Le tambour à broderie maintenait fermement tendu un carré de lin immaculé. Une main aux longs doigts fins tenait une aiguille de fer, avec à son bout un fil de soie noire. Une main indécise, qui ne s'était jamais servi de ce genre d'outils, et qui était plus apte à tenir les rènes d'un cheval qu'à coucher sur le tissus des images sorties de son esprit. Elle n'ignorait pourtant pas les nombreux exemples qui lui avaient été donné de voir dans sa vie. Des monstres de détails et de finesse, faisant d'un simple voile le support d'un récit magnifié, les fils de soie entremélés aux trames des tissus, comme un mariage. Certaines femmes se complaisaient à y représenter les mythes anciens, faisant leurs les héros des ces légendes. D'autres préféraient y consacrer les grandes victoires de leurs ancètres. D'autres encore, par d'habiles métaphores et personnifications, l'utilisaient comme le moyen d'y exprimer leurs sentiments, ou bien même le futur qu'elle souhaitaient voir se réaliser, scellant ainsi leurs espoirs. Il est bien facile de trouver l'inspiration lorsque la résignation pousse l'âme à s'évader dans l'imaginaire des légendes et des histoires célèbres, ou que le savoir et l'audace permettent à eux deux de réfléchir à son propre avenir et de dessiner ses propres défis.


Mais qu'en est il lorsque les connaissances s'arrètent à l'enceinte d'un château dont les barrières n'ont jamais été franchies? Que les histoires apprises par coeur pour tromper l'ennui sont devenues insupportables à entendre, et que tout ce que l'on réussit à voir au delà du présent se résume à un image si floue que l'on ne peut en distinguer le sujet? Faut-il alors se contenter de depeindre le passé, de faire du tissus une archive remplie de souvenirs? Mais quel souvenir peut prétendre à l'immortalité, telle est la question. Parmis tous les instants vécus, lequel serait à la hauteur des histoires si souvent racontées par les fils de soie. C'était la question que se posa Alyssa. Se remémorrant peu à peu et dans un désordre total les souvenirs de son enfance, elle cherchait celui qui mériterait qu'elle laissa de côté son naturel impatient et capricieux pour passer des heures à se piquer les doigts et à se concentrer sur un bout de chiffon.




D'elle enfant elle ne se souvenait que d'avoir ressentit perpétuellement un ennuit pesant, des heures passée à être obligée de porter des robes aussi fragiles que peu pratiques pour une si petite enfant, ainsi que les réprimandes de sa mère. Il y avait pourtant des moments de pur bonheur dont elle n'avait jamais oublié les émotions ressenties alors. Lorsque son père jouait avec elle. Comme elle aimait son père. Cet homme si doux et si gentil, qui pouvait passer des heures assis sur le sol de sa chambre à la distraire. Et qui fut le seul de ses deux parents à s'accomoder au caractère violent et fougueux qui s'affirma au fil du temps. Lui revinrent Les visages des différents professeurs qu'elle avait eu à supporter d'interminables heures durant et qui essayèrent vainement de lui inculquer un interêt pour l'Histoire des sept Royaumes et des noms des descendants de familles légendaires dont elle n'avait que faire. Pour elle il n'y avait d'important que l'existance à ses côtés de quelques personnes, celles qui composaient le tableau de son univers depuis toujours. La personne dont elle était la plus proche était sans doute son demi frère, le "bâtard". Méprisé par Lady Desdaings, Isendre avait été ce que son ainé n'avait pas pu être. Il avait toujours été là, pour les bétises, les secrets, les rires. Mais aussi pour les confidences, les moments de tristesse, les colères, les disputes. Il avait été le grand frère qu'elle aurait voulu qu'Alessander soit pour elle. C'est lui qui lui donna des vêtements d'hommes, et qui lui appris à monter à cheval comme un homme. C'est aussi grâce à lui qu'elle manie les armes avec un certain talent. La jeune fille savait que sa mère ne voyait pas cette complicité d'un bon oeil, elle ne la blamait pas pour ça, la vipère avait surement ses raisons. Par contre, elle lui tenait rancune de faire vivre un enfer au jeune homme, qui ne pouvait se défendre face à la cruauté de l'épouse du seigneur. Pour son frère ainé, Alyssa éprouvait une admiration qui frolait l'idolatrie. Lui, si beau, si fort. Elle avait tant envié ses talents pour la musique, sa façon de parler, tout ce que leur mère avait pris tant de soins à lui enseigner à lui, et uniquement à lui. Et chaque apparition de son ainé dans son enfance, si courtes et rares fussent-elle, était pour elle des souvenirs si précieux qu'elle en réva souvent. Il était ce qu'elle rèvait d'être et qu'elle ne serait jamais, car il était né homme, héritier et seigneur, alors qu'elle était née femme, avec pour seul avenir d'être une épouse et une mère.

