Comme tout bon fils de Lord, on avait enseigné à Ades les rudiments de la chasse. Et comme tout bon boiteux assez maigrichon, on l'avait très vite orienté vers le maniement de l'arc, notamment à cheval. Cela permettait notamment au jeune homme de se battre sans avoir à prendre en compte son handicap. Il avait ainsi participé à de nombreuses chasses, avec différentes familles. Cependant, il n'était jamais parvenu à apprécier cette discipline ; non pas qu'il ait quelque chose contre le fait de tuer des bestioles. Il ne voyait simplement pas pourquoi il devait s'abaisser à cela alors qu'il aurait pu passer son temps à des activités beaucoup plus utiles. Il lui arrivait malheureusement souvent de ne pas avoir le choix, ou plutôt que les règles de l'étiquette l'empêchent de refuser.

Dans le cas présent, il ne pouvait décemment pas refuser à Lord Yarwyck de participer à cette chasse. Le Seigneur Ouestrien avait eu la bonté de les inviter spontanément chez lui quand il avait appris que leur voyage les mènerait sur ses terres. Ce genre de fleur étaient suffisamment rares pour que le convoi, dorénavant renforcée par la petite troupe du Bief, se rende immédiatement dans le petit château qui servait de fief au vieil homme. Aux yeux d'Ades, il avait été clair dès le début qu'il avait affaires avec quelqu'un de la même condition social que lui ; un Seigneur mineur possédant un maigre fief et quelques terres, sans doute moins étendues encore que celles de la maison Overton. Le château était lui-même loin d'égaler Fort-de-Glace en terme de taille, sans doute toutes les Maisons n'avaient-elle pas le même passé que la sienne après tout. Cela n'empêcha pas le jeune homme de traiter leur hôte avec le plus infini respect et la politesse la plus exemplaire, durant le repas qu'il donna en leur honneur.

La tablée était bien loin d'être aussi impressionnante que les banquets auxquels Ades avait participé ces derniers temps mais elle était beaucoup plus convivial. Assis non loin du maître de maison, c'est avec lui qu'il s'entretient la plupart du temps. Il découvrit notamment que le vieil homme avait un fils qui avait rejoint la Garde de Nuit, un acte de plus en plus rares ans les maisons du Sud. Peut-être était-ce la raison qui l'avait poussé à inviter le Nordien sous son toit. Ils discutèrent en tout cas un moment de la Garde. Lady Graves, pourtant très proche d'eux, resta assez en retrait, laissant Ades mener la majeure partie de la conversation. Même lorsque leur hôte leur demanda pourquoi un jeune homme du Nord et une jolie fleur du Bief voyageait ensemble, ce fut le jeune Overton qui prit la responsabilité de lui mentir en annonçant qu'ils avaient des visites à faire dans la même région et que leurs familles mettaient leurs escortes en commun pour plus de sécurité. Lord Yarwyck eut l'air de se satisfaire de cette explication, mais il ne put s'empêcher d'adresser un large sourire à Ades tout en lui désignant Ruby, bien moins discrètement qu'il ne l'aurait voulut. Ades ne répondit que par un léger sourire.

C'est aussi au cours de ce repas qu'il proposa à Ades de participer à une petite chasse le lendemain, dès l'aurore. Le jeune homme accepta évidemment, il n'était pas en position de refuser de toute façon, ce à quoi il ne s'attendait pas, c'était à ce que le vieil homme se tourne également vers Ruby.

- Je n'ai pu m'empêcher de repérer votre attirail, demoiselle. Peut-être voudriez-vous participer aussi ?

Il est vrai qu'il était venu les accueillir dès leur arrivée et avait donc pu passer en revue une bonne partie des bagages, il avait sans aucun doute remarquer l'arc de la jeune femme. Et aussi le cheval, cette bête à la carrure impressionnante qu'Ades ne jugeait pas vraiment approprié pour une Lady, mais le Lord s'était abstenu de faire un commentaire là-dessus. A priori, Ades aurait juré que Ruby allait refuser ; il savait qu'elle avait perdu son fiancé dans un accident de chasse, ce n'était sans doute pas son activité favorite, mais elle accepta néanmoins. Elle n'y était pourtant clairement pas obligée, elle.

