An 299 • Cinquième lune • Semaine 2 • Jour 3.

Passer de colombe à lionne, n'était-ce pas beau ? C'est ce que se répétait inlassablement Silithia en quittant -enfin- ses appartements. A vrai dire, elle n'en revenait qu'à moitié ; enfin, elle obtenait ce qu'elle méritait. Elle se dirigea d'abord vers la chambre dans laquelle se trouvaient Alayne, Ryger et Shana. Elle ne toqua qu'une fois avant que la porte ne s'ouvre sur le visage tiré par une fatigue sans nom de cette dernière. La Lysienne eut un grand sourire, attirant à elle sa protégée dans une étreinte pleine de douceur, dont la blonde se dégagea au bout de quelques secondes, rentrant dans la pièce d'une démarche légère, un grand sourire aux lèvres. Shana avait beau représenter beaucoup pour elle, comme une mère, elle avait d'autres choses à faire que de se laisser cajoler. Elle voulait retrouver Harren, lui parler de ce qu'il se passerait bientôt.
Alayne avait les yeux encore rougis de ses dernières larmes. Venant se pencher doucement vers sa cousine, Silithia lui caressa doucement les cheveux, se voulant rassurante. Tandis que Shana refermait la porte, la blonde se redressait.

-Nous sommes libres, annonça-t-elle gaiement. Immédiatement, les larmes qui coulaient à nouveau sur les joues de la fille Clifton cessèrent. Elle étouffa un sanglot dans un mouchoir, relevant brusquement la tête vers la Farman. Mon père sera vite en route ! Il vient pour nous ramener, c'est lord Tyrion qui va le lui demander par missive.

Elle avait volontairement omis la demande en mariage de Tyrion ; mieux valait que la chose ne s'ébruite pas immédiatement, et la fille Clifton n'était pas la meilleure confidente qui soit, incapable de tenir sa langue et bien trop avide de secrets et rumeurs en tous genres. Après un petit cri de joie d'Alayne qui se jeta dans les bras de la blonde et un immense sourire et un regard plein de joie qu'échangèrent Ryger et Shana, Silithia leur annonça qu'ils devraient cependant rester au maximum dans leurs appartements, au cas-où, et qu'elle les préviendrait lorsqu'elle aurait des nouvelles de Sebaston. Elle les laissa ensuite, quittant la chambre. Devant celle-ci l'attendaient ses deux manteaux rouges. Elle leur fit simplement signe, et se remit en route.
Elle devait maintenant retrouver Harren.

Ses yeux de glace s'habituaient peu à peu à la lumière extérieure, comme si elle ne l'avait pas vue depuis longtemps. A vrai dire, le dégoût que lui procuraient les regards de tous l'avaient poussée à l'enfermement. Elle passait donc une grande partie de ses journées enfermée, regardant les enfants jouer et rire, les dames raconter et colporter toutes sortes de rumeurs dans les jardins... Ce monde lui avait semblé si lointain !
Brusquement, alors qu'elle sortait du Donjon Rouge, passant à côté d'une cour servant apparemment à l'entraînement à certains guerriers, ses deux gardes lui passèrent devant et lui bloquèrent le passage, se montrant soudainement menaçants face à un homme qui ne leur avait pourtant rien demandé. En un instant, la lady comprit qu'il avait porté sa main au pommeau de son épée, ce qui avait dû fortement déplaire à ses protecteurs. Elle l'étudia plus en détail, d'un regard inquisiteur. Ses lèvres se fendirent d'un vague sourire.

-Ser Bronn, dit-elle en portant son regard sur la main qu'il avait glissé dans son dos, n'est-il pas malvenu de se trouver armé devant une lady ? L'un des manteaux rouges jeta un regard à Silithia, qui inclina légèrement la tête : Ser Bronn faisait partie de l'escorte de lord Tyrion, je doute qu'il soit malintentionné à mon égard.

