Varys n'avait non pas su pour les enfants, mais su pour la relation entre Cersei Lannister devenue Baratheon avec son frère. Il l'avait appris très tôt, et au vu du visage, des yeux et des cheveux de chaque petit rejeton, il avait rapidement compris qu'ils n'étaient pas le fruit de la semence de Robert. Mais comme à sa coutume, l'Eunuque n'avait pas disposé d'un esprit sur-puissant. Il avait été particulièrement simple et pragmatique, ce que peu étaient actuellement, se satisfaisant lâchement d'une facilité de vie débordante de désintérêt. De fait, comprendre l'inceste puis l'illégitimité des enfants de Cersei ne dépendait pas d'une capacité extraordinaire. C'était même l'un des secrets dont Varys s'étonnait le plus à posséder, et par dessus tout, à être le seul à le posséder. Des années durant, tout s'était joué sous les yeux de tout le monde et personne n'avait jamais rien vu. Tywin Lannister le premier.

Pourtant, c'était à croire que tous cherchaient à être dupés. Des dupes volontaires, désirant par dessus tout être les Orgon de quelques Tartuffes de cette basse société. Au final, l'Araignée était arrivé à penser que si personne ne pensait, c'était bien que personne ne cherchait à le faire, et que cette duperie les touchait car ils en avait fait la demande. La chose était évidente, mais ils restaient tous aveugles face à la lumière des preuves qui s'accumulaient petit à petit.

Ainsi, il avait toujours pensé être l'un des seuls. Jusqu'à un soir d'après festin où Jon Arryn, que la vieillesse avait poussé à boire un peu plus que d'habitude cette soirée-ci, avait décidé de se parler à lui-même. Il n'était pas saoûl, c'eût été là un surprise à laquelle personne n'était habitué. Mais l'absence de Conseillers, de valets, de gardes aidant, il avait débité quelques phrases pour passer le temps, laissant entendre à l'un des petits oiseaux de Varys cette information cruciale: il savait également. Ce soir là, Varys avait pris conscience d'être entré dans un jeu qui ne dépendait plus de lui, chose qui pouvait autant être excitante que dangereuse - si différence il pouvait y avoir entre les deux. Ce faisant, malgré le fait que le petit oiseau trop aux faits de l'alors Main du Roi avait été soigneusement écarté de la vie par le Maître des Chuchoteurs, ce dernier n'avait cessé de penser que cela n'était que le début d'une série de longues découvertes. Uns à uns, les autres allaient savoir. Et Cersei aurait à jouer sur plusieurs fronts, cette fois-ci. Si tant est qu'elle l'eût désirée.
Il était évident, toutefois, qu'Arryn n'avait pas été tué pour cela. Comme le premier des hasards, le ce pourquoi il était si dangereux dans cette Cour n'avait pas attiré la Mort. Sa femme s'en était chargée à la place de Cersei, laissant cependant libre court à différentes rumeurs.

Puis un beau soir, une autre personne était venue le voir.
Et cette autre personne n'avait été nulle autre qu'Ashara Arryn, qui avait tardé à demander l'aide de l'Araignée. Car ce dernier, lorsque le Conseil Restreint d'avant l'arrivée des Valois avait eu lieu, comprit rapidement que l'héritière de Jon Arryn n'avait pas été seulement dépositaire des terres de la feu Main, mais de bien plus. Sans preuve - peut-être simplement des murmures? - il était parvenu à comprendre que cette dernière savait pour Cersei et Jaime et qu'il lui serait sans aucun doutes d'une grande aide.
Dans ce jeu, Varys avait préféré le pion de l'indifférence. Ou plutôt, de l'ignorance. Il avait le pouvoir de prouver cet inceste, elle avait la possibilité de le prouver, mais il n'avait rien dit. Il n'avait, de plus, pas cherché à la mettre en danger tout en jouant avec ce document qui avait fini par incriminer Pycelle. Mais rien n'était clair. Une fois de plus, Varys avait joué avec les illusions, ne laissant en rien deviner ses véritables motivations. Mais ses plans étaient clairement montés, enrichis par les petits secrets qu'il avait de tout le monde, enrichis par tout ce qu'il savait grâce à cette ingrate fonction de Maître des Chuchoteurs.
Toutefois, non sans grand étonnement, cette dernière n'avait pas joué la carte de la franchise. Elle avait besoin de Varys pour la mener à Robert, sans quoi elle se trouverait dans une position plus que désagréable. Et pour continuer dans ce même jeu, lui avait décidé de jouer la même carte, celle de la feinte, et d'accepter une aide qu'il savait cependant plus que dangereuse.