Le jeune homme n'y fit prêta guère attention, jusqu'au lendemain matin au moment de partir. La jeune femme avait alors l'air beaucoup plus nerveuse, ce qui le conduit à se demander pourquoi elle avait bien put accepter. Il ne pouvait cependant pas lui poser la question directement et s'abstient donc. La chasse se passa plutôt bien ; même s'ils ne croisèrent rien au début, Ades restait prudemment en queue de peloton, ils n'étaient qu'une dizaine de toute façon, avec Vasgard à ses côtés. Il était monté sur un destrier blanc comme la neige qui semblait assez petit en comparaison de la bête que montait Lady Graves. Le cheval s'appelait Farran si les souvenirs d'Ades étaient bon, et il semblait taillé pour le combat.

La pluie les surprit une heure plus tard. Et si elle ne semblait qu'un léger désagrément au début, elle obligea bien vite Ades à ralentir, tant il avait du mal à distinguer ce qui se passait devant lui, la forêt était déjà dense, mais avec le rideau de goutte qui lui tombait devant, il ne pouvait pas espérer s'orienter. A ses côtés, Vasgard avait disparu, suivant sans doute la colonne, sans se rendre compte de ce qui s'était passé. Mais un autre trottinement rejoint bientôt le jeune homme, qui le distingua au fur et à mesure. L'énorme silhouette ne laissait aucun doute sur le cheval en question.

- Lady Graves. J'ai bien peur que nous devions attendre que cette averse se calme … Je crois bien avoir égaré notre hôte.

Le jeune homme souriait doucement, ne semblant guère inquiété par le sujet. Ce n'était pas grand chose, même s'il ne connaissait pas ces bois, ils n'avaient pas eu l'air bien grand et ils finiraient par en sortir de toute façon, retrouver le château de leur hôte ne serait alors pas bien difficile. Se rapprochant au pas de la jeune femme, il en profita pour l'interroger, d'une voix douce, mais assez forte pour couvrir la pluie.

- Vous n'étiez pas obligé d'accepter cette invitation, vous savez ?

Depuis plusieurs semaines qu'ils étaient sur les routes, et Ruby avait appris plusieurs choses : d'abord, voyager aussi longtemps était à la fois exaltant et épuisant. Les contingences domestiques étaient ce qui lui pesait le plus, au-delà même de la fatigue physique. Même si Faran était aussi confortable qu'un carosse, les longues journées au bout desquelles on ne pouvait se laver qu'au gant lui laissaient un désagréable goût de pas tout à fait convenable. Du reste, à voir la mine pincée de Nanny, elle en pensait tout autant, sans doute. Mais peut être aussi que le fait qu'elle ait refusé de partager la charrette avec la vieille dame le plus clair de son temps influait-il sur l'humeur de sa vieille amie. Mais... comment louper le sentiment grisant qu'elle avait d'être libre, un peu ? De pouvoir diriger sa vie comme elle le faisait de son cheval ?

D'autant que le paysage était beau, et la compagnie sympathique : le jeune seigneur Overton était agréable et ses gens polis et disciplinés. Ruby n'avait donc pas à se tenir autant sur ses gardes qu'elle l'aurait fait en présence de personnes d'un niveau sociétal médiocre qui auraient pu tenir sa détente pour de la faiblesse, aussi se permettait-elle d'être aussi polie et souriante qu'elle l'était avec les soldats du domaine de son père. Cependant, il fallait savoir s'adapter aux contingences locales : quand leur petite troupe passa sur les terres de Lord Yarwyck, elle laissa immédiatement les rènes de leur expédition à Ades... y compris la direction de ses propres gardes. De fait, c'était plutôt Ser Arthur Crane, son chevalier nouvellement promu, qui avait un peu renâclé à cette décision : si obéir à la fille de son suzerain ne lui posait pas de problèmes, obéir aux ordres d'un autre était une affaire bien plus compliquée. Ce à quoi Ruby lui avait répondu qu'en la matière, il faudrait qu'il lui fasse confiance pour prendre les bonnes décisions. et, bon gré mal gré, le jeune chevalier avait accepté, mais... il boudait toujours au moment de passer à table.

