Il faisait nuit dans les rues de la ville lorsque Corwin sortit de la taverne où Ser Lowain et lui avaient une chambre, une pièce sale munie de deux paillasses mais bien plus confortable pour dormir que dehors. Ils étaient venus pour la foire, Ser Lowain ayant juré devant les sept que si il arrivait à quelque résultat satisfaisant en joute, en remerciement il adouberait son écuyer.

Cinq ans déjà que Corwin suivait le chevalier errant, préparant ses armes et sa monture, portant ses messages et subissant les états d'âme de ce dernier. L'homme n'était pas un mauvais bougre et se montrait bon professeur pour le combat, du moins lorsqu'il n'était pas fin saoul, mais il remettait toujours au futur le passage de son écuyer au statut supérieur.

La ville semblait morte tandis qu'il avançait. Il repensait au sourire de la serveuse dans la taverne, du moins à celui qu'elle lui avait fait avant que Ser Lowain ne mette sa main à la poche. A présent tous deux devaient se retrouver dans la chambre du chevalier à se livrer à un rut bestial. Ne désirant pas assister à cette scène, Corwin avait donc décidé de faire un tour.

*Va falloir qu'un de ces jours, tu deviennes un homme digne de ce nom, Corwin et que tu dises à Lowain que tu es prêt*.Il repensait à sa vie depuis que son père s'était débarassé de lui en donnant une somme d'or trébuchante à son maitre. Il était aller de tournoi en tournoi ou avait suivi son mentor au service de divers seigneurs. Il avait découvert aussi que l'homme était un loup pour l'homme et que bien souvent la loi du plus fort était celle qui comptait. Il avait tué son premier homme à l'âge dequatorze ans, un gamin pas plus âgé que lui qui, contraint par la faim, faisait parti d'une bande de brigands dans le conflans. Le regard de l'adolescent à l'intant où la dague s'enfoncait dans ses entrailles resterait longtemps gravé dans sa mémoire.

Ca aurait pu être lui. Corwin ne croyait plus guère aux idéaux chevaleresques. Comme le disait Ser Lowain, il était facile d'être honorable lorsque l'on dort dans un château en mangeant cinq repas par jour et la frontière existante entre le chevalier errant et le brigand était ténue. Lorsqu'un homme connait la faim que lui tenaille l'estomac, qui sait à quoi ce dernier est prêt ?

Tiens là bien cette putain. On va lui montrer ce que sont des hommes du Bief. Les femelles fers nés sont de vrais chiennes en chaleur une fois dressées.

Les mots retentissaient, brisant le silence serain de la nuit, venant d'une ruelle avoisinante et il ne fallait guère être un puissant devin pour savoir ce qu'il se passait. Cela ne faisait qu'un an que la rébellion des îles de fer avait été écrasée et il arrivait encore que des fers nés subissent la colère du peuple. Certains n'hésitaient pas d'ailleurs à se servir de ce fait pour justifier leurs actes.

*Franchement, Corwin, tu ferais mieux de passer ton chemin, ca ne te regarde pas* pensait-il se dirigeant toutefois vers la source du bruit. Froncant les sourcils, il vit un homme en train de s'activer au dessus d'une forme étendue , semblant arracher un gilet de cuir à cette dernière. Un second homme maintenait la jeune fille au sol, ricanant. Ils ressemblaient tous deux à des brutes habituées des bas fonds, à l'hygiène douteuse.

Le regard de Corwin s'attarda un instant sur la jeune fille dont les cheveux blonds reflétaient la clarté lunaire. Elle était belle et même dans cette position guère à son avantage on sentait chez elle une certaine force de caractère.Le viol était hélas une chose courante et lorsqu'il avait lieu, le bon peuple adressait ses reproches à la victime plus qu'aux coupables. Bien souvent, la femme bafouée se retrouvait sœur du silence. Cette pensée fit avoir à l'écuyer un haut le cœur. Si il y avait bien un acte qui lui insupportait, c'était bien celui là.

