L'hôtel de la Guilde des alchimistes se lovait au pied de la colline de Visenya, dans la rue des Sœurs. On y entrait en descendant un large escalier depuis lequel s’étendait la galerie des Torches-de-fer, longue pièce aux murs et au sol de marbre donc le haut plafond reposait sur de solides colonnes métalliques. Sur ses flancs plusieurs escaliers. Une dizaine descendait dans les profondes galeries labyrinthiques des sous-sols où étaient aménagés les cellules dans lesquelles on préparait et stockait le Feu Grégeois. A peu près autant montaient sur la coursive qui faisait tout le tour de la haute galerie. C’est sur cette coursive que donnaient les bureaux des sagesses et depuis celle-ci que l’on pouvait monter dans les étages où se trouvaient les appartements des pyromants. Cela pouvait sembler faire beaucoup d’escaliers par rapport aux mesures de la bâtisse.

Hallyne, vêtu d’une longue tunique violette aux reflets cuivrés attendait Lord Eddard sans broncher en bas des escaliers. L’homme au teint blafard ressemblait à une statue de plâtre avachie, pourtant en voyant approcher la Main du Roi, il se redressa et parut alors reprendre vie comme une plante verte desséchée qu’on aurait enfin abreuvée et mise au soleil. Son teint ne s’en trouva pas moins livide, mais, alors qu’un instant plus tôt on aurait pu le prendre pour un cadavre oublié là, momifié depuis des lustres, il était clair à présent qu’il était bien vivant. Il souriait même et un éclair de vitalité passa dans ses yeux sombres.

« Lord Eddard Stark, sire de Winterfell, seigneur suzerain et Gouverneur du Nord, Main du Roi. Je sais qui vous êtes Messire, qui ne le sait pas. » Il s’inclina respectueusement et se présenta à son tour : « Sagesse Hallyne, Grand alchimiste de la Guilde, mais appelez-moi Hallyne le Pyromant. »

Il commença marcher après avoir invité la Main à le suivre.

« Nous sommes confus de vous avoir fait déplacer, mais nous pensions que, si vous désiriez nous parler, c’était à propos de notre travail et que nous serions bien plus à même de vous montrer nos œuvres ici plutôt qu’au Donjon Rouge. Préférez-vous que nous discutions dans mon bureau ou voulez-vous visiter les cellules souterraines ? »

A la demande de Lors Stark, la Sagesse Hallyne fit une moue étrange qui en disait long sur le danger que représentait le feu grégeois, néanmoins, il avait tellement envie de montrer à tous de quoi les Alchimistes étaient capables qu’il se prit à répondre :

« Mais bien sûr Messire, nous nous feront une joie de vous faire une démonstration ! Dans des conditions de sécurité digne de la Main du Roi, évidemment. » Il offrit son plus beau sourire à Lord Eddard puis reprit un air nettement plus sérieux en faisant signe d’approcher à son assistant. « Prévient ses sagesses Malliard et Munciter et dis leur de préparer une cellule pour une démonstration. »
A en croire le regard que l’assistant posa, en partant, sur la Main du Roi, il trouvait le projet complètement fou, mais il sortit pour faire la commission.

« Où en étions-nous… » dit-il avant de murmurer : « Ah oui, les oreilles indiscrètes. » fit-il avec un regard entendu à Ned, fier d’être mis dans la confidence des grands du royaume. « Suivez-moi Messire. »

Ça n’était pas trop tôt me direz-vous, que la couronne considère la Guilde des Alchimiste comme ces plus précieux alliés, mais il était ravi et s’empressa d’ouvrir la marche vers son bureau. Montant l’escalier de pierre et de fer qui menait à la coursive, il reprit : « Je suis honoré que vous ayez choisi les pyromants pour vous aider dans votre mission, j’ai hâte de savoir ce que vous nous concoctez. »

Un plan brûlant contre les Fer-Nés très probablement. Oui, cela ne pouvait être que cela, les ennemis de la couronne, ces pirates cruels et sauvages qui avaient attaqués le royaume méritaient bien de mourir brûlés vifs, tous, sur leurs bateaux de malheur. Qui d’autre si non ?
Hallyne, arrivant à son bureau, ouvrit la porte avec un sourire et invita le nordien à entrer d’un geste respectueux de la main.

« Prenez place Messire Main » dit-il en désignant un fauteuil défraîchi installé devant un large bureau en bois marqueté et métaux précieux, très, très patiné, sur un tapis tout aussi usé comme tout le reste de son bureau. La grandeur de la Guilde des alchimistes n’était plus ce qu’elle avait été et cette pièce reflétait assez bien cette gloire révolue, usée.

« Désirez-vous à boire, quelque chose à grignoter ? » Demanda-t-il en entrant à son tour sans se souvenir qu’il avait congédié son assistant et qu’il aurait donc un mal fou à honorer la demande du Seigneur.

