Chargée d'un plateau portant les reliefs d'un copieux petit déjeuner, Luevan referme la porte de la chambre attribuée au jeune Overton. D'un coup de pied. Avant de se mordre les lèvres en se disant qu'elle n'aurait peut-être pas dû, puis de hausser les épaules. De toute façon, elle a les mains prises. Bon sang, mais comment elles font, les vraies servantes ?

Les cheveux sagement attachés en natte dans son dos, la jeune femme porte, sous un tablier, une sobre robe noire brodée aux manches et au col du damier Overton. Tant qu'elle n'ouvre pas la bouche et qu'elle ne met pas de coups de pied dans les portes, on pourrait effectivement la confondre avec une vraie servante.

Affichant son humeur de chien sur sa mine renfrognée, la sauvageonne enfile à grands pas le couloir du premier étage de l'auberge, repoussant de coups de genou hargneux les plis de sa jupe longue qui freinent ses enjambées. Ce n'est pas encore aujourd'hui qu'elle va s'habituer aux tenues féminines du Sud. Déjà, pour monter à cheval, une jupe... Les deux jambes du même côté, comme c'est pratique, tiens ! Et pour courir, on fait comment ? Ah oui, c'est vrai. Une femme, ça ne court pas. Ça se laisse rattraper en poussant des petits couinements de souris et en espérant qu'un chevalier va se pointer.

Lâchant un "pfeuh" qui donne toute la mesure de son agacement, la jeune femme commence à descendre l'escalier. Évidemment, elle aurait dû se douter que môssieur Overton, junior, ne l'autoriserait pas à se promener dans Port-Réal toute seule. Ni aujourd'hui, ni jusqu'à la fin de son séjour. Évidemment. C'est quand même trop bête de se trouver dans la capitale des Sept Couronnes et de ne même pas pouvoir visiter ! Luevan aimerait bien en trépigner d'énervement, mais elle a un plateau dans les mains, plein de vaisselle en équilibre instable. C'est par où les cuisines, déjà ? Ah oui. A gauche en bas de l'escalier.

Elle négocie le virage en épingle à cheveux, et son plateau heurte de plein fouet une jeune dame brune avant de renverser tout son chargement sur le sol. Un grand fracas de vaisselle brisée salue l'exploit, aussitôt suivi d'une bordée des pires jurons de la Vieille Langue.

La fausse servante porte une main à sa bouche, les yeux fixés sur le désastre répandu sur le plancher, puis souffle avec un accent à couper au couteau :

"Je suis désolée, milady."

Ce matin-là, Ruby et sa Nanny étaient sorties dès potron-minet, pour voir Port-Real au lever du soleil. Elles avaient arpenté les petites rues, admiré comme il se devait le lever de l'astre du haut d'un rempart et, attirées par l'odeur appétissante venant de pâtisseries, cédé à l'appel du ventre et petit-déjeuné en chemin. Elles avaient beaucoup parlé, mettant à plat les non-dits restant entre elles suite à la "trahison" de la vieille femme. Les choses avaient été facilitées par le fait que Nanny était sincèrement navrée d'avoir caché des choses importantes à la jeune femme, et que Ruby n'était plus vraiment en colère, compte tenu du fait qu'Ades Overton représentait réellement un parti... intéressant. C'est donc d'excellente humeur que les deux femmes arrivèrent à l'auberge après leur long périple.

Les deux femmes se dirigeaient en riant vers les escaliers, afin de reposer leurs jambes fatiguées de cette -déjà- demi-journée de promenade quand une tornade brune vêtue de noir percuta Ruby en prenant les escaliers à la corde. La jeune femme se tomba pas, heureusement, mais aucune d'elles trois ne sut enrayer la chute de l'intégralité du plateau sur Ruby, pas plus que l'éclatement de la vaisselle au sol. Au bout de quelques secondes d'un assourdissant silence, le tavernier vint vociférer sur la perte de sa vaisselle et envisagea sérieusement de gifler la donzelle mais renonça, probablement parce qu'lle n'était pas à lui, sa femme vint donner un balai à la jeune servante en geignant, Nanny se pencha avec consternation sur les taches constellant sa robe gris perle... Quant aux deux concernées au plus haut chef, la première avait juré dans une langue barbare avant de s'excuser, et la seconde gardait un silence pensif, les yeux posés sur le visage de la servante d'Ades Overton, dénoncée par le damier sur ses vêtements.