Les deux hommes se consultèrent du regard un instant, puis lâchèrent le pommeau de leurs armes sous l’œil satisfait de la blonde, bien qu'ils gardèrent toutefois leur main à la portée de leurs épées, ce qui n'échappa à la demoiselle. Elle sourit pourtant tout en observant le moindre mouvement de Bronn. Elle ne le connaissait pas, et préférait rester à portée de ses deux gardes.

-Vous avez fait le bon choix, et vous pourrez remercier cette jolie demoiselle de vous avoir sauvé la vie aujourd'hui.

Un sourire amusé fleurit sur les lèvres de la blonde. Elle inclina doucement la tête, accueillant ce qu'elle considéra comme un compliment et les remerciements du mercenaire. Son franc-parler lui faisait un peu penser à Tyrion ; peut-être tous deux s'entendraient-ils bien, ce qui serait sans doute une bonne chose puisque Bronn devrait s'assurer de la survie de son futur époux. La blonde coula un regard vers les deux manteaux rouges, qui s'agitaient au moindre affront. C'était compréhensible, puisque le protecteur du nouveau suzerain de l'Ouest les cherchait ouvertement.
Les paroles de Bronn firent s'élargir le sourire de la demoiselle, puisqu'il la qualifia -visiblement ironiquement- de douce et inoffensive créature. Ses lèvres entrouvertes laissaient alors découvrir des dents blanches, semblables aux crocs d'un lion par leur dangerosité.

-Je crains que vous n'ayez raison, ser Bronn ; les lady et les femmes en général ne sont pas plus dangereuses que le plus doux des agnelets, or je suis née lady et femme. Que puis-je faire dans un monde d'homme, si ce n'est sourire et rester digne ? Je n'ai pas à me protéger moi-même, d'autres le font pour moi.

Elle accompagna volontiers le mercenaire dans sa marche, le suivant à une certaine distance pour ne pas risquer quoi que ce soit avec ses gardes. Ses yeux parcouraient les lieux, les redécouvrant presque, retrouvant la douceur de la lumière. Jamais le soleil ne lui avait paru si lumineux, si chaud. Elle sourit une fois de plus aux paroles de Bronn.

-J'observe ceux qui m'entourent, les visages s'ancrent dans ma mémoire, les actes et paroles y restent gravés... Ainsi donc, je sais qui croire et en qui avoir confiance. Je souhaite m'assurer que Lord Tyrion soit protégé comme il se doit. Il m'a plus qu'aidée, et je lui suis éternellement redevable. Il est un homme bon.

Posant à son tour ses mains sur le rebord d'un balcon surplombant un petit terrain d'entraînement, elle les observa silencieusement, la question de Bronn la faisant plonger dans ses pensées, lui rappelant sa peur lorsqu'elle avait appris pour la guerre, pour les trahisons. Et pourtant, son visage resta inexpressif, aucun de ses traits, ni même ses yeux, ne la trahissant. Ce qu'elle pensait d'eux ? Alessander les battrait sans aucun soucis. Il était meilleur qu'eux, meilleur qu'eux tous réunis, meilleur que le mercenaire sans aucun doute. Son cœur se serra légèrement tandis qu'elle repensait à lui. Son étreinte, sa douceur... ses aveux.

-Quels grands guerriers, remarqua-t-elle ironiquement avant de prendre un ton plus sérieux. Ce que cela m'inspire... Mort. Horreur. Désolation. Peur. Perte. Défaite. Sang. Pleurs. Abandon. Veuves. Orphelins. Victoire. Elle releva ses yeux de glace vers Bronn. Voilà ce que m'inspirent les combats. Si j'aime beaucoup les tournois, la guerre ne m'inspire guère. Elle ne m'envoie que de bien sombres images et pensées ; et vous, que cela vous inspire-t-il ?

Ses prunelles bleues passèrent un instant sur ses gardes, immobiles derrière elle, le regard rivé vers Bronn et toujours sur la défensive. Les yeux de Silithia revinrent alors vers le mercenaire, soutenant sans peine son regard.