Heureusement, le repas proposé par le vieux monsieur, en un agréable petit comité avait redonné le sourire à tout le monde. Tout en discutant avec les personnes présentes de choses éminemment convenables, la jeune femme avait laissé traîner ses oreilles du côté des conversations masculines -absorbant par exemple tout ce qu'elle pouvait entendre sur la Garde de Nuit-, et n'était intervenue que lorsqu'il lui avait semblé bienséant de le faire. Par ailleurs, Lord Yarwyck était un hôte charmant, une figure grand-paternelle en quelque sorte. C'est pourquoi elle ne put refuser au vieil homme de participer à la chasse, même s'il ne lui en aurait fait aucun grief : il avait l'air si fier du nombre de pièces de gibier que l'on pouvait rapporter qu'il eut été dommage de ne pas lui faire ce plaisir.



- ... Et voilà pourquoi je me retrouve toute seule et trempée dans un bois dont je ne vois pas le bout. Franchement, Faran, je le sentais, que c'était une mauvaise idée...

L'oreille aux aguets puisque ses yeux ne lui servaient pas à grand chose, dirigeant l'énorme bête avec les genoux uniquement et une flèche encoché à son arc, la jeune femme tentait de progresser en ligne droite -ou au moins, de ne pas tourner en rond- dans le but de ressortir des bois. Il lui semblait que leur hôte avait parlé de "petits" bois. Donc, logiquement...
Le bruit d'un cheval se rapprochant du sien lui fit pousser un soupir de soulagement. A deux, il leur serait sans doute bien plus facile de se dépatouiller de cet endroit. Reconnaissant Ades, elle lui fit un sourire de bienvenue... un peu humide.

- Lady Graves. J'ai bien peur que nous devions attendre que cette averse se calme … Je crois bien avoir égaré notre hôte.
- Pareillement. A un moment nos chevaux se suivaient, et l'instant d'après j'étais toute seule. Et avec la pluie qui étouffe tous les bruits... Il est difficile de se repérer. ... Et je vous avoue avoir depuis longtemps perdu le Nord. Peut être que vous, vous avez un truc pour éviter cela ?

Pas de doute, il s'agit d'humour. Plus ou moins une des premières traces qu'elle s'autorise depuis le premier jour où ils se sont rencontrés.

- Vous n'étiez pas obligé d'accepter cette invitation, vous savez ?
-Lord YArwyck m'est vraiment sympathique. Et puis... ... *elle se mordille un peu les lèvres, remet sa flèche dans son carquois et raccroche son arc au pommeau de sa selle avant de répondre* J'aimais beaucoup chasser, avant. Pas tant pour la viande que pour la course, pour pouvoir -un peu- s'égarer à travers champs. *regard par en-dessous, à peine visible dans l'ombre de la capuche et la pluie qui continue de tomber* Être une lady est sans doute plus agréable que beaucoup de conditions féminines.... mais semble moins amusant qu'être un garçon, quand on est une enfant. La chasse me donnait la possibilité de faire partie de ce que je voyais comme une élite. *petit rire* Et le fait que je sois plutôt bonne à l'arc, à l'époque, était une fierté pour moi. Et pour mes parents, curieusement. ... Mais je digresse et... nous sommes vraiment perdus, non ?

Elle regarde autour d'eux et est saisie d'un grand frisson. Froid, ou début d'oppression ?

- Pareillement. A un moment nos chevaux se suivaient, et l'instant d'après j'étais toute seule. Et avec la pluie qui étouffe tous les bruits... Il est difficile de se repérer. ... Et je vous avoue avoir depuis longtemps perdu le Nord. Peut être que vous, vous avez un truc pour éviter cela ?

Le jeune homme resta un instant surpris ; il était extrêmement rare que sa compagne de voyage ne se permette ce genre de trait d'humour. Ce qui ne les rendait pas moins appréciable, bien au contraire, aussi Ades se fendit d'un franc et large sourire, à peine entaché par la pluie. Bizarrement, le Nordien, qui ne cachait pas son aversion pour le froid et la neige, semblait à peine dérangé par la pluie. Sa cape sombre comportait bel et bien une capuche mais il la gardait baissée dans son dos, laissant les gouttes d'eau glisser librement dans ses cheveux et sur son visage. A la vérité, il semble même apprécier le temps présent, et c'est avec un ton enjoué qu'il répond.