Ouais.
"Servante", hein. Le regard de Ruby fit lentement l'aller retour de la tête au pieds de Luevan avant de réussir l'exploit de la toiser malgré les plus de dix centimètres en sa défaveur qui les séparaient. On est là dans la maîtresse récupérée dans un village lointain, sans aucun doute. Et dire que cet affreux individu avait prétendu... enfin, il avait dit n'avoir pas de bâtards, pas être vierge et pur, hein. La jeune femme soupira. S'il voulait s'amuser, il avait le droit. Et vu le morceau, il aurait eu tort de s'en priver. De plus, ce double statut expliquait la maladresse de la servante présumée.
Elle eut un soupir résigné, s'adressa à la jeune femme :

- Ramasse tout cela avant que ce monsieur ne me brise les tympans, veux-tu ? ... Et tu pourras dire à ton maître qu'il me doit le nettoyage d'une robe, pour que nous commencions notre... prise de contact sous les meilleurs auspices. ... Et, une fois ceci fait, penses-tu que cela gêne si je te vole à son service quelques instants ? Nous ne serons pas trop de trois pour me débarrasser de cette robe.

... Ni trop de deux dans une pièce fermée pour te tirer les vers du nez à divers propos.

Luevan saisit le balai qu'on lui tend, confuse, et se met à rassembler les débris. Au moins, balayer, elle sait faire... En tout cas, elle ne remarque pas le regard de la jeune dame qui l'inspecte. Elle s'interrompt, surprise, quand elle comprend qu'on lui adresse la parole, et fronce les sourcils pour arriver à suivre. Tympans ? Auspices ?... Par la barbe des géants, ces ladies ne peuvent pas employer un langage un peu moins recherché ?

La fausse servante offre son sourire le plus niais et reprend son balayage.

"Désolée, milady. Je pas bien comprends votre langue. Je paye pour la robe sur salaire."

Puis, se tournant vers l'aubergiste, elle ajoute aimablement :

"Je paye aussi vaisselle. Vous arrête crier, s'il vous plaît ?"

Radical : le tenancier cesse aussitôt de leur martyriser les oreilles et repart en grommelant. Sa femme, elle, reste là pour vérifier que Luevan n'oublie aucun tesson de porcelaine dans un coin, et lui tend une pelle pour rassembler le carnage.

Tout en finissant de faire disparaître les traces de son crime, la jeune femme s'avise que les pieds coquettement chaussés de la lady n'ont pas bougé de son champ de vision. Elle relève les yeux, interrogative.

Ruby et Nanny échangèrent un regard entendu : si la jeune femme pouvait offrir de remplacer la porcelaine brisée mais surtout de payer le nettoyage de la robe... C'est qu'elle n'était pas aussi seulement servante qu'elle en avait l'air, définitivement. Après tout, si Ades pouvait se le permettre, cela indiquait juste que le domaine Overton était en bonne santé financière, ce qui, compte tenu de leurs hypothétiques futures relations, était positif.

Par contre... Elle était charmante et polie... Mais visiblement, elle parlait pas la langue. Ruby attendit donc à côté de la jeune fille le temps que celle-ci percute qu'elle n'était pas partie puis, à son regard interrogateur, se fendit d'un grand sourire et lui demanda :

- ... J'aurais voulu que tu nous accompagnes à ma chambre pour m'aider à me débarrasser de ma robe souillée. Cela ne prendra que quelques instants et, si ton maître demande, je lui dirai que c'est moi qui ai demandé. Tu ne te feras pas... disputer, comme ça. ... Enfin. Au moins pour cela. Pour le reste... *petite grimace* Désolée.

