Au creux de la vallée, le soleil se levait à peine dans l’aube blême et brumeuse, mais les Eyrié étaient plus haut que les nappes de brouillard et déjà bien éclairés par la vive lumière oblique du petit matin. La journée serait belle. Ashara prenait son petit déjeuner dans sa chambre, baignée de lumière et égayée par les légers babillements du marmot brun qui dormait, paisible, hors de tout danger dans son petit berceau. Chaque fois qu’elle posait les yeux sur ce petit être, son visage s’éclairait de joie, des heures durant, elle le regardait dormir, téter à son sein, l’observer et lui sourire ou la regarder d’un air circonspect. Elle commençait à comprendre son langage, et lui le sien. Ils s’apprenaient, s’apprivoisaient chaque jour un peu plus sans que jamais rien ne soit acquis pour de bon car il changeait et grandissait à vue d’œil. Malgré la fatigue et l’anémie, elle était plus belle que jamais, mais surtout, elle avait, depuis le jour de la naissance d’Artys Arryn, une force sereine que nul ne lui avait jamais vue.

Était-ce cela, devenir mère ? Acquérir la certitude absolue qu’on n’en aura plus jamais, de certitude, et n’en être pas moins certaine de vouloir persévérer, certaine de son importance, certaine de ses capacités ? Cette réalité l’avait frappée, submergée, en même temps que l’instinct maternel qui la poussait à vouloir protéger son petit de tous les maux de la vie tout en lui donnant les armes pour, un jour, lointain si possible, volé de ses propres ailes. Depuis cet instant où elle avait posé les yeux sur son fils, elle savait pourquoi elle vivait, pour lui, tout simplement et quoi qu’il advienne, elle vouait son existence à faire grandir ce petit bout d’homme si petit et si fragile. Si elle avait pu fabriquer un être si parfait en neuf mois, elle pouvait tout, tout pour lui, pour que les années à venir soient plus radieuses encore.

Il était encore difficile de dire à qui ressemblerait l’héritier du Val, son visage de poupon ne s’était pas encore décidé pour tels ou tels traits, ses cheveux étaient foncés, mais cela aussi pourrait encore changer. En revanche, il avait les yeux gris de son père et Ashara voyait Lyonel à chaque fois qu’il les ouvrait pour poser sur elle son regard plein de curiosité et de questions, mais aussi d’amour et de confiance.
Ainsi, elle avait hâte de lui présenter le fruit de leur amour et qu’il voit de ses yeux comme il était beau et parfait, sans compter qu’il lui manquait beaucoup et qu’elle s’inquiétait pour lui à cause de la blessure infligée par Jaime. Cela dit, étant donné la manière dont elle avait imposé le nom Arryn pour son fils et qu’elle ne comptait céder pour rien au monde, le retour de son époux aux Eyrié ne serait pas de tout repos. Elle savait déjà que les discutions seraient longues et houleuses et qu’elle devrait tenir bon, c’était trop important, pour elle et pour le Val. Lyonel ne le prendrait pas bien du tout et serait invivable pendant quelques temps, après tout, en un sens c’était aussi cela qu’elle aimait chez lui, sa fierté de mâle, même si cela avait quelques inconvénients. Mais elle espérait qu’il comprenne cette fois, et qu’il finisse par lui imposer d’avoir profité de son absence pour supprimer Corbray et ses armes des Eyrié et de la lignée suzeraine du Val d’Arryn.

Mestre Udo apporta le parchemin en hâte. Le cachet de Yohn Royce attestait qu’il s’agissait de nouvelles fraîches du front et Ashara voudrait savoir au plus vite de quoi il retournait. Il lui parut étrange que la missive n’ait pas été écrite par Lyonel, mais cela pouvait arriver qu’un générale délègue ce genre de tâches, même pour son épouse, il devait être fort occupé. Quand il arriva, la brune tenait son enfant dans son giron et ce dernier tétait goulûment son sein. Elle demanda à l’homme de science de lui décacheter le parchemin, il s’exécuta et lui tendit. Elle lut. Son visage se décomposa. Son souffle s’arrêta quelques secondes. Ses yeux s’emplirent de larmes. Elle se mit à trembler. Un instant elle voulut mourir, puis elle baissa les yeux sur son petit et se ravisa, essaya de retenir ses larmes, d’arrêter de trembler, n’y parvint pas, serra son petit plus fort contre son sein. Elle tendit le parchemin au Mestre et respira lentement pour essayer de se calmer sans quitter Artys des yeux.