- Bien évidemment, Demoiselle. Nous autres Nordiens possédons tous un sixième sens qui nous permet de ne jamais perdre la direction de notre si charmante patrie. Je crains cependant que cela ne nous soit guère utile ici.

A sa réponse, le jeune homme ne peut s'empêcher d'acquiescer avec douceur ; apparemment elle ne souffre pas trop d'une telle activité, malgré les antécédents qu'elle avait connue. Ades craignait qu'elle n'ait acceptée que par obligation et se retrouve donc dans une situation inconfortable pour,au final, pas grand chose. Un sourire se dessine de nouveau sur ses lèvres à sa dernière phrase ; elle n'a sans aucun doute pas tort à ce sujet, la condition de Lady peut sembler bien ennuyante, si l'on fait partie de celles qui s'y cantonnent. Mais Ades a déjà connu assez de jeune femme pour savoir que toutes ne décident pas de s'y cramponner sans rien faire d'autre, bien que certaines y arrivent très bien. Le souvenir de la petite Arya Stark évoque plus une sauvageonne qu'une future Lady, et la nièce de Jon Arryn préférait elle aussi prendre des responsabilités, et aimait la chasse également, même si elle était plus proche de la définition traditionnelle de la Lady.

- Toutes nos qualités sont des fiertés pour nos parents, même celles qui ne paraissent pas évidentes à une Lady. Et il est en effet plus qu'agréable de gambader ainsi en forêt, même si c'est pour la chasse.

Ruby pourra noter que le jeune homme avait toujours son arc attaché à la selle et ne l'avait dégainé qu'à de rares occasions durant la chasse. Non pas qu'il ne soit pas doué, au contraire il se débrouillait plutôt bien à l'arc, mais il n'ait pas le plus réactif du groupe quand il s'agissait de mettre en joue un animal, malgré toute la bonne volonté qu'il tentait d'y mettre.

Ades repéra le léger frisson de la jeune femme et craint un instant qu'il ne se soit pas trompé finalement, peut-être cette atmosphère commençait-elle à lui déplaire. Il entreprit alors de l'en détourner, affichant un très large sourire et parlant légèrement plus fort.

- Perdus ? Que nenni, gente-damoiselle, nous venons simplement de nous embarquer dans une petite aventure. Tenez, rejoignons donc ce bosquet là-bas, avant de nous transformer en poisson.

Et lentement, il orienta son cheval dans la direction du bosquet susnommé, qui semblait en effet un peu plus protégé de la pluie que leur position actuelle.

Un claquement de langue, une légère pression des genoux, et la grosse brute de cheval se remet en route doucement, obéissante. Néanmoins, Ruby peut remarquer une oreille dissidente, pointée en direction d'Ades. Enfin. Du cheval d'Ades, si son instinct est bon. Or, elle connait cet animal vicieux comme si elle l'avait fait. Elle se contente donc d'asséner d'une voix plate.

- Fanran, on ne mord pas.

En même temps, elle se penche et tord -sans exagérer- l'oreille fautive. Le gros cheval renâcle, lui jette un regard grognon par-dessus son encolure et reprend sa marche de manière morose. La jeune femme a un rire d'excuse.

- Désolée. Ce vieux sacripant a la pluie en horreur. Je crains qu'il n'ait pensé s'en venger sur votre monture. Son caractère ne va pas en s'améliorant, hélas, avec l'âge.

S'abritant comme elle le pouvait sous le bosquet, la jeune femme murmura :

- De toutes façons, il vont nous chercher, non ? Nous n'avons de mal à nous repérer que parce que nous sommes étrangers au lieu, n'est ce pas ? .... Lord Yarwyck ne s'est pas ouvert à vous d'une quelconque... difficulté liée à cet endroit dont il aurait "oublié" de faire mention devant moi ? *elle soupira à cette pratique, hélas courante chez les hommes d'un certain âge* Ce serait ennuyeux, par exemple de devoir faire face à un ours : je ne pense pas que nos flèches lui feraient grand effet... Et je ne sais pas manier l'épieu. *elle glisse sur le fait qu'Ades ne semble pas en porter, lui non plus* ... Ceci dit, si cette averse perdure, je pense qu'il nous faudra un abri moins précaire, même si vous avez l'air de vous sentir parfaitement à l'aise, aussi humide que vous soyez. ... Vous avez de la famille de côté des Tully, peut être ?