« Pardonnez mon intrusion soudaine, noble Dame, mais je crains que vos gardes fissent trop peur à une Araignée trop craintive pour prendre des risques inconsidérés. »

Dans une position de quasi chien battu, Varys était entré dans les appartements privés d'Ashara Arryn sans que rien ni quoi que ce soit fût entendu ou vu.
Emmitouflée dans une robe de soie noire aux broderies violettes, fermée comme de coutume sur l'avant par une ceinture de pierreries, chaussé de bottines pointues, l'eunuque arborait une mine mielleuse d'homme qui est content de retrouver une véritable amie mais qui s'inquiète beaucoup des répercussions et des conséquences des instants qui suivront ensuite.

Ashara Arryn avait eu tout pour rejeter l'Eunuque, lui qui avait joué avec le feu lors de son arrivée à Port-Réal et de la confrontation dans la Salle du Trône. Néanmoins, et c'était sûrement ce qu'il y avait de plus surprenant dans l'attitude de ceux qui se méfiaient le plus de lui, la Dame du Val avait été obligée de demander l'aide de Varys. Comme si soudainement, ce qui s'était passé avant n'avait été existé, ou plutôt comme si tout n'avait été qu'un simple jeu d'adolescents qui jouent désormais de leur avenir, voire de leur vie.

« J'ai été mis au courant de votre grossesse. Quelle merveilleuse nouvelle ! Et dire que cette belliqueuse et insensée Lysa pensait vous mettre poids au cou en vous mariant à Lord Lyonnel ! Quelle calembredaine, vraiment... Varys eut un petit rire flûté, enrichi d'une moue féminine de plaisir et de satisfaction personnelle qui faisait jouer ses flasques, grasses et poudrées joues. A Essos, on raconte qu'il existait autrefois une tribu entièrement commandée par des femmes et leurs héritières. De manière à ne privilégier aucun pouvoir masculin, elles passaient leurs nuits avec tous les hommes de la tribu en âge d'avoir des enfants de manière à s'assurer que jamais ne se sût l'identité exacte du père. C'est fabuleusement enrichissant ! »

L'eunuque s'approcha à pas rapides et finement préparés vers sa proie du soir.
Il lui prit les mains, et prit une voix quasi caverneuse ajoutant de la fantaisie à l'excentrique personnage qu'il était.

« Mais ne divaguons pas plus longtemps dans de folichonnes histoires d'Essos. Il murmura encore plus. Dans quelle aventure nous menez-vous ce soir, mon amie? »

Avide de pouvoir? D'une certaine façon, oui, il l'était. Mais cela allait sans-doute bien plus loin que l'avidité de Littlefinger, la pure et dure, celle qui veut qu'on s'enrichisse le plus possible d'une forme de puissance et d'une capacité décisionnelle plus forte que les autres. Pour l'Eunuque, c'était à la fois plus simple et plus complexe. Avant toute chose, il désirait le pouvoir sur lui-même, lui qui n'avait été que le sujet des aléas du destin. Orphelin, esclave, mutilé, mendiant, tout le commencement de sa vie n'avait été que l'adage si difficile à accepter: on est un pion dans les mains d'un salaud de metteur en scène qui fait de nous ce qui lui chante. Aussi, le quotidien de cet étranger se résumait à cette mission principale: se contrôler lui-même. Il refusait qu'une maison décidât pour lui, qu'un Roi fît les choix qui lui revenaient à sa place. De fait, il mettait ses talents en oeuvre pour garder une notion que beaucoup avaient perdus, riches ou pauvres, petits ou puissants: la liberté. Mais sa vision de la liberté, son exercice journalier n'était pas le même que celui des autres. Car ces autres n'avaient jamais vécu ce que lui avait vu, jamais rencontré ceux qui avaient un jour croisé son chemin. La plupart, même s'ils avaient véritablement conscience de la fébrilité de la vie n'avaient jamais été face à un moment décisif où le moindre faux pas assure la mort dans les quelques secondes.
Au final, l'Araignée tentait de protéger sa toile et sa peau, chose banale mais si compliquée dans de tels moments.