Un évènement lui revint en mémoire. La nuit où le cygne noir avait pris son envol. Il était partit sans rien dire, sans venir lui dire aurevoir, sans laisser de lettre. Il était simplement parti, laissant une blessure amère dans le coeur de la jeune fille. Si elle était sûre au fond d'elle, bien qu'elle ne voulait pas l'admettre, qu'Alessander n'avait pas pensé à mal en agissant ainsi, il ne s'était sans doute pas soucié des conséquences qu'aurait son absence sur la vie de la famille. Il n'avait pas eu à supporter leur mère qui le voyant parti, en avait presque oublié qu'elle avait aussi enfanté d'une fille. Ses crises de colères devinrent plus fréquentes, jusqu'a s'en prendre aux septas qui venaient lui enseigner comment être une épouse digne d'un seigneur. Malgré la présence d'Isendre, la toute jeune fille qu'elle était alors mis presque un an à enfin voir les bons côtés de l'absence de ce demi-dieu qu'elle chérissait tant. L'ennui avait été propice à la réflexion, et enfin elle la voyait. Enfin elle voyait cette occasion qu'elle avait espérée de tout son coeur voir arriver. Car l'amour d'un mère n'est appréciable que lorsqu'il est total, et la vipère bien qu'aimante envers sa cadette, il était indéniable qu'elle lui préférait son fils. Aussi elle mis en oeuvre un véritable plan de bataille pour tenter de conquérir la forteresse qu'était le coeur de la vipère. Elle fit des efforts qui la forcèrent à brider son naturel, qui lui demandèrent tant de patience et de volonté que très vite cela devint son occupation à plein temps. Elle devint moins sauvage envers les septas, écoutant leurs idioties pour les exécuter ensuite dans un endroit où elle serait sûre que sa mère la voit. La sauvageonne quitta parfois ces vêtements masculins pour revétir des robes et des parrures.



Elle avait eu cinq années pour tenter d'interesser leur mère. Et elle se disait en ce moment même, le tambour à broder dans sa main, qu'il lui faudrait bien quelques années de plus pour arriver à ses fins.
Se levant de son lit, la jeune fille se dirigea d'un pas décidé vers la porte de sa chambre, tenant fermement dans sa main le tambour. Sa robe assortie à son regard bleu gris flottait derrière elle, et les bracelets d'argent ciselé qu'elle s'était obligée à porter tintaient au fil de ses pas légers. Dans les couloirs vides de la demeure Desdaings, elle perçut les bruissements d'une conversation venant de la chambre où elle souhaitait se rendre. S'approchant à pas silencieux de la porte, elle eut l'impression d'entendre un timbre de voix familier se mélant à celui de sa mère. Entrouvrant discrètement la porte, elle le vit. Il était là, dos à elle, son port altier et sa chevelure de jais reconnaissables entre milles. Et leur mère, qui tenait son visage et contemplait son fils comme elle ne l'avait jamais fait pour elle. Après être venu la voir dans les jardins, le cygne noir était de nouveau dans le nid de la vipère, reprenant ses privilèges comme s'il n'était jamais parti.