Second trait d'humour en une seule soirée. Un vrai feu d'artifice.
La jeune femme scrute les bois de tous côtés, visiblement plus contrariée qu'effrayée.

- Ce n'est pas que je n'aime pas la pluie. Mais celle-ci ne semble pas vouloir discontinuer... et je sens que je vais bientôt me noyer dans mes vêtements. Si les secours avaient la gentillesse d'arriver.. bientôt...

Long soupir las. Elle se tourne vers son compagnon, un sourire un peu tendu sur les lèvres.

- C'est le moment de mettre au point une stratégie brillante, messire Ades. Mon père m'a vanté vos qualités intellectuelles dans son long courrier accompagnant Ser Arthur... Et même si je suis presque convaincue après vous avoir un peu côtoyé, une éclatante démonstration achèverait de m'en persuader.

Voir la jeune fleur du Bief monter une créature aussi peu amène que ce cheval était déjà une chose, mais la voir réprimander ainsi l'animal, apparemment sans grande crainte, c'en était une toute autre. Bien sûr, Ades n'avait pas côtoyé le cheval suffisamment longtemps pour se permettre de dire qu'il connaissait bien son caractère, mais il l'avait vu assez souvent pour déterminer que lui, il n'aurait pas osé lui tordre ainsi l'oreille en était sur son dos. Cela revenait un peu à scier une branche alors que l'on était assis dessus. Une branche qui aurait eu des dents, bien entendu. Mais bon, a priori Ruby n'avait aucun problème avec ça puisque la créature qui lui sert de monture s'est contenté d'un regard vaguement grognon en réponse.

- Il n'y a pas de soucis. Un cheval agressif en effet … n'aurait-il pas été entraîné pour la guerre, par hasard ?

C'était le genre de caractère que l'on retrouvait chez les chevaux réservés aux cavaliers durant une bataille, la plupart du temps des étalons impétueux et prompt à mordre ou à ruer sur ceux qui oseraient les attaquer. A l'inverse total de celui monté par Ades, beaucoup plus calme et surtout habitué à porter le jeune boiteux, qui avait parfois tendance à se servir plus d'une jambe que de l'autre, pour des raisons évidentes.

Une fois arrivés sous le bosquet, il dut presque se pencher vers elle pour l'entendre ; elle murmurait et avec la pluie qui battait autour d'eux, ce n'était pas vraiment des plus pratiques. Il ne put que sourire aux derniers traits d'esprit, décidément exceptionnel de la part de la jeune femme. Peut-être que ce genre de balade en forêt la détendait finalement ? A moins que ce ne soit totalement l'inverse et qu'elle se serve plutôt de l'humour comme un bouclier pour penser à autre chose. Difficile à déterminer. Toujours est-il que le jeune homme s'empressa de répondre d'une voix tout à fait assurée, se voulant rassurante.

- Pour sûr qu'ils nous enverront chercher, je suis certain que certaines personnes sont déjà parties nous trouver. A commencer par Vasgard et ce cher Ser Arthur.

Levant un peu la tête, il laissa les gouttes frapper son visage et dégouliner lentement dans son cou, apparemment parfaitement à l'aise, avant d'adresser un large sourire à la jeune femme.

- J'ai toujours aimé la pluie, c'est un peu comme la neige mais en … moins froid. Et puis, tout sent plus fort après la pluie, comme si elle ravivait les couleurs et les odeurs. … Mais j'ignore si cela est dû à du sang Tully, peu probable à mon avis, ou alors cela remonte à très très loin.

Par contre, apparemment, la jeune Graves n'appréciait pas autant que lui ce bienfait du ciel, il était donc plus que temps de s'activer pour retrouver une solution. Ades perdit presque instantanément son sourire, ses yeux se tournant vers la forêt sans véritablement la voir, il semblait plonger en pleine réfléxion.

- Eh bien … Si je pouvais voir le Soleil ...