Varys, au contraire de personnes comme Ashara Arryn - et ce combien même celle-ci se trouvait actuellement dans une position complexe voire dangereuse - n'avait pas eu l'enfance que eux, ils avaient eu. Il venait de plus loin, ce qui la plupart du temps suscitait les critiques acerbes voire racistes de certains. Les Seigneurs n'appréciaient pas Varys, mais ils avaient de toute évidence besoin de lui. Au contraire, il n'avait besoin de personne. Du moins, dans l'absolu. Il était certain que ses espions lui étaient d'une assurance absolue, qu'il avait besoin de leur présence pour asseoir son pouvoir sur Port-Réal, mais ils n'étaient là que par choix. Il aurait tout aussi bien pu se contenter d'une vie calme, à Lys ou Braavos, entouré de quelques domestiques, dans une villa fraîche et reposante, loin de tous les remouds de la politique de Westeros. Ce choix de vie était le sien, il l'assumait.

Mais être le premier de sa famille, devoir aller à la chasse, devoir faire des joutes, des combats, des rencontres, faire Justice et paix dans sa Seigneurie, ceci n'appartenait en aucun cas au libre arbitre de ceux-ci. Certes la plupart s'y plaisait, mais tous avaient été conditionnés à aimer ce qu'ils feraient. Leur enfance n'avait été qu'un bourrage intensif de crâne dans l'optique de faire d'eux de grands Seigneurs ou de grandes Dames, qui auraient à répondre d'obligations imposées plus que de choix de vie.
Au final, tout au fil de sa vie, Varys avait été plus libre que ceux-ci, et ce, sans être ni de naissance noble ni du continent dans lequel il vivait. Etranger, eunuque, il avait tout pour, en fin de compte, être la personne la plus libre.

Toutefois, ce soir, les deux étaient enchaînés à une certitude: ils jouaient plus que leur vie dans une histoire qui les dépassait. Ashara plus que Varys, lui qui avait pris l'habitude de toujours assurer ses arrières lors de moments carrefours et fondateurs du futur, que rien ni personne ne pourraient modifier une fois actés.
Varys avait comprit pour quelle raison Arryn souhaitait voir Robert. Ce n'était, toute compte fait, pas véritablement difficile de le comprendre pour ceux qui en savaient autant qu'elle. Mais il jouait une fois de plus la carte de l'incertitude et de l'innocence, de façon peut-être à assurer une part de sa couverture. Cependant, il ne pouvait totalement se permettre de laisser les choses se faire sans explications.

« Je subodore que vous comprendrez aisément que ce que vous me demandez peut se réaliser grâce à ma place au Conseil Restreint, mais que par fidélité pour lui je me dois de m'assurer de vos bonnes intentions vis-à-vis du Roi et de la Couronne. Sourire mielleux. Encore des mots à double sens. Qu'était-ce le bien de la Couronne? Que Cersei soit en sécurité ou qu'on découvre son inceste et sa supercherie? Ashara avait toutes les clés en main. Etait-elle consciente cependant que l'Araignée jouait sur la langue comme il jouait sur un fil d'équilibriste. Les deux pouvaient tomber à n'importe quel moment, et tout était à manier avec une extrême prudence. Sans cette assurance, je ne pourrai, pour ma part, pas faire don de mes savoirs quant au dédale des couloirs secrets de ce Donjon. »

