empara de lui. Depuis leurs retrouvailles, jamais Gerion ne s’était offert à elle. À vrai dire, cela faisait bien des années qu’ils n’avaient été qu’un pion auprès des femmes qu’il avait connu mais pas avec elle. Pas avec Kashina.

Les bras tendus vers l’arrière, il levait la tête et soufflait comme soufflerait un jeune adolescent. Bien sûr qu’il en avait envie mais était-il seulement prêt ? Il osait espérer qu’il le serait toujours dans les bras de son amour mais cette hésitation… il ne l’avait jamais connu. Gerion avait toujours été un homme confiant auprès des femmes mais pouvait-il encore se targuer d’être le même homme ? Sa gorge se noua puis il baissa les yeux pour croiser celui de la mère d’Aemon alors qu’elle débouclait sa ceinture.

L’espace d’une seconde, le Lion s’était perdu dans l’immensité de ses iris. Comment faisait-il pour lui conférer une telle confiance ? Ironiquement, il avait l’impression que l’heure première fois se reproduisait tout en s’inversant. Lui aussi voulait sentir sa peau contre la sienne, bien sûr. Plutôt que de répondre, il hocha frénétiquement la tête, presque innocemment. Il la suivit alors qu’elle le tirait par la taille. Kashina n’était plus l’enfant apeurée qu’il avait connu. Bien au contraire, c’était à présent lui qui se laissait guider par ses mains expertes.

Alors qu’elle marchait à reculons jusqu’à sa couche, l’ancien gladiateur joignit ses mains aux siennes tout en posant un dernier regard sur l’enfant, s’assurant futilement qu’il ait le regard posé ailleurs. Sur les draps, Gerion était d’abord au-dessus du corps de Kashina, sur les genoux, il posa ses lèvres sur sa nuque, s’enivrant de son parfum. Tandis qu’il fermait les yeux aux contacts de sa peau, une douce chaleur l’envahit et durant ce cours laps de temps, ses sens s’embrumèrent ce qui le surprit assez pour qu’il lève subitement la tête faisant face à Kashina dont les cheveux s’emmêlaient aux plis du drap. Cette aura, cette chaleur continuait d’émaner d’elle.

C’est toi qui… ?

Cette impression se gravait peu dans son esprit sans qu’il ne puisse la définir. Il ne se sentait plus seul maître de lui-même. Loin de le freiner, les palpitations le firent immédiatement suer. Jamais il n’avait été dans un tel état aussi rapidement. Il sentait la chaleur de son sang affluer dans ses membres alors qu’il resserra l’étreinte de ses doigts. De son autre bras, il tira sur sa tunique et le tissu revêche glissait sur sa peau comme jamais auparavant. Chaque fil mal cousu lui chatouillait le dos comme un millier de feuilles tombant sur son corps. Toutes ses sensations se décuplaient ce à quoi il répondit par un regard perçant vers celle qui faisait –littéralement- virevolter son cœur.