Contrairement à son ainé Alessander, la jeune Alyssa ressemble beaucoup plus à son père. Sous des apparences d'adolescente au caractère difficile, elle est restée une petite fille pure et innocente, ignorant tout de la vie en dehors du nid protégé dans lequel elle a grandit. Pourtant elle ne rève que d'une chose, en partir. Mais ce ne serait pas là le geste d'un maturité certaine qui pousse une jeune femme à prendre en main son destin, plutôt le nouveau caprice d'un enfant gâtée. C'est une bonne vivante qui, jusqu'il y a peu, se riait des convenances dues à son rang, offrant lors des dinners un joyeux spectacle qui faisait rire son père, mais certainement pas sa mère. Elle a le corps d'une jeune femme, mais reste une véritable enfant dans son comportement et ses actions. Alyssa déteste l'ennui et cherche constament ce qui pourrait la distraire. Elle passe plus de temps à rire et s'amuser d'un rien qu'à étudier auprès de ses septas. Bien qu'elle commençât recemment à finalement apprendre l'Histoire des Sept Royaumes, les personnes clefs de son temps ne l'intéressent pas et sont aussi importantes pour elle que les plats servis la veille au dinner.
Elle a parfaitement conscience de la nature sournoise et manipulatrice de sa mère, mais ne partage pas ce trait de caractère avec cette dernière. Loin de réfléchir ses mots, la jeune Desdaings est d'une spontanéité et d'une franchise à toute épreuve, détail que les septas tentent de corriger afin d'éviter tout incident facheux. Alyssa a comme toutes les jeunes filles la tête pleine de rèves, mais certainement pas celui de finir au bras d'un seigneur et de devenir la parfaite épouse du Conflant. Si elle rève de chevalerie, elle est au fond d'elle consciente que cela n'arrivera jamais, et sa seule ambition se résume à ce qu'on la laisse vivre en paix, de pouvoir être une enfant pour quelques temps encore.

Si Alyssa n’a de cesse de contrer et de fuir l’éducation que tente de lui inculquer sa mère, elle ne peut échapper en revanche à la ressemblance flagrante qu’elle partage avec Cerenna. Tout comme Lady Desdaings, la jeune sauvageonne possède une silhouette mince et athlétique, aux formes moins opulentes certes, mais toujours féminines qui lui confère une grâce et une élégance naturelles. Ses cheveux, semblables à ceux de son frère, sont d’un noir de jais, et sont aussi longs et ondulés que ceux de sa génitrice. Son opulente crinière encadre un petit visage fin, aux traits délicats et aux allures félines, et à la peau pâle. Elle a hérité elle aussi des grands yeux bleus-gris aux nuances infinies de Cerenna, dans lesquels on ne décèle pas l’éclat de l’esprit dangereux et sauvage de sa mère mais un esprit libre et farouche, presque indomptable.
Pour ce qui est du domaine vestimentaire et du contenu de ses penderies, depuis sa naissance, la cadette Desdaings a toujours mis un point d’honneur a préférer le confort à l’esthétique. Refusant les robes et les soieries au profit de vêtements masculins amples et usés, elle n’a aucun attrait pour les ornements ou pour les bijoux, préférant tenir une épée plutôt que de voir sa main blanche ornée de bagues extraordinaires. Elle porte de larges chemises de lin clair ainsi que des pantalons de coton epais et sombre empruntés à son demi-frère, Isendre, qui demeure l’un des seuls à oser la soutenir dans ses choix, même face à la colère de Cerenna.
Cependant, récemment, elle tend à s’habiller de plus en plus en accord avec les toilettes que l’on entend voire portées par une jeune fille noble de riche famille. Car il y a cinq ans, son frère les a quitté sans prévenir, laissant enfin un peu de temps et de place à la jeune fille pour tenter de capter l’attention, et peut être, l’affection, de sa mère. Et cette recherche d’intérêt maternel vit la jeune fille accepter enfin de se plier à quelques règles simples de l’étiquette, toujours dans l’optique de ravir sa mère. Elle accepta donc de garder ses chemises et braies usées pour son privé et de revétir des robes lors des diners et sorties en public.
Elle revêt donc des robes semblables à celles de Cerenna, mais plus simples, plus candides. Préférant, tout comme dans les toilettes de sa mère, la beauté du tissu à une complexité de forme et de découpe qui serait ridicules au vu de la mode de Beaumarché. Portant vers une esthétique presque antique, s’inspirant librement des tenues que l’on trouve de l’autre côté du Détroit, la sobriété de ses tenues ne fait que sublimer sa beauté. Si elle a longtemps refusé de porter des couleurs trop voyantes, sa mère réussi à la convaincre néanmoins de faire sienne toute une palette de tons pastels naturels, allant du gris perle au vert pâle en passant par le sable et le bleu-gris.
Enfin, elle a comme point commun avec sa mère d’exécrer les colliers, leur préférant les bracelets et manchettes d’argent, de fer ou d’or pur, dénués de pierres précieuses certes, mais magnifiquement ciselés dans un travail d’orfèvrerie typique du Confluant envié jusque dans la capitale.