Le Mestre comprit rapidement le problème, le parchemin annonçait le décès de l’époux d’Ashara, Lord Lyonel Corbray. Il lui présenta ses condoléances et se retira. La brune se leva et reposa son enfant dans son lit avant de fondre en larmes pour de bon. Quand ses caméristes arrivèrent, elles avaient été mises au parfum et firent mine d’ignorer ses larmes. Elle enfila une robe noire austère et se mura dans le silence pendant plusieurs semaines. Mais l’ost du Val et le corps de son mari ne tarderait plus à arriver aux Portes de la Lune, il fallait donc qu’elle redevienne Suzeraine du Val, et vite, sans quoi certains opposants pourraient s’engouffrer dans la brèche.

Ashara se tenait là, droite comme un I, serrant les poings pour s’empêcher de trembler, elle portait une robe noire et un voile de tulle sombre couvrait ses cheveux avec légèreté. Mais elle ne parlerait pas, elle n’y arriverait pas, elle le savait, alors à quoi bon parler devant sa cour pour s’écrouler devant tout le monde. Mestre Udo prit la parole à sa place et annonça officiellement à tous la nouvelle qui était déjà connue de la plupart des gens.

__ Mes demoiselles, Messers, Lord Lyonel Corbray, seigneur des maisons Arryn et Corbray, gouverneur de l'Est, défenseur du Val, sire des Eyrié et de Cordial est mort en prenant Corval pour le Roi et pour le Val. »

La brune serra les dents pour tenir, pour ne pas pleurer, s’effondrer, seuls les pleurs d’Artys, dans les bras d’une servante, trahissait l’état de sa mère. Après les mots du Mestre, évitant soigneusement le regard de ses vassaux, elle reprit son fils des bras de la camériste et se retira en silence. Son regard était perçant, sa mine glaciale, sa démarche assurée et son port de tête altier, comme toujours, elle était le Val, impénétrable et magnifique. Mais en réalité, à l’intérieur, elle n’était que ruines, sang, larmes. La seule chose qui lui donnait la force de donner le change encore quelques minutes, quelques secondes, jusqu’à ses appartements, c’était de tenir son fils, de le serrer fort contre sa poitrine.

Une fois dans sa chambre, elle demanda qu’on ne la dérange sous aucun prétexte. Elle se coucha à côté de son enfant et pleura, des heures, des jours entiers, sans parler à personne, elle refusait de voir qui que ce soit et mangeait à peine, se forçant pour pouvoir continuer à nourrir Artys. Plusieurs semaines passèrent ainsi sans que personne ne la voit. Les domestiques posaient le repas dans son cabinet et elle ne sortait pas de sa chambre avant qu’elles aient quitté les lieux, idem pour son bain, même Mestre Udo n’était pas le bienvenu. Creighton et Barristan gardaient la porte la plus part du temps et ne laissaient personne entrer, ils avaient essayé d’entrer eux même deux ou trois fois pour la consoler, mais elle les avait mis dehors sans cérémonie. Elle voulait être seule, absolument seule, juste avec son fils. Peut-être pour toujours.

Néanmoins, le corps avait été rapatrié et arriverait aux Eyrié d’ici peu, il fallait préparer la cérémonie rapidement, car elle ne s’était occupé de rien dans son grand désarroi et faire en sorte qu’Ashara soit de nouveau sur pied pour recevoir les Seigneurs du Val pour l’enterrement. Ces hommes et amis ne savaient plus quoi faire pour la sortir de son mutisme et ses suivantes étaient bien trop occupées à craindre qu’elle ne mette fin à ses jours pour prendre les choses en main.

Peut-être que cette fois, Ashara Arryn ne se relèverait pas, peut-être que le Val ne se relèverait pas. En tout cas, après tant de jours de silence, tant de larmes et de solitude, il semblait évident qu’elle ne se relèverait pas toute seule.

