298 – Dixième Lune – Semaine Trois – Jour Trois (près de Lancehélion, sur les rives de Sang-Vert)

Il n'aimait pas Dorne. Mais ce n'était vraiment pas à cause de cette vieille rivalité entre les dorniens et les bieffois. Paxter Redwyne s'estimait au dessus de ça, et quelques années auparavant, il avait été, après tout, un allié des Targaryen et donc des dorniens, puisque la princesse Elia était une Martell. Oui, même si Willos restait son neveu, il trouvait idiot l'entêtement de Mace à détester des gens qui avait lutté à ses cotés. Même si aujourd'hui les Targaryen étaient bien finis...Qu'ils reprennent le pouvoir paraissait impossible à Paxter, si bien qu'il attendait patiemment de voir ce qu'il allait se passer...trop de conflits, trop de méfiance en ce qui le concernait, selon lui. Viserys passait pour un fou, selon les rumeurs qu'on entendait dans les Ports. Et lui écoutait gentiment. Daenerys ? Où qu'elle soit en ce moment, elle n'était qu'une enfant, et les enfants ne régnaient jamais bien longtemps. Non, il fallait bien compter avec Robert Baratheon, tout balourd qu'il soit. Paxter en était désolé, mais finalement, il se disait « peu me chaut » avec un certain aplomb, car on aurait toujours besoin des navires qu'il avait et du vin qu'il vendait. Ce qui était bien lorsqu'on avait la flotte la plus importante de Westeros, c'est qu'on ne risquait pas de se faire tuer ou aggresser, parce qu'on était trop dangereux et qu'on comptait un peu trop pour prendre le risque de se mettre ledit lord à dos. Bien sur ça n'empêchait pas Paxter Redwyne de se méfier, mais finalement il était assez confiant en l'avenir...s'il quittait Dorne.

« C'est une sale cote, pas vrai ? »

Il se tourna vers son second, Garrett, qui affichait comme toujours un sourire rusé dont le Navigateur avait appris à se méfier. Il n'avait jamais reconnu que le gamin, âgé de vingt-quatre ans aujourd'hui, pourrait être son fils, mais c'était bien le cas. La fille qui lui avait ramené le bébé, en 274, puait la pute et les bordels de Villevieille et prétendait que c'était un messire Redwyne qui l'avait engrossé. Léger problème pour Paxter, il ne se souvenait pas de la fille et ça aurait pu être son oncle, le lord de l'époque, Radcliff, dit le Corsaire qui avait enfanté ce marmot là. Il avait pris le gamin pour ne pas faire d'histoire et avait grassement payé la putain pour ne plus jamais la voir. Garrett s'était révélé un marin compétent mais un filou de première. Paxter se demandait encore aujourd'hui s'il s'agissait de son meilleur allié ou de son pire ennemi. Il hocha la tête :

« Oui. Quand est-ce que Bourg-Cabane sera en vue ? »

Bourg-Cabane était à son avis le seul port valable de ce pays, parce qu'on ne pouvait guère accoster à Lancehélion. Ni ailleurs, ou rarement, cela dit. D'une longueur de quatre cent lieues, les rivages dorniens étaient redoutés par les navigateurs en raison des tourbillons, falaises et hauts-fonds qui les jalonnent ainsi que pour leur absence de point d'accostage sûr. Une saleté, en bref. Pourtant il fallait bien livrer. Garrett pointa du doigt l'embouchure de la Sang-Vert.

« Nous arrivons.
-Bien. Bâbord toute, puis lofe ! Préparez vous à décharger, nous accostons. »

Il était tard dans la journée, et il n'allait pas dire non à une soirée dans une des tavernes qu'il devait livrer. L'agitation des quais de Bourg-Cabane, qui n'avait rien à voir avec ceux de ports plus importants, permit de descendre à terre assez rapidement, et de conclure les livraisons dans un temps records pendant que Paxter réussissait à se faire inviter chez le tenancier de La fille des Houles – décidément, il devait être poursuivi par la mer même sur la terre ferme – une taverne d'un peu meilleur goût que celles fréquentées par ses hommes – à traduire par le fait que ce qu'on y mangeait était moins avarié et que les lits étaient moins mangés par les puces.

Attablé devant son repas, Paxter se prit à étudier la carte du retour. Le voyage avait été dans l'ensemble positif et il en était content. Les profits étaient bons, et il quittait bientôt Dorne, tout en empochant un joli magot sonnant et trébuchant, il n'avait rien à demander de plus. Sinon de revoir son château, qui lui manquait un peu, en ce moment. Malgré toutes les fois où il allait voir ailleurs et toutes les fois où elle le faisait elle aussi, sa femme restait sa meilleure alliée en ce qui concernait le mépris et leur manière de rire ensemble, mais également une comploteuse appréciable dont il se demandait, parfois, si elle n'avait pas décidée de le surpasser dans l'art de manipuler les gens...la preuve en étant qu'elle arrivait toujours à obtenir ce qu'elle voulait de lui. En attendant, s'il pouvait trouver une fille qui, bien sur, ne la vaudrait pas au lit, mais qui se débrouillait bien tout en étant agréable à regarder, Redwyne ne disait pas non.

