An 299 • Quatrième Lune • Semaine 4 • Jour 4.
Hautjardin.

Victorieux. Le voilà victorieux. Enfin, il n'était plus regardé que comme le bâtard de Criston Desdaings, il n'était plus simplement un Rivers. Il était un chevalier. Il en avait rêvé, rêvé de tout son être. Et le voilà alors, le cœur gonflé de joie et de fierté. Isendre, en partant à la guerre, n'aurait pas pu imaginer meilleur scénario. Il se souvenait du sang de son épée, des coups de son adversaire, de son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine tandis qu'il fendait l'air de sa lame, rencontrait l'acier puis dansait à nouveau autour de son ennemi.
Et malgré sa fierté, il avait tout de même craint, la nuit suivant les affrontements, que le visage de Ser Amory Lorch ne vienne le hanter. Il se souvenait d'avoir observé un instant le simple pantin désarticulé qui avait été un officier de Tywin avant de mourir. Il l'avait imprimé dans sa mémoire. Son premier homme tué en combat singulier. Il n'oubliait pas les yeux porcins et vidés de toute trace de vie qui le fixaient pourtant. Il n'oubliait pas la carrure de celui dont il fut le dernier adversaire. Et pourtant, malgré ses craintes, pas de hantise, de peur, de regrets. Isendre était juste victorieux. Isendre était juste chevalier.

Il aurait pu rentrer à Beaumarché tout de suite après la guerre, aller enlacer son cher père, lire de la fierté dans ses yeux, l'entendre se vanter des exploits de son fils... Son fils. Oui, bien qu'il soit né bâtard, Isendre était son fils. Et si... Et si la fierté de Criston à l'égard de son fils ne se limitait pas à de simples félicitations ? Et si en allant l'enlacer, lui apprendre qu'on devrait aller l'appeler Ser Isendre Rivers, son père irait demander au Roi de le faire légitimer ? Ser Isendre Desdaings. Un frisson lui parcourait l'échine, à cette simple pensée. Son rêve profond, qui lui semblait irréalisable, le serait-il finalement ? Oui, bien sûr que oui.

Mais Beaumarché, son père, sa sœur, attendraient. Sans même savoir que jamais il ne reverrait son père -mort quelques semaines plus tôt-, il faisait route vers Hautjardin. Un jeune noble -ce qu'il serait bientôt- devait trouver une épouse. Et la sienne était déjà choisie. Fou amoureux d'elle, il se demandait chaque nuit quel goût avaient ses lèvres, à quel point elles pouvaient être douces. Oh, qu'il l'aimait, cette demoiselle qu'il avait plusieurs fois rencontré. Leyïa Tarly serait sienne.

Arrivé à Hautjardin après deux semaines de voyage, il mit son alezan à l'écurie et se pressa dans la plus grande cour du château, demandant à tous ceux qui croisaient sa route s'ils avaient une idée d'où pouvait bien se trouver Lady Tarly. A force d'insistance, on finit par lui indiquer les jardins, et il s'y rendit sa plus attendre.

Une bien étrange boule au ventre mais le cœur léger, il partit à la recherche de celle qu'il aimait sans doute plus que tout au monde, et pour qui il ferait tout, se répétant intérieurement « La belle Leyïa Tarly sera mienne... »

Elle était là, une fleur à la main. Plus belle que jamais aux yeux du bâtard Desdaings. Il avait traversé une grande partie des jardins à sa recherche, et elle était là. Que dire ? Il avait l'impression de ne pas l'avoir vue depuis des mois et des années, et son cœur se gonfla plus que jamais lorsqu'il se souvint de l'effet qu'elle lui faisait. Une sensation étrange de chaud et froid, de lourdeur et de légèreté, de bonheur et de peur. Elle sursauta, se retourna, le regarda et sourit. Fou amoureux d'elle, rendu presque idiot par cette si douce vision, il inclina doucement la tête et lui sourit franchement, sa timidité semblant s'être envolé.
Toujours fort, songea-t-il. Il serait bientôt un Desdaings. Bientôt.