Ashara entendit les trois coups timides frappés à sa porte. Elle avait pourtant demandé qu’on ne la dérange pas ! Qui osait ?! Puis elle reconnut la petite voix. Nyella Belmore. La colère fit place au chagrin. Nyella. Une enfant encore. Je suis à peine plus âgée qu’elle, mais j’ai connu bien des voyages et biens des souffrances qui m’ont forgée. Et je suis mère, cela suffit à nous différencier. Une enfant oui. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’elle se souvenait de leur première rencontre. Une sauvageonne parmi les Rougefort, qui aurait cru cela possible ? Tu étais comme moi plus jeunes, moi si je n’avais pas eu Jon Arryn comme mentor et grand-oncle. Tu m’admirais je crois. Et je t’admirais aussi en un sens, d’être restée libre malgré ton nom prestigieux. J’espère que tu as appris à mes côtés ce que c’est que d’être une Lady à part entière. Ni rebelle, ni trop sage, pas même parfaite. Alors qu’Ashara se perdait dans ses pensées, seul le silence régnait dans le couloir ou se trouvait la jeune fille, la brune n’avait pas répondu. M’admireras-tu encore après ça ? Qui m’admirera encore après ça ? Personne n’est-ce pas. Non, personne. Je ne suis qu’une mère veuve de dix-sept ans, Suzeraine du Val ou non, je suis plus seule que jamais. Toi tu es là… Mince.

__ Entres. »

La jeune femme venait de se souvenir que Nyella attendait de l’autre côté de la porte, sa réflexion avait probablement duré plusieurs minutes, peut-être même que la jeune fille était partie. Ashara replongea dans ses sombres songes sans ajouter un mot. Son regard se perdait dans la poussière des quelques rayons obliques qui filtraient à travers la fenêtre, sa chambre ressemblait à une tombe sans autre lumière. Elle était là, assise sur un fauteuil moelleux dans une robe de deuil, telle une statue de glace, froide, morte, immobile et blanche. Seuls ses cils bougeaient par moment, comme pour rappeler qu’elle était bien un être vivant. Son souffle était à peine perceptible pendant que son esprit divaguait de tristes souvenirs en réalités morbides.

La suzeraine du Val se souvenait vaguement du chagrin de sa propre mère après la mort d’Elbert Arryn, cet homme qui lui avait donné son nom et désormais son héritage, mais qu’elle avait à peine connu. Ses seuls souvenirs de lui venaient de ce qu’on lui avait raconté, Yvaine, mais aussi Creighton et Jon. Tous racontaient combien il était courageux et bon. Ce souvenir fugace, c’est tout ce qu’il resterait à Artys une fois qu’il aurait grandi, déjà sa mère lui racontait l’amour qui l’unissait à Lyonel, mais aussi la confiance de ces hommes, sa victoire dans l’Ouest. Les Brax. Sa propre famille était responsable de la mort de son époux. Comment se remettre de cela, qui pardonner, à qui en vouloir, qui haïr ? Peut-être valait-il mieux faire abstraction de qui, mais elle n’y arrivait pas. Pire encore, d’après ce qu’on lui avait raconté, c’était la blessure infligée par Jaime qui avait fini par avoir raison de lui au cours de la campagne. Jaime avait été mis sur la route de son cher et tendre par ses propres soins. Était-ce donc elle la responsable de ce grand malheur qui touchait une fois de plus le Val, sa famille, son fils et elle ? Cette pensée lui donnait la nausée. Plus encore quand elle repensait à la conversation qu’elle avait eue avec le régicide, cet homme qu’elle avait laissé partir en vie des Eyrié pour rejoindre le Mur alors qu’il venait de signer la perte du Protecteur du Val. Les regrets. La culpabilité la rongeait peu à peu.

Les Dieux sont bien taquins. Est-ce ainsi qu’ils me punissent d’avoir laissé partir un incestueux criminel ? Est-ce ainsi qu’ils me punissent d’avoir fait en sorte que Tywin meurt ? Avais-je un autre choix ? Il aurait mis le royaume à feu et à sang !

Ashara avait toujours eut pitié de sa mère, veuve si jeune. Elle ne voulait pas que son fils ait pitié d’elle, elle voulait qu’il soit fier…

La brune ne bougea pas, semblant ignorer la présence de la rouquine, ignorer le monde qui l'entourait. Pourtant, Ashara entendit Nyella entrer, elle la vit même s’approcher du berceau et eut, l’espace d’un instant, un haut le cœur de peur qu’elle lui fasse du mal. N’était-elle pas désormais destinée à protéger son fils contre tous les maux ? Et il y en aurait, elle le savait. Elle était veuve, il était son héritier, les ambitieux la courtiseraient et voudraient prendre sa place et faire en sorte que leurs fils prennent celle d’Artys. Elle soupira pour chasser ses sombres pensées. Oui, elle devait vivre et reprendre des forces pour lui, pour le protéger, pour protéger le Val et sa lignée, faire en sorte qu’elle perdure. Et pour cela, il fallait qu’elle vive et qu’elle gouverne…