Faisant avancer son cheval, il s'éloigna du bosquet et leva les yeux jusqu'à réussir à distinguer l'astre dans le ciel. A travers les nuages, il n'était même plus utile de faire attention à ses yeux ; même son œil blanc parvenait à supporter la lumière. Le jeune homme marmonnait dans son absence de barbe, mais assez fort pour que Ruby l'entende.

- Quand nous sommes parti, il était vers l'est, à présent, nous devons être plus proche de midi, il est donc vers le Sud. Donc vu comment nous étions orientés par rapport à lui, nous devons aller … par là !

Le ton était presque triomphant quand il désigna la direction choisie.

- Un cheval agressif en effet … n'aurait-il pas été entraîné pour la guerre, par hasard ?

- Tout à fait. *Ruby eut un léger sourire* Tellement entraîné qu'il était à demi fou et attaquait tout ce qui était à portée, y compris les gens chargés de son entretien. Mon père était décidé à le faire tuer, mais un animal de ce prix... Cela le dérangeait franchement. Alors, je lui ai proposé de me donner un été pour arriver à le rendre moins agressif, et à le monter. Et en récompense, ce serait mon cheval. Il a réfléchi et a dit oui. ... Au final, l'apprivoiser n'aura pas pris un été mais quatre saisons pleines. Mais au bout du compte... J'avais un cheval capable d'effrayer des loups et qui n'obéit qu'à moi. Même ma Mère a fini par avouer que cela était rassurant. *petit rire* Par contre, ça en a étonné plus d'un, qui aura fini avec les doigts mordus ou à terre après avoir tenté de le monter, parce qu'après tout "ce n'est qu'un cheval de dame". ... Vous, vous ne feriez pas ce genre d'erreur.

La dernière phrase n'est pas interrogative. Elle a bien observé Ades : il est tout sauf stupide, et a un sens de l'observation qui semble n'être jamais en défaut. C'est un peu perturbant parfois, de voir que ces étranges yeux semblent tout voir, et avec quel sérieux !


- Pour sûr qu'ils nous enverront chercher, je suis certain que certaines personnes sont déjà parties nous trouver. A commencer par Vasgard et ce cher Ser Arthur.

Oh ça... Ruby en est certaine. Il battrait la forêt en appelant son nom toutes les 25 secondes parce que "c'est la procédure, m'lady". Le jeune homme était gentil, poli, bien élevé et fidèle... Mais quand même un rien... crétin. Bon. C'était juste un chevalier mineur. Il n'aurait rien à faire de sa vie que de taper sur qui on lui signifierait de le faire, donc ce n'était pas... trop... grave.

Elle observe ensuite le jeune homme s'extasier devant la beauté de la pluie en haussant un sourcil amusé : il semble plus jeune ainsi. D'habitude, l'héritier Overton est... intemporel, comme s'il essayait de porter son domaine sur ses épaules... alors que là, il fait... son âge, avec ses cheveux humides lui collant au visage et son sourire rayonnant -et néanmoins humide. Du coup, Ruby se retrouve à lui rendre son sourire, juste le temps qu'il le perde pour redevenir aussi efficace qu'à l'accoutumée.

- Eh bien … Si je pouvais voir le Soleil ... Quand nous sommes parti, il était vers l'est, à présent, nous devons être plus proche de midi, il est donc vers le Sud. Donc vu comment nous étions orientés par rapport à lui, nous devons aller … par là !

Il semble tellement sûr de son fait que Ruby n'eut aucune hésitation à lui emboîter le pas, lentement cependant, la pluie rendant la marche difficile, même pour leurs chevaux habitués à la vie à la dure.

- ... Racontez-moi un peu comment c'est, chez vous. Luevan m'a dit qu'il n'y avait pas toujours de la neige. Je vous pensais plus au Nord, en fait. Du coup, j'ai un peu regardé sur une carte. Et effectivement... Vous seriez presque au sud du Nord. *sourire timide* Et vous avez un port, de ce que j'ai vu ?



Bon. On n'en est pas aux grandes discussions enflammées sur des sujets variés mais... Ça pourra venir. Avec le temps.