-Lady Tarly... Je reviens de la guerre, je... Par quoi devait-il commencer ? Il hésita, son visage se figeant un instant, son sourire crispé. Le rouge manquait de lui monter aux joues. Je... J'ai tué un homme, un homme horrible. Ser Amory Lorch. Et... je suis chevalier maintenant. Lorsque je rentrerai chez moi, à Beaumarché, mon père me fera légitimer. J'en suis certain.

Disant cela, il s'avança doucement vers Leyïa, la regardant droit dans les yeux, imprimant ce visage qu'il trouvait parfait, ce corps qui devenait celui d'une femme, appréciant la blondeur de ses cheveux qui brillaient autant que le soleil, ses yeux noisette, ses longs cils qui battaient avant d'un air charmeur. Elle était différente, il le sentait, mais pourtant il restait persuadé qu'elle l'appréciait malgré son statut de bâtard. Peut-être même l'aimait-elle, qui sait ? Il l'espérait...

-Allez-vous bien ? Personne ne vous a fait de mal durant mon absence ? Nous ne nous sommes pas vus depuis si longtemps, j'ai l'impression que cela fait une éternité. Il rosit légèrement et sourit d'un air qui se voulait charmeur. Vous m'aviez manqué, Lady Leyïa. Je ne suis ici que pour vous.

Juste pour elle, prêt à tout pour la protéger, l'aimer, la chérir jusqu'à son dernier souffle. Oui, il l'aimerait plus que quiconque, lui apprendrait ce qu'est l'amour pur et véritable... De toute manière, une Tarly mariée à un Desdaings, c'était là un beau mariage, une belle alliance, n'est-ce pas ? Seulement, Isendre ignorait que son père n'était plus, il s'était absenté si longtemps...

Si Isendre fut d'abord rassuré par les paroles de la douce Leyïa, elle lui apprit qu'elle allait se marier. Le monde du bâtard manqua de s'effondrer, son sourire s'effaça même sans qu'il ne put le retenir. La magnifique bieffoise semblait heureuse, mais le fils du cygne restait persuadé qu'elle l'aimait. Oui, elle l'aimait... c'était un rêve pour lui, et il était presque sûr que lui, le Rivers, le bâtard, était la raison du sourire de la belle.
Tandis qu'elle prenait son bras, l'entraînant à sa suite dans les jardins, il regardait le sol, cherchant que lui dire. La féliciter ? Non, il ne pouvait pas...

-Lady Leyïa, commença-t-il brusquement, je... Je ne suis pas là par hasard. Disant cela, il se tourna vers elle, un sourire gêné prenant place sur ses lèvres, tandis qu'il prenait doucement les mains de la belle Tarly, s'arrêtant. Comme je vous l'ai dit, je serai Ser Isendre Desdaings, et donc second héritier de la maison Desdaings. J'aimerais donc, Lady Tarly... Il s'agenouilla, son regard planté dans celui de la douce demoiselle... faire de vous mon épouse. Je sais que cette demande peut paraître bien malvenue, très inattendue... Mais, si vous acceptez, je saurai faire de vous une épouse comblée, et heureuse.

Sa voix tremblait légèrement, ses yeux plantés dans les siens. Ses mains frémissaient, emprisonnant celles de la jeune lady avec douceur. Il déposa sur ces mains si douces et fines un léger baiser, ne quittant pas un seul instant ses yeux noisette du regard. Malgré la peur qui saisissait le bâtard, il souriait. Il savait que Leyïa l'appréciait énormément, même qu'elle l'aimait ; les signes ne le trompaient pas, elle lui souriait toujours et lui avait déjà dit apprécier sa compagnie. Il était certain de recevoir d'elle une réponse positive, et son demi-frère le jalouserait sans doute ; comment pourrait-il trouver plus belle épouse que lady Tarly ? Il avait plus que hâte d'être officiellement Ser Isendre Desdaings, marié aux yeux de tous à la parfaite et merveilleuse lady Leyïa Desdaings...
Toujours fort, se répétait-il incessamment pour se donner du courage.