La jeune Belmore, avec cette beauté si particulière qui lui était propre prononça alors les louages du fils des Montagnes et du Val. Ashara lui sourit, ses yeux s’emplirent de larmes et son cœur de fierté mêlée de tristesse. Bien sûr qu’il était magnifique, fils de Lyonel et Ashara Arryn, bien sûr, mais…

__ Il ne connaîtra jamais son père… comme moi… La guerre Nyella, toujours elle prend et jamais ne rapporte, ou si peu. Souviens-toi de cela lorsque tu seras mariée. Il te faudra bien du courage pour en sauvegarder ton époux et tes fils. Les hommes… Nous risquons tout pour donner la vie et eux s’amusent à la reprendre ou à la perdre. Ils te diront que c’est pour la gloire, mais quelle gloire y a-t-il à n’être plus là pour voir son enfant grandir ? »

Un rictus de colère lui tordit la bouche et d’un geste rageur, elle essuya les larmes qui avaient commencées à couler sur ses joues.

__ Évidement… Je sais… c’est plus compliqué que cela. On ne peut pas toujours l’éviter. Mais les hommes sont des imbéciles prompts à fanfaronner pour aller se battre sans se soucier du prix de la vie, du prix que nous, les femmes nous payons. »

Elle posa les yeux sur Artys en se disant qu’il ne serait probablement pas différent des autres, surtout avec le père qu’il avait et la mort qu’il avait eu. Elle rit doucement et se remit à pleurer. Je dois gouverner. Je dois me relever. Je dois le protéger… C’est si dur… Un sanglot déchira le silence. Ashara était en train de craquer. Elle se retint. Non pas devant elle… Laissez moi pleurer mon mari. Laissez moi pleurer encore… Jusqu’à ce qu’il soit revenu…

__ Quand arrive-t-il ? »

Nyella écoutait-elle ? Comprenait-elle ? Qu’importe, cela faisait du bien à Ashara de dire ce qu’elle avait sur le cœur. Et comme c’était la jouvencelle ingénue qui était venue, c’était à elle qu’elle parlait de sa douleur, qu’importe que la Belmore aille ensuite tout raconter comme elle avait l’habitude de colporter les derniers ragots à la brune qui n’en avait cure. La suzeraine avait tellement ruminé son chagrin et ses questions qu’il fallait que sa sorte, d’une manière ou d’une autre, avec elle ou quelqu’un d’autre. Et si, un jour, lorsqu’elle serait mariée, peut-être, mère surement, la jolie rousse se souvenait de ses mots et en entendait enfin le sens profond, se serait peut-être une bonne chose pour elle. La Suzeraine en venait même à se demander si ça n’était pas à Nyella qu’elle aurait dû demander d’épouser le nain, peut-être n’aurait-elle pas fait autant de chichis qu’Ysilla, peut-être même que son père aurait apprécié cette union à sa juste valeur, peut-être aurait-elle simplement obéit…

__ Une semaine ! Déjà ? Et je n’ai rien fait, rien préparé, pas même envoyé les missives pour faire venir les vassaux. La plupart seront avec l’ost j’imagine. Bon… Il faudrait quelqu’un de confiance pour s’occuper de tout cela, moi je n’en ai pas la force pour l’instant. »

Ashara soupira, épuisée par le chagrin et la maternité, elle s’avachit dans son fauteuil sans trouver la force de congédier la rouquine. Mais cette dernière se remit à parler et bien qu’au départ, la brune pensa que, comme toujours, elle parlait pour ne rien dire, ce qu’elle lui reprochait depuis qu’elle était à son service et ce pourquoi elle n’avait jamais réussi à l’apprécier, il en fut autrement. Ses mots trouvèrent un sens dans son esprit en proie au doute et à la désolation, ses mots touchèrent des cordes sensibles qui n’avaient pas été réveillées depuis la mort de Lyonel, ses mots touchaient son ego d’Arryn et de Royce, son pouvoir de Suzeraine, sa volonté de femme. Peut-être que la jeune fille avait trouvé le point pour redonner courage et force à la Dame des Eyrié. En tout cas, lorsque Nyella eut terminé son laïus, elle sourit et l’éclair d’audace et de puissance froide était réapparut dans son regard. Elle émit un petit rire, comme un souffle moqueur.

