La herse se dressait enfin devant ses yeux. Le chemin avait été long, et, surtout, terriblement ennuyeux. Loras en était presque venu à regretter sa décision de faire un crochet par Accalmie avant de se rendre à Port-Réal. En réalité, il n’y avait pas vraiment de raison à ce caprice. Bon, je ne vais pas vous faire croire qu’il s’était levé un beau matin, puis, regardant par sa fenêtre, avait décidé d’un seul coup de se taper toute la route à pattes – de cheval – histoire de se promener un peu. Il était évident que sa visite avait un but bien plus complexe. Je t’ai entendu ricaner devant ton écran. Ne fais pas l’innocent, je sais ce que tu viens de penser : Loras nous la jouait grand chevalier et partait retrouver sa dulcinée avant le combat final – c’est-à-dire le Tournoi de la Main. Eh bien, disons qu’en fait, il avait quelques affaires pour lesquelles il devait s’entretenir avec le Seigneur d’Accalmie en privé. Le mot « privé » excluait forcément la possibilité de le faire à Port-Réal – Renly le lui répétait assez souvent. Ainsi, il avait vu une belle occasion dans le retour du Lord en son fief natal.

Son cheval piaffait d’impatience lorsque, enfin, la grille se leva. La petite troupe s’engouffra dans la citadelle. Évidemment, Loras, tout fier sur son magnifique destrier, attira quelques regards curieux. Beaucoup ignorait la véritable raison de la merveilleuse amitié entre les Terres de l’Orage et le Bief, et mieux valait que la populace ne le découvre jamais. Trottinant calmement au milieu de la cours tandis qu’il se dirigeait à la rencontre de Ser Cortnay, le premier bruit qui attira l’attention de notre chevalier fut sans nul doute le cliquetis des épées s'entrechoquant venant des quelques hommes s’entraînant. Il aurait adoré les rejoindre pour leur montrer l’étendu de son talent. D’autres obligations beaucoup moins amusantes l’attendaient cependant, comme les salutations de ce cher Cortnay Penrose.

Avec souplesse, Loras mit pied à terre devant lui. Comme d’habitude, le chevalier expérimenté – manière polie pour vous faire comprendre qu’il était vieux – lui adressa un bienvenu aussi accueillant qu’une chaise couverte de hérissons. Voilà bien des années que notre garçon le fréquentait, le respectant sans pour autant éprouver un amour fou. Oh, il ne pouvait remettre en doute les capacités de l’autre, bien au contraire, il le connaissait depuis si longtemps. Mais … Avait-il réellement besoin de mettre son nez dans une affaire qui ne le regardait absolument pas ? Si du jour au lendemain, Renly s’amourachait d’un rideau, cela ne concernait que lui. Notre héros ne prêta nullement attention à la froideur de la réception.

« ▬ Merci, Ser Cortnay. »

Oui, il était franchement radin sur les salutations. D’un autre côté, il ne voyait pas pourquoi il s’étendrait en longs discours avec quelqu’un qui condamnait sa conduite à chaque regard. Son escorte se sépara de lui lorsqu’il partit à la suite de son guide improvisé. Loras connaissait relativement bien la demeure à cause de sa jeunesse. Il ne put exprimer un air perplexe quand il reconnut après quelques minutes le chemin de la bibliothèque. Vraiment ? Il était sérieux ? Tiens, notre rose ne savait pas que Renly était masochiste : il fallait clairement l’être pour s’enfermer volontairement dans un endroit aussi soporifique. Sans piper un seul mot de tout le trajet, ils arrivèrent enfin devant une porte massive – ce après avoir crapahuté pendant une éternité, car, forcément, un endroit aussi repoussant qu’une bibliothèque ne pouvait se trouver qu’au sommet de la plus haute tour. Son compagnon de route l’ouvrit et introduit brièvement Loras. S’apercevant sûrement que sa présence n’était pas désirable – ou sûrement parce qu’il ne cautionnait pas ce qui pouvait se passer par la suite dans cette pièce -, le vieux chevalier s’éclipsa en refermant derrière lui la porte.