Le jeune homme écouta avec une attention non simulée l'histoire de ce cheval, ce n'était malheureusement pas un cas isolé. Il arrivait assez souvent qu'après la guerre, ou simplement après un entraînement trop dur comme c'était le cas ici, un animal ne devienne très difficile à monter, voir dangereux pour son entourage. C'était une grosse perte car des bêtes entraînées pour la guerre valait une certaine somme. Le fait que Ruby ait réussit l'exploit de domestiquer ce Farran après qu'il ait subit un tel entraînement prouvait que la jeune femme était capable de détermination, et très probablement de patience. Une qualité de plus, à se demander si elle faisait exprès de le mentionner. Mais Ades élimina cette hypothèse sitôt après l'avoir formulé intérieurement ; cela ne semblait pas être l'objectif. Il eut même un sourire à la remarque finale à son sujet ; elle commençait à le connaître.

- En effet, il dégage toute l'attitude du cheval élevé pour le combat, je ne me serai pas laissé à le sous-estimer. Et puis … je ne monte que des chevaux qui ont été entraînés à ma … légère difformité. Comme cette brave Nótt, acheva-t-il en tapotant le flanc de sa jument.

La jument avait en effet été entraînée très jeune à être montée par un boiteux, ce qui provoquait nécessairement quelques menus différences dans la manière de la diriger. C'était le cheval qu'il affectionnait en général, un coursier, rapide et fluide, parfait pour la chasse.

Alors qu'il prenait tranquillement le chemin indiqué par Ades, qui devait les mener à terme au château de leur hôte, la jeune femme l'interrogea sur son domaine. L'héritier Overton s'empressa de répondre, et avec le sourire.

- Oui, nous sommes plutôt bien positionnés dans le Nord, nos côtes subissent assez rarement les neiges d'été. Et même notre château n'en est que rarement recouvert. En revanche, nous avons un lac au pied de notre fort qui est perpétuellement gelé. Les gens l'appellent le Lac Gelé, précisa-t-il avec un petit rire. Nous n'avons pas beaucoup d'imagination, dans le Nord. Mais il est magnifique au crépuscule, vous verrez.

Restant à hauteur de Ruby, il ne pouvait guère faire autrement ; aussi rapide que sa jument puisse être, le temps n'était pas idéal pour les pointes de vitesse. Il continua donc de converser tranquillement, avec une pointe d'admiration pour les terres qui l'avait vu naître. La mention du port ne put cependant pas empêcher qu'il ne pense à ses projets futurs.

- Un port oui, il s'appelle Port-Glacé. Fut un temps, il était un des plus grands ports du Nord, mais il a été réduit à un port de pêche … Jusqu'à il y a quelques années. J'ai de grands projets pour lui, c'est l'un de nos plus grands avantages.

Après quelques secondes de blanc, il ajouta avec un petit rire timide.

- Et chez vous ? Ce doit être bien plus … Verdoyant. Même en comparaison d'ici. C'est ce que j'ai toujours entendu dire et entrevu à propos du Bief.

La jeune femme jeta un regard rapide à la jument.

- Effectivement, on ne devinerait pas que vous avez un quelconque souci, à vous voir monter. Question de dressage approprié, je suppose.

Elle avait toujours aimé les chevaux, et leur dressage l'avait toujours fascinée. Il n'était bien sûr pas question qu'elle s'y intéresse ouvertement -ce n'était pas digne d'une lady- néanmoins, le fait de faire émerger d'un poulain désobéissant un animal susceptible de comprendre son cavalier sur un claquement de langue lui semblait extraordinaire. Un jour, peut être, pourrait-elle suivre sa curiosité dans cette direction.

Elle eut un léger sourire en constatant l'enthousiasme de son compagnon pour parler de son domaine. Bien à l'abri de son capuchon, elle l'observait expliquer des points de détail concernant les lieux, ses projets pour l'avenir... Là encore, il retrouvait son âge réel, l'énergie qu'il maintenait sous un vernis d'excellente éducation reparaissant soudain. Elle frissonna à l'évocation des "neiges d'été". Tout un programme.