*Aller, mon vieux, l'est temps de te montrer un peu chevaleresque, tu crois pas ?* Corwin était un grand gaillard musclé mais pour l'heure, il n'était vêtu que d'un pantalon et d'une tunique. Sa seule arme était une dague portée à la ceinture et il ne doutait pas un seul instant que les hommes en face portaient aussi ce genre d'armes. Son seul avantage était la surprise.

Et il fonça. Sans avertissement comme un taureau, il couru vers l'homme qui commencait à malaxer brutalement la poitrine de sa victime, lui envoyant un puissant coup de poing dans le visage. La force de l'impact, cumulée à la course envoya l'homme au sol, la bouche en sang, une dent en moins...

Heee quand y en a pour deux... C'est qu'une fer-née, un petit animal sauvage à qui apprendre la vie. Calme-toi et viens prendre ta part.

Le second homme avait relâché la proie pour se mettre en position de frapper tandis que le premier tentait de se redresser. Pour le moment nulle arme n'avait encore été sortie et les agresseurs pensaient sans doute pouvoir s'arranger, d'autant que Corwin n'était pas fer-né.

*Et voilà Corwin, qu'est ce que t'es aller faire dans cette galère ?* Pour toute réponse à la proposition de l'homme debout, il envoya un grand coup de pied à son comparse, empêchant ce dernier de se relever. Restait à savoir si cela suffirait...

Au moins, si les deux gaillards avaient raison de lui aurait-il la maigre consolation de se dire qu'il s'était comporté comme un chevalier une fois dans sa vie.

Les fer-nés étaient pour la plupart des habitants des contrées civilisées des sauvages consanguins, vivant entre eux sur des îles au climat féroce où rien ne poussait si ce n'est de la mauvaise herbe. On murmurait que ses sauvages, car nul autre terme ne pouvait leur convenir avaient vendu leurs âmes et étaient plus proche de l'animal que de l'humain. Corwin en avait croisé quelques uns lors de son errance et il devait bien avouer que le peuple de la mer pouvait se montrer d'une férocité sans nom.

Et la scène qui se déroulait sous ses yeux ne faisait que confirmer les impressions qu'il avait. La fille s'était redressée et d'un mouvement rapide venait de planter son couteau dans l'une des brutes en sautant dans son dos, au lieu de se contenter d'hurler comme n'importe quelle damoiselle l'aurait fait. Le sang jaillissait de la plaie ouverte comme un fleuve carmin. Ce n'était pas là le geste d'une femme désespérée mais bien l'acte d'une guerrière en devenir punissant là son orgueil blessé.

*Et voilà Corwin. Tu es dans de sales draps...* Le jeune homme regardait le corps du blessé tombé sur le pavé, la jeune femme toujours agrippée à son dos, ne voulant pas le laisser tant qu'il n'avait expirer le dernier souffle d'une médiocre vie. L'autre homme, lui peinait à se redresser hurlant devant ce spectacle sanglant. Les deux brutes étaient du genre à s'attaquer à des proies faciles et ne s'attendaient guère à ce genre de situation.

*Ca va devenir compliqué à mon avis mon vieux. Casse-toi et laisse cette fille expliquer son acte à la garde*. Sa conscience avait toujours de bons conseils à lui délivrer. Une bagarre de rue ou le viol d'une fer-née étaient des délits mineurs sur lesquels la garde pouvait fermer les yeux avec un bon pot de vin. Le meurtre d'un citoyen du Bief, fut-il sale, malpoli et édenté était un autre souci et Corwin n'avait guère envie de se retrouver à expliquer la situation à quelque officier du guet. Malgré son apparente hospitalité, Hautjardin devait avoir des geôles aussi sales et noires que partout ailleurs avec du pain rassi et de l'eau croupie...

Il s'apprêtait donc à partir en courant lorsque son regard croisa celui de la jeune femme. L'homme au sol venait de rejoindre le pays des morts dans un dernier râle, son corps flasque sur les pavés s'entourant peu à peu d'une flaque de sang. *Bordel, Corwin... Est-ce que franchement tu hésiterais si elle était laide ? T'a vraiment envie que ser Lowain se cherche un nouvel écuyer ?* Pensa t'il alors qu'il se déplaçait comme mue par une impulsion instinctive vers elle. Sans la laisser récupérer sa dague encore plantée dans le corps, il se saisira du poignet de la jeune fille.

