Le soir était tombé, et Daenerys observait les flammes vacillantes du grand feu qu'on avait allumé au centre du camp. Assise près du chariot qui l'avait transportée toute la journée, elle s'assurait que Lhasso soit toujours à proximité, craignant qu'un second accident ne survienne, depuis qu'un guerrier dothraki avait cru bon de tenter de la violer. Cet événement n'avait fait que rendre sa peur des dothrakis plus grande encore. Pourtant, elle se taisait désormais. Elle évitait au maximum d'être trop proche de ces sauvages, et restait généralement la plus proche possible d'Imeah, qu'aucun homme ne semblait vouloir toucher -sans doute par crainte d'offenser leur Khaleesi.

C'est Namiri qui la tira de sa solitude en venant lui annoncer que Maeri désirait la voir. La Typhon-Née leva un regard légèrement inquiet vers elle. Elle savait bien ce qu'attendait d'elle la « chevaucheuse de dragon » et craignait qu'elle ne juge qu'il était temps pour elle de se laisser faire. Elle suivit pourtant l'esclave Lhazaréenne sans rechigner, se rendant au plus vite à la tente de Maeri pour ne pas la faire attendre.

Daenerys rentra dans la tente le plus discrètement possible, n'émettant pas un bruit en s'y engouffrant. Pourtant, alors qu'elle ouvrait la bouche pour annoncer sa présence, Maeri se retourna et lui tendit une coupe de kéfir. La fille du Roi Fou s'en saisit, du bout des doigts, et observa distraitement la boisson alcoolisée. Elle ne l'aimait pas et pourtant, posant son regard violet sur la Khaleesi, elle porta la coupe à ses lèvres et en but une petite gorgée. Elle ne la remercia pas, bien sûr, puisqu'aucun mot en dothraki ne le lui permettait. Elle commençait à s'habituer à cela aussi, bien que ce fut dur pour elle au départ.
Éloignant la coupe d'or de ses lèvres, elle se concentra sur ce que lui disait Maeri, ne répondant pas immédiatement puisqu'elle ne maîtrisait pas encore très bien le dothraki. Elle comprit au bout de quelques secondes de réflexion et hocha légèrement la tête. Malgré la gêne qu'était pour elle le regard si troublant de la Khaleesi sur son corps, elle avala sa salive et répondit d'un ton qui se voulait sûr mais que le dothraki approximatif rendait maladroit.

-Nous allons à Vaes Dothrak. Elle hésita quelques instants et demanda, plus doucement. Pourquoi ?

Le bruit des clochettes retentissait au moindre mouvement de la Khaleesi. Daenerys s'était habituée à ce son, déjà lorsqu'elle était mariée avec Drogo. Elle gardait de mauvais souvenirs des clochettes de son premier mari, elle devait les détacher une à une avant qu'il ne la prenne, à même le sol s'il le souhaitait. Elle ne pouvait jamais rien dire, elle devait le laisser faire. Profitant du fait que Maeri lui tourne le dos, elle ferma quelques instants les yeux, chassant les mauvais souvenirs qu'étaient les mois passés avec Drogo. C'était fini, maintenant. Elle n'était plus Khaleesi, elle était esclave. Peut-être était-ce pire encore.

Les paroles de Maeri lui firent l'effet d'un coup de fouet, et elle fut parcourue d'un frisson désagréable. Ses yeux affrontèrent alors, pour la première fois, ceux de la Khaleesi, emplis d'une inquiétude non feinte. Allait-elle être vendue, elle aussi ?

-Allez-vous me vendre ?, demanda-t-elle.

Elle n'aimait pas les dothrakis, et pourtant elle y était bien mieux traitée que les autres esclaves. Elle ne suivait pas le khalasar à pieds mais voyageait dans un chariot, on ne la violait pas, on ne la frappait pas, on ne s'approchait presque pas d'elle à vrai dire. Lorsqu'un dothraki avait osé la toucher, il avait été exécuté par Maeri. Au fond d'elle, Daenerys lui était reconnaissante pour ce geste, même si elle n'avait sans doute fait que défendre son honneur, ou sa propriété.

Son sang ne fit qu'un tour au moment où la main de Maeri vint attraper sa joue. Son corps entier ses contracta, la peur lui fit serrer les dents, ses mains se crispèrent et son regard s'affola. En un instant, ce qu'elle considérait comme une sorte d'agression ne fut plus qu'une caresse, douce, qui passa de sa joue à ses lèvres. Son cœur battait à tout rompre, et pourtant il se calma lorsque la Khaleesi se fit plus douce. La Typhon-Née manqua de reculer mais, craignant la réaction de Maeri, elle resta figée, la regardant dans les yeux tandis qu'elle lui parlait.
Était-elle belle ? Elle n'avait jamais vraiment pris le temps de se rendre compte de sa beauté, puisqu'elle avait passé nombre d'années à fuir. Et lorsqu'elle ne fuyait plus, elle vivait dans un immense khalasar, entourée de milliers sauvages.

-Pourquoi te voulait-il ? Il voulait simplement monter un dragon ?

Que voulait Drogo ? C'était là une bonne question. Qu'avait-il vu en elle ? Qu'attendait-il ? A vrai dire, Daenerys ne savait pas. Elle n'avait jamais su. Viserys lui avait toujours caché des choses, et elle n'avait jamais su pourquoi Khal Drogo, le plus grand Khal existant, avait accepté de l'épouser. Elle était, certes, une Targaryen... mais elle n'était rien du tout, autrement. Elle secoua doucement la tête, négativement, et regarda Maeri.

