Rêves éternels.

297 - Sixième lune - semaine 2 - jour 3
Au nord du Mur.

Le soleil faisait son apparition sur Westeros mais il peinait à montrer le bout de son nez dans les terres du Nord, en particulier au Mur. Les nuages gris recouvraient le ciel et empêchaient les rayons de l’astre chauffer l’air ambiant. Le vent ne soufflait pas en cette journée et cela était une chance. La sensation de froid mordant ne serait pas de mise. L’aube avait pointé depuis quelques heures et l’agitation de Châteaunoir commençait de se faire sentir. Les frères jurés vaquaient à leurs occupations habituelles et tous s’afféraient activement. Cependant, cela n’était guère le cas de Kohàn. Il traînait au mess devant l’âtre du feu, attendant patiemment. Sa patrouille ne partait pas avant l’heure du déjeuner, alors il en profitait pour se détendre devant les flammes. Un peu de chaleur était toujours à prendre sur l’édifice de glace résidentiel.

Un air frais pénétra dans le mess et fit frissonner le patrouilleur. Il se retourna pour voir le nouvel arrivant et aperçut son coéquipier du jour, un frère d’armes aguerri. Les deux hommes s’échangèrent un sourire, puis il se leva et tous deux quittèrent la salle pour aller quadriller la toundra gelée de l’au-delà du Mur pour sans doute ne trouver aucune trace de sauvageons.

L’équipe des patrouilleurs était composée de trois hommes et ceux-ci marchaient dans la neige, à la recherche du moindre élément étrange ou montrant la présence du peuple libre dans ce secteur. Leur ronde n’avait débuté que depuis peu et ils se contentaient pour l’instant de rejoindre leur zone. Dès qu’ils y furent, ils se séparèrent afin d’inspecter plus vite et ainsi pouvoir retourner au plus vite à Châteaunoir pour retrouver un peu de chaleur.

Le soleil avait commencé de décliner : cela se voyait à la luminosité qui baissait doucement. Le froid s’intensifiait à mesure que la nuit approchait et Kohàn avait plus que hâte de rentrer pour retrouver sa place fétiche devant le feu du réfectoire. Il rêvait d’un peu de chaleur et de pouvoir se reposer, et sûrement dormir un peu. Vadrouiller dans la neige, couvert de ses lourds vêtements chauds, l’avait fatigué : malgré les années qu’il avait déjà passé au sein de la Garde de Nuit, il continuait de préférer les vêtements légers de sa vie de marin. Parfois les regrettait-il mais son nouveau style lui plaisait parfaitement. Pouvoir arpenter les terres enneigées de l’au-delà du Mur était pour lui une chance unique d’accomplir son rêve d’enfant complètement. Il savait au fond de lui qu’il n’aurait pu le laisser inachevé. Et puis, être un frère juré le changeait des ans passés à faire de la contrebande tout en explorant le vaste monde. Ce pan de sa vie avait été plutôt sympathique mais il avait redouté à la fin de se faire coincé. Il sourit à cette pensée. Se remémorer son passé lui procurait toujours de la gaieté – sa vie avait été bien belle par rapport à d’autres. Puis, alors qu’il s’apprêtait à faire demi-tour pour rejoindre le lieu de rendez-vous avec les deux autres, il aperçut quelque chose qui l’interpella. Au sol, dans la neige, des traces de pattes. Un loup ? Il en doutait, les empreintes étaient trop grosses pour un simple loup. Une idée vint alors germer dans son esprit : bien que fort rare à trouver, se pourrait-il qu’il s’agisse d’un direwolf ? Il espérait en croiser un depuis longtemps et il peinait à croire qu’il tenait peut-être sa chance. Sa fatigue et le froid soudainement envolés, il se mit à suivre la piste qui semblait fraîche.

Il ne tarda pas à trouver ce qu’il avait espéré croiser : un somptueux direwolf au sombre pelage. Il était magnifique et Kohàn était ébahi devant cet animal si rare. Il s’en approcha doucement afin de ne pas l’effrayer : celui-ci l’avait remarqué et ne pouvait fuir, acculé contre une paroi rocheuse. Puis, soudainement, un élément qu’il n’avait pas supposé ni même repéré au cours de sa patrouille intervint. Une jeune femme surgit des bois et se posta aux côtés du direwolf, armée d’une hache à une main. Grande, élancée, les yeux cernés de suie et vêtue de peaux de bête, il devina aussitôt qu’elle appartenait au peuple libre – déduction en effet très compliquée en vue du lieu où il se trouve. Elle ne disait rien mais ne semblait guère vouloir attaquer. De plus, il était étonné de sa proximité avec l’animal qui ne bronchait pas. Laissant de côté son étonnement pour se concentrer sur la situation, il sourit pour montrer sa sympathie et ne toucha même pas à claymore. S’il souhaitait la paix entre les sauvageons et la Garde de Nuit, il devait tout d’abord s’entendre avec cette jeune femme. Cela serait un début. Avec son air amical, il lança la conversation :

abc« Tu peux ranger ton arme, tu sais, je ne te veux pas de mal, ni à toi, ni au direwolf si c’est ta préoccupation.