D'un pas de sénateur, et sans jeter l'ombre d'un regard aux aubergistes, Nanny monte les escaliers menant aux chambres, et avant de la suivre de façon bien plus aimable, Ruby se tourne vers Luevan, souriante, tendant une main vers elle :

- Tu viens ?


Une fois dans la petite chambre encombrée, Ruby jette son ombrelle sur le lit double et relâche la main de la sauvageonne, pendant que Nanny farfouille dans leurs bagages à la recherche d'un nécessaire de nettoyage, ainsi que d'une nouvelle tenue. La jeune femme délace son corsage, puis tourne le dos à Luevan pour qu'elle s'occupe du laçage arrière pendant qu'elle se pose sur le lit dans un gracieux froufrou pour ôter ses chaussures.

- Alors... Comment t'appelles-tu ? J'ai cru entendre que tu avais un petit accent... D'où viens-tu ? Quelle est ta langue natale ? Je parle plusieurs langues, ce serait plus facile peut être pour se comprendre si par hasard je connaissais la tienne... ... Peux tu tirer le lacet de gauche ? Hmph, non, pas celui de droite !! L'autre gauche ! ... Voilà. Merci.

La jeune femme s'extrait de sa robe avec bonne humeur, puis la tend à Nanny pour un nettoyage. C'est donc en sous vêtements -tout à fait respectables et pudiques, soyons clairs- qu'elle se retourne vers la sauvageonne avant de s'allonger à plat ventre sur son lit -on parait toujours moins impressionnant quand on est situé plus bas que son adversaire.

- Et cela fait longtemps que tu travailles pour les Overton ?

Si Luevan a offert si légèrement de payer pour la vaisselle cassée et la robe tachée, c'est parce qu'elle n'a aucune notion de l'argent, la monnaie n'étant pas en usage chez elle ; c'est aussi dans l'espoir qu'on lui ficherait la paix plus rapidement ; et puis, quitte à se faire enguirlander par Ades Overton, autant lui présenter une facture en même temps...

Cette fois, la jeune dame utilise des mots plus simples, articule mieux, et la fausse servante n'est pas prise de court : elle comprend à peu près tout. Tiens... Comment sait-elle que c'est un maître qu'elle sert, et pas une maîtresse ? Luevan se creuse un moment la tête, se demandant si elle a bien compris et si "maîtresse" est bien le féminin de "maître", vu que "maîtresse" signifie aussi "petit biscuit", et si ça se trouve, la lady a juste dit ça comme ça, en manière de terme générique, et...

- Tu viens ?

Luevan s'arrache à ses considérations linguistiques, esquisse un sourire timide et hoche la tête avant de se laisser entraîner en haut de l'escalier. Ce sera toujours un délai supplémentaire avant de se faire disputer... De plus, la jeune dame semble sympathique et amicale. On ne peut pas en dire autant de la vieille femme qui l'accompagne, aussi raide et droite qu'un barral.

La fausse servante reste bouche bée en découvrant la chambre. Grands dieux... Des fanfreluches partout. Elle met quelques secondes à se rendre compte que la jeune dame lui présente son dos pour être délacée, et s'attelle aussitôt à la tâche, tout en se félicitant in petto d'avoir opté pour le statut de servante. En tant que maîtresse, elle aurait peut-être porté une de ces robes invraisemblablement difficiles à mettre et à enlever, raides comme la justice, de vrais carcans, il n'y a qu'à voir comme cette pauvre fille est serrée ! Non merci, très peu pour elle.

- Luevan, milady. Le Neck, milady. Je crois pas vous parle langue des Paludiers, si ?

Ades et elle se sont accordés sur cette origine fictive : bien que le patois du Neck se soit, avec le temps, beaucoup écarté de la Vieille Langue, les deux idiomes présentent encore suffisamment de points communs pour tromper une oreille non exercée.

- Oh, pardon, milady.