-Je ne sais pas, je... Mon frère ne me l'a jamais dit. Ce n'est pas son idée à lui, c'est Illyrio Mopatis qui a organisé ce mariage. Il disait vouloir rendre le Trône de Fer à ma famille. Elle baissa doucement les yeux, la voix jusqu'ici tremblante. Il ne reste que Viserys et moi, et Viserys est l'héritier légitime. Mais il ne doit pas monter sur le trône, il n'est pas un Roi. Il ne le sera jamais, il ne doit pas l'être !

Son ton s'était fait pressé, presque affolé. Ces mots lui avaient échappé, et Daenerys s'était rendue compte trop tard qu'elle en avait peut-être trop dit. Elle entrouvrit la bouche et chercha ses mots quelques instants. Elle releva les yeux, se mordant un peu la lèvre. Elle avait peur d'en avoir vraiment trop dit, elle avait peur que Viserys l'apprenne et s'énerve à nouveau.
Oui, elle n'était qu'une enfant effrayée et inutile. Elle s'en rendait compte, à présent. Une question lui brûlait les lèvres et c'est d'un ton étonnamment sûr qu'elle la posa. Elle voulait savoir et même apprendre...

-Comment faites-vous, les dothrakis, pour être si... forts ?

Daenerys eut peur, extrêmement peur, attendant la réponse de la khaleesi. Allait-elle la vendre ? Après ce qui lui sembla être des dizaines de minutes d'attente, elle reçut enfin une réponse claire. Maeri ne la vendrait pas. Maeri ne lui ferait pas de mal. C'est ce qui l'étonna le plus, d'ailleurs. Elle ne s'était pas habituée à la violence dont Drogo faisait preuve avec elle, la prenant de force chaque soir, ne se servant d'elle que pour assouvir ses pulsions et ne voyant en elle qu'un objet dont il pouvait se servir à volonté. La Typhon-Née releva un regard plein de reconnaissance vers la dothraki, murmurant alors dans sa langue maternelle :

-Merci...

La khaleesi répondit à Daenerys de manière précise, et ses paroles la captivèrent. Les Targaryen avaient donc tout perdu parce qu'ils avaient oublié la force. Lorsque Maeri porta la main de la Typhon-Née à son bras, celle-ci ne sursauta pas ; son cœur ne bondit pas dans sa poitrine. Elle comprenait donc tout, et se mit même à croire en ce que lui disait la khaleesi.
La question qui vint alors la prit quelque peu au dépourvu. Quelle était sa force ? Pourquoi devait-on la préférer à Viserys ? Elle la força à la regarder dans les yeux, et le regard améthyste de la Targaryen ne chercha pas à fuir mais plutôt à affronter ceux de Maeri. Pour la première fois depuis qu'elle était là, Daenerys regardait vraiment la khaleesi dans les yeux...

Elle savait mieux que quiconque pourquoi il fallait la préférer à son frère. Elle avait fui avec lui et il lui avait sauvé la vie. Mais ne l'avait-il pas mise en danger, aussi ? Il avait fait de sa vie un enfer et, sans lui, elle serait encore actuellement auprès d'Illyrio Mopatis, douce et innocente. Sans avoir perdu de sa douceur ou de son innocence, elle savait qu'elle avait beaucoup changé depuis qu'elle s'était retrouvée dans le khalasar de Drogo, et encore plus depuis qu'elle avait été dans celui de Maeri. Elle ne baissa pas les yeux un seul instant et déclara d'une voix sûre :

-Parce que Viserys est aussi fou que notre père. Moi, je ne suis pas folle.

Sans détourner son regard, Daenerys marqua une pause de quelques secondes puis reprit ensuite, d'une voix plus hésitante :

-Apprenez-moi à être une dothraki. Je veux être forte et digne des dragons.

-Toi, tu n'es pas folle ? Tu n'étais pas très prudente dans le camp de la Compagnie Dorée, qu'est-ce qui me fait dire que tu vaux mieux que ton frère ?

Daenerys baissa doucement les yeux, mais réalisa alors que ce qu'elle faisait n'avait rien de fort ou de courageux. Elle pinça les lèvres. Je suis un dragon, et les dragons ne sont pas faibles. Je suis forte. Son regard remonta jusqu'au visage de Maeri, elle osa affronter une fois de plus son regard -non sans difficulté-.

-Je suis peut-être imprudente, mais pas folle. C'est... différent, hésita-t-elle.

Le sourire de la khaleesi donnait toujours froid dans le dos à la Typhon-Née. Elle avait beau faire des efforts pour oublier combien elle était imposante et intimidante, elle ne pouvait s'empêcher de la craindre, de craindre les dothrakis...
Pourquoi devrait-elle lui apprendre ? Daenerys déglutit, ses yeux fuyant un instant ceux de Maeri. Non, elle n'était pas une dothraki et Maeri n'était pas un dragon. Elle n'était pas forte, elle ne serait sans doute jamais une vraie dothraki. La khaleesi avait raison sur toute la ligne.

Comment la convaincre qu'elle n'était pas folle ? Une idée germait dans son esprit. Elle avança doucement ses mains vers Maeri, la regardant dans les yeux. Elle avait une idée, une idée peut-être bonne, mais ça ne l'effrayait que plus. Pourtant, l'une de ses mains invita la khaleesi à se rapprocher d'elle. Elle savait ce qu'elle désirait, depuis le début. Chevaucher un dragon.

-Je peux vous donner ce que vous désirez... Là, maintenant. Elle inspira un grand coup. Je n'ai plus peur, khaleesi.