- Comment s'organise t-on, dans un domaine, quand celui ci est... souvent... enneigé ? En termes d'intendance, je veux dire... Pour les récoltes, toute cette sorte de choses... La manière de faire dans ma région ne me semble pas du tout adaptée à la vôtre. *un silence pendant lequel elle rumine un peu, puis, chuchotant presque* Votre domaine ne vous manque pas ? Cela fait un moment, maintenant, que vous êtes sur la route. Et vous semblez vous occuper de beaucoup de choses, sur place.

A sa question sur le Bief, elle eut un rire léger.

- Oui. C'est... vert. Des pâturages à perte de vue, avec des troupeaux gras qui y paissent. Un vent léger qui se faufile dans vos cheveux comme un baiser. Des ruisselets d'eau claire où tremper vos pieds. Le soleil qui caresse votre visage. ... La vie m'y a toujours semblé plus douce que partout ailleurs. Même à la capitale. ... Ceci dit, je n'avais jamais voyagé autant que je le fais maintenant, ni aussi loin et... *petit rire* l'aventure a du bon, et voir des choses... différentes permet de s'ouvrir un peu l'esprit. ... Je crois.

Craignant un peu d'avoir à son tour été un peu trop lyrique, la jeune femme s'empourpra, et chercha quelque chose à dire -n'importe quoi :

- Vous êtes fils unique ?

Au pire, sa question passerait pour une prise de renseignements un peu brutale, mais au moins, ça renvoyait la balle dans le camp d'Ades.

La pluie commençait doucement à se calmer ; les nuages se dissipaient peu à peu et les gouttes se faisaient moins nombreuses, mais toujours aussi grosses. Le jeune héritier Overton continuait de les laisser couler sur son visage, ans pour autant détourner le regard de son interlocutrice, il écoutait attentivement ce qu'elle avait à dire. Il avait saisit sa crainte au moment d'évoquer les neiges d'été, il est vrai qu'il oubliait parfois que c'était là un phénomène propre au Nord. Il s'empressa de répondre en arborant un petit sourire. Il était hors de question qu'elle s'inquiète pour un phénomène aussi passager.

- Nous nous sommes organisés pour nous adapter à ce genre d'évènement dans le Nord. Nous faisons des réserves très importantes, que nous pouvons redistribuer quand il est besoin. Il est aussi de coutume que les domaines voisins se prête du grain et de la nourriture si l'un est touché pendant que l'autre prospère. C'est un accord tacite, vous voyez ?

La question qui suivit le surpris, et le jeune homme resta même quelques secondes sans rien dire. Ce n'était pas vraiment que la question le gênait, mai il n'y avait en fait jamais réfléchi ; cela faisait maintenant plusieurs années qu'il passait beaucoup de temps sur les routes, parcourant les Sept Couronnes à la recherche de partenaires et de soutiens utiles. Il ne voyait sa maison que de temps en temps.

- Je suppose que si, la maison nous manque toujours un peu. Mais je suis la route pour elle, alors cela ne me dérange pas.

Il l'écouta avec un petit sourire s'étaler sur la richesse du Bief, et de ses paysages. Ainsi, ce n'était pas qu'un mythe et l'endroit était véritablement riche en tout point, et beau également. Sans doute beaucoup plus beau que ne le paraissait le Nord aux yeux des gens. Ades s'apprêtait à répondre à son lyrisme quand elle le surprit une nouvelle fois avec une autre question. Cette fois-ci, la réponse n'était pas difficile à trouver mais il ne s'y attendait pas, encore une fois. Le jeune Overton répondit donc avec un haussement de sourcil circonspect.

- Oui, je suis fils unique. L'accouchement a été … Compliqué pour ma mère, et mes parents n'ont pas eu d'enfants durant les quelques années qui ont suivies, et puis elle est morte ...

Si la dernière phrase avait put faire montre de tristesse, le jeune homme se rattrapa très vite et enchaîna même avec un léger sourire.

- Je vous garantis que les voyages vous permettront de voir les choses sous un autre œil, d'apprendre à connaître le monde autrement. Ce sont des expériences fascinantes et, si vous voulez mon avis, on devrait les rendre obligatoire.

Puis il ajouta avec un sourire plus franc.

- Qui sait, vous vanterez peut-être un jour les mérites de ces régions avec une aussi belle langue que vous ne le faites pour la vôtre.