Viens. On y va, ca va grouiller de gardes et crois moi, pendre une fille comme toi sera un plaisir pour la populace de cette ville.

Son ton ne souffrait pas de contradictions et voilà qu'il l'entrainait courant vers les rues de la ville. Il entendait déjà les sifflets du guet, indiquant aux patrouilles que quelque chose s'était produit. Le moment était donc venu d'opérer ce que son cher maitre appelait une retraite stratégique.

La ville semblait à nouveau déserte tandis qu'il courrait, n'empruntant que les ruelles les plus étroites. Il avait fini par lâcher la demoiselle, la laissant galoper derrière lui si elle le désirait. Si elle n'était pas idiote, elle le ferait. Corwin savait que si la garde ne les coinçait pas sur le fait, les recherches ne se prolongeraient pas. Après tout, il faisait bien sombre et le seul témoin disponible était un truand qui ne pouvait que donner une description parcellaire de leurs visages.

Il finit par s'arrêter dans ce qui ressemblait à un jardin. Sur une place circulaire, un labyrinthe de haies entourait une fontaine à l'eau claire. Des statues de chevaliers en marbre, gardiens immobiles étaient disséminés un peu partout et l'odeur envoutante des fleurs se faisait sentir. De tels endroits n'étaient pas rare dans une ville réputée pour son amour des belles choses. Sans nul doute quelque noble famille avait offert ce lieu à la ville, pour célébrer ses ancêtres, y dépensant des fortunes.

*Je doute pas un seul instant que c'est plus utile que du grain pour les indigents.* Bien que noble, Corwin savait que de telles actions ne servaient qu'à flatter l'orgueil de ceux qui en étaient à l'origine. Le peuple n'en avait rien à foutre de jolies statues et de fleurs lorsque son ventre criait famine.

Son regard retomba sur la jeune femme. Ici à la clarté de la lune, il la voyait mieux. Elle avait son haut ouvert, lui laissant la vue sur une poitrine albatre bien dessinée. Son visage fier semblait parfaitement encadré d'une cascade de cheveux blonds. Dommage que le sang ne souille cette vision....

Je m'appelle Corwin. Corwin Rogers. Et toi ?

*Bon sang, mon grand reprends toi. Une paire de tétons et voilà que tu perds tes moyens *Il lui parlait doucement, ses yeux ne pouvant se détacher d'elle. Corwin après tout n'était qu'un jeune homme pleins d'hormones dont les seules expériences amoureuses se résumaient à quelques flirts poussés avec des filles de taverne. La Fer-née était une nouveauté pour lui et il se surprit à rougir.

Tu ferais bien de te laver... Je monterai la garde pendant ce temps.

D'un geste il lui désigna la fontaine. Et si elle pouvait couvrir son haut, cela permettrait à Corwin d'avoir moins chaud.

Vraiment.

Jamais encore Corwin n'avait croisé ce genre de femmes. Oh, il n'était pas d'un physique désagréable et plus d'une servante lui avait fait des propositions propres à faire rougir le Septon du coin, mais jusqu'à présent il avait su contenir les ardeurs adolescentes qui parfois, souvent même réchauffait son corps. Mais cette nuit là était différente, la fille le perturbait au plus haut point.

*Bordel Corwin, c'est qu'un cul et une paire de seins. T'en a vu d'autres* Pourtant il imaginait la fer née se baignant dans le bassin, les rayons de la lune soulignant la blancheur de sa peau et faisant briller ses cheveux d'or. L'imagination était une chose encore présente chez lui. Lorsque l'on parcourt les routes, qu'on mange et dort dans des tavernes minables, il fallait bien de l'espoir pour continuer.

Il se souvint lorsque son père l'avait envoyé auprès de Ser Lowain la première fois. Il s'imaginait au service d'un chevalier à la blanche armure allant se battre au service de la veuve et de l'orphelin, dormant dans chaque château. La réalité avait été tout autre. A la place il avait rencontré un homme sale, d'un âge indéfinissable, saoul la moitié du temps et qui n'avait plus d'idéaux. Corwin lui en avait gardé quelques-uns...