Son regard était si doux, plein d'un amour qu'il avait rêvé de connaître. Isendre avait alors l'impression que tous deux ne faisaient qu'un, qu'enfin tous ses rêves deviendraient réalité. Lady Leyïa Desdaings, son épouse. Il rêvait déjà d'un mariage magnifique, plein de beauté, de douceur, de rêves et d'amour. Tout ce chemin qu'ils feraient ensemble, tout ce qu'ils vivraient, tout ce dont il rêvait, toutes ses douces rêveries seraient alors quelque chose de réel. Enfin, enfin !
Puis brusquement, l'amour dans le regard de la jolie blonde du Bief devint dégoût.

Elle retira ses mains, recula d'un pas. Isendre sentit tous ses rêves s'envoler lorsqu'il réalisa qu'elle désirait le nom de Tyrell.

-Je suis fiancée à Ser Luthor Tyrell. Vas-t-en quérir ton nom et ne reviens pas.

Sa voix se répercuta à travers sa tête comme un écho. Mais Isendre fit la sourde oreille. Il agita la tête, regardant toujours la petite lady qui se trouvait face à lui, seuls un espoir déjà perdu et un amour pourtant impossible lui embrouillant la vue. Mais lui ne voyait que ses rêves.

-Leyïa, je peux vous offrir tout ce dont vous rêvez. Je vous le jure.

Disant cela, il posa une main derrière la tête de la jeune fille, et l'embrassa doucement, contre son gré. Il voulait lui prouver son amour, il voulait l'aimer et se faire aimer également. Tout cela était possible. Il le savait.

Repoussé puis frappé par celle qu'il aimait désespérément, le fils du cygne sentit sa fierté nouvelle s'effondrer. Tout ce qu'il y avait de positif en lui à cet instant s'effritait sous la cruauté et le dédain du soleil de Corcolline. Mais, aveuglé par tout l'amour qu'il lui portait, tout l'amour qu'il pourrait lui donner si seulement elle lui laissait une chance, il s'avança encore près d'elle, malgré le coup qu'elle lui avait porté et qui marquait son visage d'une marque rosâtre. Il l'aimait, et elle aussi devait l'aimer ; il était un grand chevalier désormais, et bientôt il serait un cygne, un vrai cygne. Il était un homme, et elle devait l'aimer ; elle l'aimait, il en était sûr, mais elle ne s'en rendait sans doute pas encore compte. Il lui ferait comprendre.
Faisant fi de la haine et du dégoût mêlés qui animaient le regard de la belle, oubliant son geste violent et ses paroles piquantes, il posa une main sur sa joue avec toute la douceur du monde.

-Leyïa, ma tendre Leyïa... Vous me combleriez de bonheur, et je vous comblerais d'amour.

Mais elle ne cessait de lui hurler dessus, lui lançant immondice sur immondice, le blessant un peu plus à chaque mot. Et tandis qu'elle haussait le ton, Isendre craignit qu'elle n'alerte les gardes de Hautjardin. Sans plus réfléchir, il posa une main puissante sur la bouche de la lady, souhaitant juste la faire taire.

-Leyïa, je t'en prie, cesse de crier !

Il renforça sa poigne sur la jeune femme, ses mains l'empêchant de parler tout en l'empêchant -sans que le bâtard ne s'en rende compte- de respirer. Il ne remarqua pas son visage qui commençait à virer au rouge, trop concentré sur ses magnifiques yeux bleus qui le fixaient avec effroi. Aveuglé et rendu sourd par l'amour, il ne vit pas qu'il l'étouffait, il ne l'entendit pas suffoquer.
Aveugle, Isendre était aveugle.