« ▬ Je pensais que les livres étaient fait pour les mestres. »

Il adressa un petit sourire narquois suivi d'un bref rire à Renly en s’approchant. Si vous vous attendiez à une scène gnangnan où deux protagonistes courent l’un vers l’autre devant un soleil couchant rosé, entourés de palmiers en authentiques plastiques, vous êtes bien loin du compte. Pas besoin de crier « Remboursé ! », vous n’avez rien payé, alors bon. D'accord, il ressentait bien un petit quelque chose spécial de le revoir après leur séparation, sans avoir non plus l'envie de se jeter sur lui. Il regarda dédaigneusement le gros volume placé sur la table. Et après, Renly se plaignait d’être un piètre combattant … Ce n’était pas étonnant s’il restait assis devant ces pavés. N’allez pas croire que Loras éprouvait une aversion complète pour la lecture. Elle pouvait être utile. Mais pas pour lui. Le jour où on pourra assommer un adversaire avec, là, éventuellement, il consentirait à s’y intéresser de plus près. D’autant plus qu’il savait pertinemment que Renly avait des ouvrages bien plus intéressants que des volumes historiques.

« ▬ Prêt à me voir triompher au Tournoi de la Main ? »

Le Chevalier des Fleurs ne perdait pas de vue le sujet qui lui tenait le plus à cœur depuis qu’il avait été mis au courant de l’évènement. Il était terriblement impatient à l’idée de montrer l’étendue de ses capacités, et, à vrai dire, il n’y avait pas de sujet qui le passionnait plus pour l’heure. Il aurait pu demander comment allait son compagnon, les dernières nouvelles, bref, blablater, mais rien ne le séduisait autant que la perspective de grimper sur un cheval et de taper sur la tronche d’autres bonhommes avec un grand bâton. Ah, quel romantisme …

De la prudence, encore et toujours de la prudence. Quelle barbe. Le risque était bien plus amusant voyons. Loras était du genre audacieux ; une simple accolade comme deux amis se retrouvant pour boire ensemble un soir n’était pas suffisant pour lui. Renly aurait pu tout autant lui serrer la main, peut-être qu’une étreinte était trop familière et qu’un oiseau passant par là aurait pu se méprendre. En public, il comprenait tout à fait qu’il faille montrer patte blanche. Il se trouvait même plutôt bon à ce jeu-là – enfin, dîtes-moi dans quel domaine Loras Tyrell ne se trouvait-il pas bon. Il n’était peut-être pas le comédien du siècle, cependant, il ne se pensait pas complètement catastrophique. Pourtant, il semblerait que les règles aient changé durant son absence. Désormais, même seuls dans une pièce, ils devaient se montrer réservés. Ah. Première nouvelle. Eh bien, le trajet pour Port-Réal allait être long si le Sire d’Accalmie décidait de se comporter comme une jeune pucelle. Le Chevalier ne put cacher sa déception. Se taper un mois de cheval pour être accueilli de la sorte, il y réfléchira à deux fois la prochaine fois avant de se mettre en route.

Dans sa grande mansuétude, notre héros ne lui en tint pas rigueur et préféra se concentrer sur la suite. A vrai dire, Renly savait le brosser dans le sens du poil : évoquer sa brillante réussite face à Jaime Lannister ne pouvait qu’arracher un sourire au Chevalier des Fleurs. Il comptait bien réitérer l’exploit cette fois encore, afin de prouver aux mauvaises langues qu’il n’avait pas été victime d’un coup de chance, mais qu’il ne devait cette victoire qu'à talent. Jaime Lannister n’était pas le seul contre qui Loras voulait jouter. Il y avait d’autres pointures qu’il espérait affronter et surtout, qu’il comptait battre si possible. De ce fait, comment pouvait-il décliner cette charmante invitation à échanger quelques passes avec Guyard Morrigen et Bryce Caron ? Renly le prenait par les sentiments.

« ▬ Si tu me permets de t’emprunter une monture, je serais ravi de faire une petite démonstration contre Ser Guyard et Lord Bryce, un entraînement me fera le plus grand bien. On verra si Jaime Lannister a eu raison de se préparer. »

Il ne doutait pas une seule seconde qu’il remporterait contre les deux autres chevaliers. Peut-être que la fatigue pouvait lui mettre quelques bâtons dans les roues, ou le cheval qui ne serait pas le sien - il préférait préserver les montures après leur périple. Loras Tyrell n’entreprenait jamais quelque chose dont il n’était pas persuadé de sa réussite. Simple question de perfectionnisme. Et puis, arrogant comme il était, l’échec ne devait en aucun cas figurer dans son vocabulaire. Oui, oui, je vous vois venir avec les grandes phrases telles que « On apprend plus de ses erreurs que de ses succès. ». N’empêche, vous avez remarqué que généralement, cette formule n’est utilisée que par les perdants ? Or, Loras n’était pas un perdant, donc, les jolis discours sur la nécessité de se planter pour progresser, très peu pour lui.