Ce n’était que pure vérité. En dehors des liens commerciaux ou des négociations, il n’aimait guère mentir. De plus, il souhaitait la paix, et non la guerre. Il ne se battait que si nécessaire : il avait d’ailleurs toujours eu du mal à comprendre les chevaliers de Westeros qui se battent lors de tournois. Il ajouta, hésitant :

abc- Heu… je peux savoir qui tu es ? Enfin, si cela ne te dérange bien sûr !

L’un de ses principaux défauts avait toujours été de lancer une conversation banale, ou une simple discussion. Il était rare qu’il sache par où commencer ou comment amener certains éléments. Cependant, il changeait dès qu’il s’agissait du commerce ou des négoces.

Seulement la paix.

297 - Sixième lune - semaine 2 - jour 3
Au nord du Mur

Le silence des bois avait repris son cours normal, bien que continuellement interrompu par les grognements du direwolf. Aucune réaction ne venait de la part de la sauvageonne qui restait figée sur place et le fixait sans mot dire. Une légère tension régnait dans l’atmosphère mais le frère juré tentait de l’ignorer. Il ne voulait pas qu’un combat se déclenche, en aucun pas. C’était d’ailleurs cette raison qui l’avait empêché de dégainer sa claymore, même par sécurité. Il avait des intentions pacifiques et ne souhaitait que discuter avec cette jeune femme. La guerre n’était pas son domaine de prédilection et pour rien au monde aurait-il voulu y participer. Au lieu de guerroyer, les peuples feraient mieux de s’allier contre les vraies menaces, comme les Autres qui semblent se réveiller loin dans les terres du Nord. Cependant, rien n’avait l’air de stopper toutes les intrigues politiques et les divers complots qui visaient à s’emparer du trône de fer. Tous ces nobles qui s’affrontaient de manière indirecte afin de poser leur royal fessier sur la chaise la plus inconfortable de tout Westeros. Lors de ses quelques visites à Port-Réal, il s’était bien vite rendu compte de l’absurdité du monde de la noblesse auquel il était heureux de ne pas appartenir. Sa vie de marin vagabond, et à présent d’homme de la Garde de Nuit, lui plaisait amplement pour qu’il n’ait eu l’idée d’aller risquer sa vie pour gagner la place que tous convoitaient. Il la leur laissait bien mais il trouvait fort dommage que tous s’entretuent pour obtenir ce symbole du pouvoir des Sept Couronnes. A quoi bon s’en soucier maintenant ? Son nouveau quotidien le rendait neutre et sans attachement autre que l’ordre des corbeaux : ce qui se passait vers la capitale ne le concernait guère. Non, toute son attention était désormais rivée sur l’au-delà du Mur.

La voix de son interlocutrice finit par le ramener à la réalité. Secouant légèrement la tête, comme pour revenir à sa situation, il l’observa : elle avait finalement rangé sa hache et elle se tenait aux côtés de son direwolf qui ne grognait plus. Elle semblait le dévisager pour une raison qui lui échappait encore. Cependant, malgré son étonnement visible, elle lui avait dit son nom : Luna. Elle ne lui avait pas demandé le sien, comme si… Comme si cela n’était pas le plus important. Le peuple libre avait des mœurs différents alors cela ne le surprenait guère. Il lui lança un sourire, comme pour la rassurer. Elle semblait la rassurer, si bien qu’il attendit patiemment qu’elle parle. Puis, une question vint, une seule, composée d’un seul mot. Pourquoi. De quoi voulait-elle parler ? Plusieurs idées lui venaient en tête mais il ne parvenait à mettre la main sur la bonne. Cela aurait été trop facile autrement. Réfléchissons. Qu’est-ce qui apparaissait comme le plus logique ? Les frères jurés et les sauvageons s’affrontent presque à chaque fois qu’ils se rencontrent, et pourtant, ce n’était pas leur cas à eux deux. Il haussa un sourcil. Etait-ce là où elle voulait en venir ? Lui demandait-elle pourquoi il n’attaquait pas ? Cela semblait plausible. Un autre corbeau l’aurait sûrement attaquée, elle et son direwolf sans trop se poser de questions. Peut-être avait-elle déjà vécu une telle expérience, ce qui pourrait expliquer son trouble. Hum… Il n’était pas devin et il ne parviendrait sans doute pas à trouver la réelle raison à cette question. Certaines de ses hypothèses pourraient peut-être s’avérées juste, mais il doutait fortement que cela soit le cas pour toutes. Il espérait seulement qu’il ait juste quant à la demande de Luna. Toujours avec le sourire – cela semblait être la meilleure méthode pour la rassurer et lui montrer ses intentions pacifiques –, il lui répondit :

abc- Pourquoi je ne t’attaque pas alors que nous sommes censés être ennemis ? Je ne cherche que la paix, donc pourquoi t’affronter alors qu’on peut simplement parler ? A quoi bon se battre lorsque cela peut être évité ?

Ses paroles étaient en parfait accord avec son rêve. Il ne le cachait jamais, car parfois pouvait-il rencontrer des personnes qui le comprenaient. Peut-être était-ce le cas avec cette sauvageonne ? Il en doutait, mais cela pouvait être possible : après tout, elle ne l’avait pas attaqué.