Alors, donc, que Hallyne se préparait à être mis dans la confiance d’un plan de destruction massive des Fer-Nés, il vit Lord Eddard sortir une boite des plis de ses vêtements tout en refusant toute collation. C’est alors que la Main annonça son plan. Si le pyromant avait été en train de boire ou de manger, il aurait avalé de travers, mais comme il n’avait rien dans la bouche à ce moment-là, il eut seulement le souffle coupé et posa un regard vide sur le Suzerain du Nord. Il ne comprenait pas. Le Mur, les sauvageons, ou plutôt, pas les sauvageons, mais même les sauvageons. Enfin bref. Le Mur ! Le Nord du Nord !? Le Mur ? Cet endroit dont le monde entier se fichait royalement ? Ce ramassis de crevures et de meurtriers ? Cette immense barrière de glace bien assez suffisante pour repousser n’importe quelle menace à elle seule ? Était-il sérieux ? Du Feu Grégeois pour le Mur, pour la Garde de Nuit ? A sa mine, il semblait que oui. La tunique et, dessous, l’alchimiste, furent pris d’une sorte de tremblement intempestif. Hallyne, conscient que, malgré la situation cocasse, il aurait été malvenu d’éclater de rire, se retenait tant bien que mal. Il se mit à fouiller dans ses tiroirs pour que Ned ne voie pas son sourire le temps de reprendre contenance.

La Main du Roi posa sèchement une boite sur le bureau et lui demanda de l’ouvrir. La sagesse fut surprise de la requête, cru un court instant qu’il s’agissait d’une avance en or sonnant et trébuchant pour l’achat du Nordien de Feu Grégeois pour son Mur. Mais vu le ton, vu la phrase, vu les mouvements saccadés de l’objet, il en doutait fortement bien qu’il ne put s’empêcher de garder un mince espoir. Il s’exécuta donc, hésitant mais beaucoup trop curieux pour refuser l’invitation, prêt à la déception, prêt à tout à vrai dire, sauf à ça : découvrir une main en putréfaction qui bougeait et semblait vouloir à tout prix s’échapper de la boite. Le Pyromant fit un bond de stupéfaction, oubliant de refermer la boite contenant cette immondice dont l’odeur de mort se mit à envahir la pièce. Il se retrouva debout à un bon mètre du bureau, les yeux horrifiés fixés sur la main, puis sur la Main, puis encore sur la main, qui lui donna un haut le cœur avant de se forcer à regarder uniquement la Main pour éviter de vomir partout.

« Refermez ça immédiatement ! »

Il était passablement énervé du mauvais tour que Lord Stark venait de lui jouer. Mais il lui faudrait encore reprendre ses esprits avant de savoir s’il était convaincu. Une main de mort qui bougeait, c’était dégouttant, impressionnant. Mais Hallyne était perplexe, ne comprenant pas encore complètement où Ned voulait en venir, car oui, bien qu’érudit, les Autres étaient pour lui une légende si ancienne qu’il n’y pensa même pas sur le coup. Il resta à distance tant que la boite ne fut pas refermée et remise en sécurité loin de lui, ses jambes encore toutes flageolantes de la peur qu’il venait d’avoir. Il fronça les sourcils et dit :

« Joli tour de passe-passe Messire Main, mais je ne vois le rapport ni avec le Mur, ni avec notre précieux Feu Grégeois, aussi, si vous êtes venu pour vous jouer de la Guilde des Alchimistes, je vous prierais de quitter les lieux sur le champ, avec votre… cette… la chose. »

Si Lord Eddard Stark disait vrai, alors, pourquoi n’en avait-il pas été averti plus tôt, pourquoi il n’avait reçu aucune demande de la part de Jeor. Enfin, pourquoi était-ce un Nordien, toute Main soit-il, père du bâtard dont il fut question un bref instant, qui venait le voir et non le Roi. Hallyne se demandait si ça n’était pas une ruse de la Main pour lui extorquer leur bien le plus cher : le Feu Grégeois. Il en était persuadé, ceci était un stratagème des Nordiens pour récupérer cette puissante arme, peut-être contre les morts, peut-être pas, peut-être simplement pour en débarrasser Port-Real. Le Roi n’était probablement même pas au courant de cette demande qui n’avait rien d’officielle et bien que le pyromant ne pouvait ignorer ce qu’il venait de voir, il ne pouvait croire à l’imminence de la menace. Quand bien même, il ne voulait pas priver la couronne du Feu Grégeois sous prétexte de morts qui marchent de l’autre côté du Mur, si loin au Nord.

« Et dites-moi Messire Main, qui va payer pour l’aide que vous demandez ? La Garde de Nuit ? Le Nord ? »

Hallyne qui s‘était assis quelques instants pour réfléchir à tout ça tira d’un des tiroirs de son bureau un énorme livre relié de cuir et l’ouvrit bruyamment avant de l’étudier en détail avec des « mmm » de réflexion et d’approbation. Il s’agissait d’un livre de compte répertoriant les anciens dons de la couronne Targaryenne à la Guilde contre la fabrication de la substance verdâtre.

« Oui voila. »

Il referma vivement son livre de compte avec un gros bruit et sourit.

« Donc pour cent pots, cela vous coûtera dix mille Dragons d’Or dont la moitié payable d’avance, le reste à la livraison. Les arrhes sont en grande partie destinées à l’achat des ingrédients de base nécessaires à la fabrication, mais le travail des alchimistes étant aussi précieux que long et dangereux, il ne peut rester gratuit. »