__ Il aimait et il détestait à la fois, il aimait quand j’étais forte, mais pas quand je m’opposais à lui, il était comme nous tous, à vouloir tout et son contraire, une femme forte mais qui lui est soumise, une femme fragile, mais capable d’assumer son rang. Et il n’entendait rien à la politique, il pensait que mes sautes d’humeur était une question d’ego, peut-être l’était-ce parfois, mais je crois avoir agi ainsi plus souvent pour le Val et pour lui que pour moi-même. Cela il ne l’a jamais compris et n’aura jamais l’occasion de le voir. Quant à moi, je n’aurais jamais l’occasion de voir sa réaction lorsque j’aurais remis la question du nom de famille sur le tapis, quel dommage… »

Elle lança un regard de défi à Nyella, juste parce que c’était elle qui était en face, pas vraiment pour la défier elle, en réalité elle défiait son défunt époux. Elle se leva alors et alla à la fenêtre, laissant le silence reprendre possession des lieux quelques instants, observant du haut de sa tour les somptueuses montagnes qui étaient désormais siennes. Elle repensa aux Reines et aux Rois de la Montagne et du Val qui avaient régné sur ce pays qu’elle aimait presque autant que son fils pendant des siècles. Elle était veuve, certes, mais n’était-elle pas une Arryn, comme Sharra, la dernière Reine, régente lors de la conquête qui avait tenu bon face au Targaryen jusqu’à ce que Visenya menace son enfant. Sharra, Ashara, son prénom était inspiré de cette femme qui avait vaincu la flotte du Conquérant. Son sourire s’élargissait à mesure qu’elle pensait à tout cela, à la lignée à laquelle elle appartenait, à sa fierté. Puis une autre idée lui vint en tête. Lyonel était un homme bon, elle l’aimait de tout son cœur et il lui avait offert le plus beau des cadeaux, mais il n’entendait rien à la politique, il était peut-être un excellent général, il l’avait d’ailleurs prouvé en capturant Jaime et en reprenant Corval, mais il était trop fier, trop têtu, trop chevaleresque et probablement trop « mâle » pour gouverner. Or, avec la lettre de Jon et son fils, elle avait les pleins pouvoirs sur le Val, elle était Suzeraine, pas qu’elle en ait un jour rêvé, mais c’était le cas et cela impliquait qu’elle allait pouvoir déployer tout son talent à développer sa région chérie. Elle avait les mains libres, pour gouverner et pour vivre comme elle l’entendait, dans la limite, évidemment de son rang et du respect de ses vassaux et de son peuple. Pas d’époux à ménager ou à contenter, pas de grossesse supplémentaire qui pourrait lui couter la vie, maitresse en sa maison et personne avec qui négocier pour un nom de famille ou un plan d’attaque.

Merde ! Mais en fait, le veuvage c’est… parfait ! Elle se demandait pourquoi elle ne s’en était pas rendue compte avant, mais cela lui semblait tellement évident à présent, elle n’était pas une faible femme fragile et à la merci des complots, enfin si, toujours, mais elle était surtout libre, puissante et assez forte pour faire face. Sans homme pour lui dicter quoi faire, elle n’appartenait à personne, elle s’appartenait enfin à elle et rien qu’à elle, au Val aussi. Liberté, Liberté.

__ Mais tu as raison Nyella, je ne suis pas femme à me laisser écraser par le veuvage, si je dois être assez forte pour gouverner seule, je le serais, que cela plaise ou non, je serais forte pour le Val, car il mérite une Suzeraine digne de lui. Je l’ai toujours été en vérité, mais l’amour de Lyonel m’avait affaibli. Maintenant je suis plus forte que jamais car dans ma vie, j’aurais connu l’amour et il m’aura donné un fils et ce fils me succédera un jour, il doit trouver le Val d’Arryn acquis à sa cause, stable et puissant, invincible… »

La Belmore était-elle moins bête qu'elle n'en avait l'air ou bien était-ce de la chance ou simplement peut-être un peu d'empathie bienveillante. En tout cas, alors qu'Ysilla 'lavait trahie et qu'elle doutais même de ses plus proches amis, c'était elle, Nyella, la plus méprisée de tous qui avait eut le courage de venir al voir et de lui parler, et elle encore qui avait trouvé les mots pour lui faire entrevoir une vérité qu'elle se refusait d’apprécier à cause du chagrin.