Quelle vacherie, ces lacets... Enfin, la voilà délivrée de sa couche du dessus. Luevan contemple avec ébahissement tout ce qui se trouve encore sur Ruby : mais elle doit mettre au moins une heure à s'habiller, la pauvre !

- Et cela fait longtemps que tu travailles pour les Overton ?

Ah, voilà, tout s'éclaire : elle connaît les Overton. Elle a dû identifier le blason sur sa robe. Luevan se fend d'un nouveau sourire aimable.

- Non, milady. J'engagée juste avant départ pour Port-Réal.

Ah flûte.
Voilà sa source de renseignements qui part en fumée. .. Enfin, plus ou moins. Sur le trajet, la jeune servante a du pouvoir se faire une idée de comment fonctionne l'héritier Overton, le voir avec ses gens... Donc elle en saura sans doute un peu plus quand même.
Commençons en douceur.

- Le Neck ? J'avoue que je ne vois pas tout à fait où ça se trouve. C'est proche du fief Overton, je suppose, mais sortie de là... *léger rire* Et la langue des Paludiers manque à mon panel, je l'avoue. *réfléchit* Il faudra peut être que je l'apprenne, ceci dit, du coup. ... Et... Dans le Nord... Il fait froid... froid ou froid... un petit peu chaud de temps en temps ? Parce que je n'ai jamais dépassé cette latitude, et... Je voulais savoir si d'après toi j'allais pouvoir garder mes orteils. *orteils qu'elle agite délicatement dans ses bas de soie* J'aurais aussi besoin des conseils d'une femme pour choisir des vêtements adaptés au froid. Je me vois mal emmener Vasgard avec nous faire les magasins. Sans parler de votre maitre. *rire* Penses-tu que je pourrais t'emprunter quelques temps pour aller en ville ? Pas aujourd'hui, bien sur. Mais... demain, ou le jour d'après ? ... Messire Overton a l'air plutôt... gentil, comme maitre, non ? Ça devrait pouvoir se faire. ... Vous avez eu beau temps pour le voyage ? Cela vous a fait une trotte, quand même. Surtout à cheval. .... *mâchouille une mèche de cheveux et change à nouveau de sujet* Le domaine des Overton, c'est comment ? C'est joli ? ... Je suppose qu'il y a de la neige. Ce doit être joli, tout ce blanc. Mais froid et humide. Enfin, je suppose que même en voyage, il y a des moyens de se tenir chaud par temps froid et humide hein ? *clin d’œil suggestif* Enfin, peut être pas sous la tente.

Au temps pour la douceur.
La torture selon Ruby Graves : enfermer son auditoire dans une bulle de mots l'empêchant de penser, avec suffisamment de blancs et de questions pour qu'il réponde par automatisme même aux choses les plus personnelles. Cela marche quasi à tous les coups.

Avec un sourire appréciateur -bien joué ta partition, ma chérie- Nanny lui tend une nouvelle robe, crème celle-ci. La jeune femme se redresse à genoux sur le lit, l'enfile et présente à nouveau son dos à Luevan.

- Sans te commander, pourrais-tu m'aider aussi avec celle-ci ?

Comme prévu, la jeune femme, d'abord souriante, finit par afficher un air de plus en plus éberlué.

- Oui c'est proche. Entre Moat Cailin et les Jumeaux, si vous vois ? *Pfff, j'ai bien fait de potasser ma couverture avec Ades...* Apprendre langue du Neck, milady ? Pas besoin, c'est juste moi parler... *Léger rire* Le Domaine Overton c'est plutôt Sud du Nord. Pas de neige maintenant, peut-être plus tard, en hiver. Vous perd pas orteils.

Luevan affiche une première fois un air interloqué en réalisant que la jeune lady est en train d'annoncer son intention de rentrer avec Ades sur son domaine. Elle n'a cependant pas le temps de se demander à quel titre : une nouvelle salve de questions arrive.