« ▬ Tu pourrais aussi te joindre à nous. Un peu d’exercice ne te fera pas mal, je dirais même que ce serait une bonne manière pour célébrer nos retrouvailles. »

A la question, se foutait-il de la tronche de Renly, la réponse serait oui. Et non. D’un côté, voir son amant sur un cheval avec une lance était une perspective assez réjouissante. Bizarrement, en connaissant les grands talents guerriers de son compagnon, Loras sentait que la joute serait fort divertissante. De l’autre, il était sérieux car il ne voyait pas de meilleur moyen pour fêter leur réunion. Enfin, il en voyait bien une, de méthode plus efficace. Mais Renly, alias Lord Prudence, n’était visiblement pas disposé à lui permettre. Soit. Ils se rattraperaient plus tard sûrement.

Le chapitre des distractions fini, il fallait maintenant attaquer dans le vif du sujet, une part de la raison de la venue du chevalier, c’est-à-dire l’actualité politique. Il fit quelques pas à travers la pièce avant de s’asseoir calmement à la table où le palpitant ouvrage historique était ouvert. L’ennui, c’est que Loras n’était pas un génie de l’intrigue. Il avait la fâcheuse tendance à se lancer dans la baston inconsidérément. Il n’y avait qu’un élément pour lequel il était sûr de lui : Renly serait un des meilleurs Rois que Westeros pouvait connaître. Il l’écouta d’une oreille distraite, feuilletant le volume sans vraiment le lire – et il ne faisait pas que regarder les images, merci.

« ▬ Tout le monde va bien. Lady Olenna est dans une forme éblouissante, elle n’a pas manqué d’ailleurs de glisser un petit commentaire sur ma venue ici et sur ma participation au tournoi. La Fête des Moissons s’est déroulée sans accro. Rien de bien intéressant.
Au sujet de tes problèmes à la Cour, c’est difficile de se prononcer maintenant alors qu’il vient juste d’arriver, même si, honnêtement, je ne vois pas comment Eddard Stark pourrait réussir là où Jon Arryn a échoué. Le problème ne vient pas de la Main mais plutôt du Roi. Si les Royaumes avaient un meilleur souverain, peut-être n’en serions pas là aujourd’hui. Son regard rempli de sous-entendu coula vers Renly avec insistance tandis qu’il avait accentué sa dernière phrase. Il enchaîna ensuite comme si de rien n’était. J’entends par là que les Lannister ont trop de pouvoir. Quant à Stannis, tu devrais être content qu’il ne soit plus dans tes pattes, non ? »

Il ne savait rien d’Eddard Stark mis à part quelques rumeurs, rien de solide en somme. Au sujet des Lannister, il était clair que Loras s’en méfiait. Déjà, sa famille était la deuxième plus riche de Westeros après eux. Rivalité oblige, il ne pouvait pas décemment les soutenir, surtout que Loras n’aimait pas particulièrement être second dans un domaine. Cersei occupait la place que convoitait sa sœur et Jaime était entré dans la Garde Royale à quinze ans. Par conséquent, si le Chevalier des Fleurs venait à y entrer par la suite – sait-on jamais -, il ne serait pas le plus jeune à la rejoindre, ce qui l’agaçait. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que le cadet des Tyrell voulait être premier dans tout ce qu’il entreprenait. Bref, il n’avait aucun motif à sa connaissance pour porter les Lannister dans son cœur.

Loras abandonna sa pseudo lecture – on aurait plutôt dit une demoiselle feuilletant un magazine féminin à vrai dire – et se tourna en direction de Renly. Je pourrais vous dire qu’il avait une magnifique vue sur son postérieur, mais je ne le ferais pas – oups, trop tard. Génial, maintenant son interlocuteur lui tournait carrément le dos. Peut-être qu’il n’était pas une lumière dans le domaine du romantisme, mais Renly le surclassait dans son manque de politesse.