*C'est pour cela que tu l'as sauvée Corwin ? Juste pour te prouver que tu valais quelque chose ? Y a pas d'honneur dans ce monde, juste la force de l'épée*. Il secoua la tête à cette pensée. Sa raison n'avait pas tort, on ne se souvenait guère des héros mais plutôt de ceux qui gouvernaient. La guerre civile était finie et même le peuple de la blonde s'était retrouvé à faire du commerce plutôt que du pillage.

Il sentit la main de cette dernière sur son épaule, ce qui eu pour mérite de le faire sursauter. *Merde, mon grand, elle t'a eu sur ce coup. Imagine un seul instant qu'elle ai voulu t'égorger. Tu seras au sol, ton sang sur l'herbe* Pourtant il se retourna, sourire aux lèvres pour lui faire face. Il ne serait pas dit qu'un natif des terres de l'orage courbe l'échine devant une fer-née.

Son regard croisa celui de la blonde, dans une attitude de défi. Non, il ne courberait pas l'échine. Cette fierté était un des défauts du jeune homme qu'il était, un trait de caractère qui lui valait bien souvent les remontrances de Ser Lowain : « Corwin tu as le potentiel de devenir un grand chevalier, un combattant parfait mais sois humble ou tu vas mourir jeune » *Qu'importe de mourir jeune si c'est pour vivre des instants comme celui là...*pensait-il à ce moment. Il était encore bien loin d'être ce chevalier sans illusions, ce combattant cynique qu'il deviendrait plus tard.

Son corsage ? Il voulait vraiment qu'il relace son corset ? Une nouvelle fois, il sentit le sang affluer rougissant sa peau sans qu'il comprenne vraiment pourquoi. Tantant de garder contenance alors qu'elle lui exposait son dos, il prit la voix la plus assurée qu'il puisse :

Bien sur, je m'ocuppe de ca... Et tu m'as toujours pas dit ton nom.

Corwin avait l'habitude comme écuyer de lacer l'armure de son mentor. Dire qu'il était malhabile de ses doigts serait donc mentir. Pourtant le contact de sa peau contre celle de sa partenaire lui fit l'effet d'une décharge électrique et il se surprit à trembler lègèrement. Une sourde chaleur venait à se répandre dans son corps alors que son imagination d'adolescent se réveillait.

*Reprends toi, merde. T'es un grand garçon et à ton âge la plupart des garçons sont déjà passer par l'étape qui font d'eux des hommes. Alors fait ce que demande cette fille et lui montre pas que t'es troublé.* Maladroitement les doigts s'emparraient des lacets de cuir, les liant un à un tandis que l'odeur ennivrante des fleurs alentours venait se mêler à celle de la peau de la jeune femme.

Avait-il rêver un jour d'être un noble chevalier à l'armure étincelante allant au secours de sa dame ? Sans doute oui, mais Ser Lowain lui avait donné une autre vision de l'histoire. Le vieil homme avait participé à la guerre qui vit le triomphe des Barathéons et avait enseigné à Corwin que seuls les vainqueurs écrivaient l'histoire. Il lui avait conté le viol de la princesse de Dorne par la Montagne, les horreurs commises de part et d'autres. Saoul, il se laissait aller à des confidences qui montrait qu'il avait été plus qu'un simple chevalier errant à cette époque... Alors il n'attendait rien de cette fille qu'un flirt poussé.

Et voilà c'est fini.

Il lui avait annoncé la chose en prenant son temps, son visage pas loin du sien, son souffle chaud caressant sa peau, toujours dans son dos. Il avait envie de l'embrasser, de la goutter, de se rassasier ainsi mais il retint bien malgré lui cette envie. Puisqu'elle avait décidé de jouer, il répondrait de cette façon. Ne pas fuir, lui tenir tête c'était là sa stratégie actuelle.

Il se recula d'un pas, d'un tout petit pas pour la laisser se retourner, la fixant toujours droit dans les yeux. Il ne se rendrait pas sans combattre, mais pouvait-il vraiment y avoir un perdant dans cette bataille ?