- Oh, oui, milady, je aide vous pour choisir vêtements bien chauds. Pas de problème. *Tu ne sais même pas à quel point ça me réjouit, d'ailleurs... L'occasion en or pour se promener dans Port-Réal sans le demi-géant sur le dos.* Je demande à Ser. Oui, Ser est gentil. *Là non plus, tu ne sais même pas à quel point. Il m'a laissé la vie, déjà...* Heu... Oui, pas trop pluie. Un peu long, mais... Heuuu. Domaine Overton ? C'est... champs fertiles, milady. *Surtout ne pas lui parler de la vilaine forteresse toute noire, elle a l'air si sensible.* Pas de neige, non. Pas encore. Qu... ?

Deuxième mine éberluée : est-ce qu'elle est en train de suggérer que... ? Il faut croire qu'Ades avait raison et qu'on la soupçonnerait d'être autre chose qu'une servante. Sourire candide.

- Oui, fourrures et bon feu.

Elle s'emploie à lacer la robe crème sans protester. A priori, si on tire sur les deux rubans en même temps, ça se resserre... Oups. Elle a peut-être tiré un peu trop fort, toujours est-il qu'un lacet lui reste dans la main. Décidément... Ruby va lui coûter cher en robes.

- Désolée ! Je jamais habille lady avant. Mais je apprends, si vous marie mon Ser.

Héhé. C'est que Luevan aussi est capable d'indiscrétion. Na.

Alooors... Information une : Ades Overton n'est pas un bon maître qu'avec Vasgard. Information deux : le domaine familial semble intéressant au niveau investissement. Un domaine fertile "au Sud du Nord", c'est bon à prendre. Information trois : ... soit il ne consomme pas sa servante, soit il tient vraiment beaucoup à sa réputation d'homme honnête et il lui a donné ordre de se taire. ... Dans les deux cas, c'est plutôt pas mal, allons.

- Parfait. Nous irons dès que tu auras demandé la permission à ton maître. Il faudra sans doute un peu de temps pour que les robes soient prêtes, il convient donc de s'y prendre au plus t..hmphhhhhhhhhhhhhhhhhhh ! Pas... si f... .... *elle soupire* Au moins je respire.
- Tu vas coûter une fortune à ton maitre en vêtements, petite sotte.

Le ton de Nanny est sec, mais pas agressif. C'est qu'elle en a vu passer, des servantes un peu mal dégrossies. C'est du boulot de faire d'une gamine de la cambrousse une bonne, voire une suivante tolérable. Là...

- Désolée ! Je jamais habille lady avant. Mais je apprends, si vous marie mon Ser.

La vieille dame se fige. Ruby tourne un visage étonné -mais pas trop, ne pas donner à l'adversaire d'informations alors que nous en avons eu si peu nous même- vers Luevan, fait un sourire mi-figue mi-raisin :

- Nous n'en sommes pas là. Nous essayons justement de voir si nous pourrions nous accorder, à divers niveaux. ... J'ai un peu peur que le Nord soit un peu... dur pour moi, tu vois, alors... Je me renseigne un peu.
- Trop dur pour toi ? Billevesées. Tu es faite de roc, ma chérie. Pousse-toi, petite, je vais tenter d'arranger ça.

La vieille dame sort d'on ne sait où un ruban à corset, et se met à remplacer le défaillant avec célérité. Ruby se trouve du coup face à Luevan, et la regarde avec un demi sourire aimable.

- Du reste, en parlant de me renseigner un peu... Tu accepterais de répondre à une ou deux questions ? ... Si tu veux pas y répondre, tu le fais pas, d'accord ? Parce que c'est indiscret, et que... ma foi ton maitre a l'air du genre à vouloir rester discret. ... Très bien. Pourquoi t'avoir emmenée si ce n'est pas pour que tu lui chauffes son lit ? Tu es l'amante de Vasgard, peut être ? J'ai eu l'impression qu'ils s'entendaient bien tous les deux, cela pourrait s'expliquer. Ça n'a pas été trop dur de quitter ta famille pour suivre messire Overton ? Tu es loin de ton village d'origine... Et sinon... Sa boiterie, c'est dû à quoi ? Un accident ? Et ses yeux ? *elle réfléchit* Ça lui donne un regard... *léger frisson* un peu déstabilisant. *au ton, elle ne déteste pas* Mais on doit s'habituer. Je pense. Non ?