« Mon capitaine ? »

Il ne supportait pas qu'on le dérange dans ses réflexions, surtout lorsqu'elles tendaient vers la blonde accorte qui devait être tout à fait baisable sans son tablier qui passait par là. Il se tourna avec mauvaise humeur vers son second, songeant qu'il n'aurait pas du l'amener :

« Qu'y a-t-il encore ? »

L'autre pointa du doigt deux femmes qui entraient. Paxter jeta un regard en avant, vers l'entrée de la Taverne. La fille qu'il avait jeté hors du bateau, celle là même qui avait couché avec ledit Garrett qui l'accompagnait aujourd'hui. Tyerne Sand, et l'autre devait être son Aspic d'ainée, ou cadette, Nyméria...allons donc, cela, ce n'était pas des femmes à son goût, non, certainement pas. Paxter ne concevait que mépris et méfiance envers ces femmes et ne voulaient pas qu'elles corrompent son équipage, d'où sa réaction cette fois là. Il n'était donc pas ravi de les revoir, voire même agacé :

« Deux aspics des sables pour le prix d'une, tu augmentes ton score, garçon. Ne les regarde donc pas comme ça, j'ai moyennement envie qu'elles nous voient et qu'elles empoisonnent ce ragout.
-Ou qu'elle vous mate au lit, ce qu'elle pourrait faire aussi, vous le sauriez si vous aviez été moins dur.
-Je n'en doute pas, mais je n'ai pas envie d'avoir ton avis, ni le sien, tu la fermeras donc cette fois ci. »

Et priant pour que la rencontre fatidique ne se produise pas, malgré un léger sourire du aux remarques de Garrett, Paxter Redwyne revint à ses cartes.

Paxter Redwyne n'aimait pas qu'on le dérange, il aimait encore moins être dérangé par une femme. Qui plus est une fille qu'il jugeait être à peine mieux qu'une fille de joie, toute bâtarde qu'elle était : il fallait dire à sa décharge que leur première rencontre pouvait effectivement donner à penser que la jeune Tyerne Sand était une fille de petite vertu, tant son habillage était maigre. Non pas qu'il détesta les filles de joies, au contraire, quoiqu'il préférait tout de même les filles propres, mais celle ci était du plus mauvais effet à bord. Sur son bateau, Redwyne entretenait une discipline de fer. A terre c'était autre chose, mais à terre les matelots avaient droit à une juste récompense. A bord, il exigeait de la discipline, de l'obéissance, et de la rigueur. Il voulait que tous soient concentrés sur les choses importantes, à savoir la navigation, et rien de pire qu'une donzelle sur le pont pour que tout le monde lâche son poste et aille la contempler avec des yeux énamourés, qu'importait si les femmes étaient sensées porter malheur à bord...Et Tyerne Sand ne pouvait que porter malheur. On la disait douce comme un ange, il soupçonnait que ce ne soit qu'une façade. Le poison était réputé pour être l'arme des serpents : c'était quasiment avéré pour son père, le prince Oberyn, c'était moins sur pour Tyerne, mais qu'importait. Il avait moyennement envie qu'elle s'installe à bord en copulant avec un membre de sa famille – fils ou cousin, bâtard ou pas, Garrett restait de la famille – et qu'elle tente de tous les empoisonner un jour ou l'autre.

Conclusion, il n'était pas ravi de la voir. Paxter savait deviner les gens rancuniers, et il doutait que Tyerne aie soudainement décidé de lui pardonner et de venir faire la causette. Lui ne l'aurait pas fait. Il l'aurait vu comme une marque de faiblesse. Une marque de faiblesse pure. Lui, il l'aurait ignorée ou insultée en face – enfin insultée. De manière noble, mais franche, avec son acidité naturelle, ce n'était pas très difficile. Paxter savait parler et il était rare qu'il ne sorte pas vainqueur d'une joute verbale.

Mais elle voyait les choses différemment. Peut-être que le ton diaboliquement innocent et serein qu'elle avait était précisément là pour l'agacer. C'était tout à fait réussi. Paxter ne voulait pas faire de vagues, il n'avait envie d'insulter ou de d'ennuyer quelqu'un puisqu'il repartait dans trois jours, mais il allait peut-être en aller autrement. Elle avait décidé de jouer avec lui. Fort bien, il allait jouer. Les yeux bleus remontèrent en un instant au visage de la jeune femme.

« C'est possible en effet. Vous étiez la jeune femme sans pudeur que s'offrait mon second et je suis le capitaine qui vous chassa à terre. » Le ton était courtois, franc, ne montrait aucun agacement. Il pouvait jouer très longtemps à ce jeu là. Plus longtemps qu'elle, il en était sur : « Ou si vous préferez une version plus directe, je suis le capitaine qui vous jeta par dessus bord vous renvoyant à votre place de bâtarde. »

Le ton était dur, et sans merci. L'insulte n'était pas dans le terme bâtarde, une personne est une personne et pas un nom, mais ça l'amusait d'essayer d'être volontairement vexant. Paxter sourit de nouveau d'un air aimable et continua d'un ton imperturbable :

« Vos mains sont sur les cartes, vous savez ? A moins que vous n'ayez quelque chose d'important à me faire savoir, j'aimerais que vous partiez – nous étudions la route pour le faire, nous aussi, nous serons quittes. »