Bon sang, mais pourquoi faut-il forcément qu'elle soit la maîtresse de quelqu'un ? Luevan a une ombre de sourire amusé en envisageant une seconde de passer effectivement pour l'amante du demi-géant. Mais non, soyons raisonnable : la réaction du Fer-Né pourrait être violente. Déjà qu'ils sont à couteaux tirés...

Elle choisit de rester au plus près de la vérité ; après tout, c'est comme ça qu'on ment le moins mal.

- Non, milady. Mon Ser il est très intéresse avec les Paludiers. Il dit, je viens avec à Port-Réal, et je parle lui du Neck. Mais je dis pas où c'est Griseaux.

La question suivante fait brusquement pâlir la fausse servante, qui fixe ses pieds sans répondre, les larmes aux yeux, tandis qu'une vague de douleur lui fouaille le ventre. Elle parvient à se reprendre suffisamment pour répondre à celle d'après :

- Je pas sais, milady. Je pas demandé.

Elle relève un regard quelque peu humide sur la jeune dame, et surtout nettement impertinent pour une servante. Brusquement, elle sourit.

- Vous aime mon Ser le regard !

A la réaction peinée de Luevan, Ruby a un geste étonnant de la part d'une lady envers une servante inconnue : elle lui prend la main et la serre doucement.
D'abord parce qu'elle s'en veut de lui avoir fait de la peine. Ensuite, parce qu'elle se reconnait un peu dans le mal du pays de la jeune... comment dit-on, au juste ? Paludière ? Le fief de son père est un des moins densément peuplés du Bief. Tout le monde se connait. Même élevée en lady, la jeune femme a gardé des manières d'être plutôt amicales envers les subalternes quels qu'ils soient. ... Et puis, on obtient plus par la douceur que par la peur. Surtout avec le gabarit qu'elle a. Elle serait Clegane, éventuellement, ce point se discuterait, mais là...
Elle murmure à Luevan :

- Je suis navrée. Parfois, je parle, je parle, je m'écoute parler, et je ne fais pas attention à ce que je dis, ni à qui je le dis. Ce n'est pas bien, ni digne d'une Lady.
- Tsss.
- ... Encore désolée. Tiens. Pour me faire pardonner. *La jeune femme fourre un ruban de l'exacte couleur des yeux de Luevan entre les mains de la jeune fille.* Tu pourras l'utiliser pour ta coiffure. Ce sera très joli.

Ruby scrute avec attention le museau de la jeune femme. Bon, elle n'a pas l'air complètement traumatisée. Elle sourit, même ! Juste avant d'asséner un :

- Vous aime mon Ser le regard !

qui fait s'étouffer Nanny d'indignation, lui faisant resserrer le corsage de Ruby d'un coup trop sec, entrainant une semi-suffocation de cette dernière et un branle-bas de combat général pour éviter le décès prématuré de la cadette des Graves. Une fois le problème réglé, encore haletante, la jeune lady murmure en confidences un rien nerveuses :

- Aimer est un bien grand mot, tout de même. Disons plutôt que ton Ser a des yeux qui ne laissent pas indifférent. ... Et je n'aimerais pas le mettre en colère contre moi, de peur de geler sur place !

Elle éclate d'un rire doux, féminin, et totalement vide d'esprit tandis que Nanny la considère un instant en silence avant de retourner à ses occupations de détachage de robe en grommelant.
Si les yeux qui se posent à nouveau sur Luevan ne sont, eux, pas du tout vides, le ton reste amical :

- Je ne voudrais pas te créer d'ennuis.Si tu as du travail à faire, vas-y. Je parlerai à ton maître, pour la sortie "achats de vêtements d'hiver".