La voix de Varys avait toujours eu quelque chose de mystérieux. Une sorte de douceur stridente. Ses mots semblaient prononcés dans leurs plus infimes syllabes, comme s'il appuyait sur toutes les lettres pour en faire ressortir ce qu'elles cachaient au fond d'elles. D'une manière sereine et lisse, il glissait sur les mots comme on marche dans un couloir au sol de marbre. Il maniait la parole comme Martell maniait la lance, faisant peut-être de lui le plus dangereux parleur de Port-Réal et des environs. Tel l'araignée qui construit sa toile de soie avec une immense précaution mais un savoir-faire inégalé, sa bouche laissait sortir des sonorités fluides, calmes et mielleuses sans pour autant laisser penser qu'elles n'étaient pas dangereuses.

Ce que vivaient les deux était d'une importance capitale, notamment pour leur propre vie. Aussi fallait-il prendre plus de précautions que de raison, et souvent celles-ci semblaient invisibles mais étaient bel et bien présentes.

Varys avait compris qu'il se trouvait dans un moment "carrefour", un entre-deux temps décisif sur les événements. Un moment qui peut sembler si banal mais ne l'est pas, où plus que jamais il faut avoir aiguisé ses armes, son esprit et ses défenses. Dans cette préparation, le temps jouait à la fois le rôle de conseiller et de danger. Et comme tout le reste, il était un entre-deux dont il fallait autant se méfier que se servir. Les choses étaient déséquilibrées à un tel point que se baser sur ce qu'on savait était à la fois conseillé et déconseillé. Se faire confiance était le principal secret, la source assurée d'un succès, mais il ne fallait plus avoir confiance en ces choses que l'on croit acquises et immuables et qui, du tout au tout, peuvent devenir quelque chose qu'on ne s'attendait jamais à connaître.
Ce qu'on avait un jour eu de son côté pouvait devenir le plus grand danger, tout aussi bien que ce qui nous avait toujours rejeté et provoqué de la méfiance pouvait s'avérer être le soutien principal dans des moments difficiles. Aussi fallait-il s'attendre à des changements, des chamboulements dans ce qu'on savait des choses et ce qu'on en ignorait.

L'eunuque n'avait pas été lâche ou ingrat. Il avait averti, ce jour là, au Conseil Restreint, que la venue d'Ashara et de sa suite n'annonçait rien de bon pour la Couronne. Une fois de plus, les mots à double-sens de Varys avaient cette fois-ci prouvé que Cersei et les Lannister étaient en danger. Et Tywin avait été présent ce jour-là, au même titre que son fils aîné. Pourtant aucun des deux ne semblait avoir relevé le conseil du Maître des Chuchoteurs. Ainsi ne pourrait-on pas un jour lui reprocher d'avoir manqué de prévenance avec eux. Il leur avait donné des cartes en main, mais suffisamment décimées pour qu'Arryn réussisse aussi. Il n'avait, au final, laissé aucune chance de plus à l'un ou à l'autre. Il avait autant déstabiliser les Lannister qu'Ashara. Pour elle, le document, pour eux Pycelle. Pour elle, l'aide dans les passages secrets, pour eux l'avertissement au cours du Conseil Restreint.

« J'escompte également que vous avez conscience qu'une fois dans les appartements de sa Majesté, je ne pourrai pas plus répondre de votre sécurité que n'importe quel badaud des rues de la Capitale. Vous serez livrée à vous-même. Et à ce que vous avez à faire connaître au Roi. Avez-vous déjà pris des dispositions quant à la suite des événements? J'espère que oui, car les choses iront si vite qu'il ne sera plus temps de supputer à des plans. »

Ce qu'elle ignorait encore, c'est que lui aussi avait déjà pris des dispositions. Que faire du Val si elle perdait la vie? Que faire de Lyonel? Que lui révéler, que lui cacher? Et si elle réussissait, et qu'elle vivait, que faire d'elle? La protéger? L'aider? La dénoncer? Ne rien faire?
Autant de questions qui avaient déjà trouvé réponses en fonction des situations. Evidemment, dénoncer Ashara semblait vertigineux d'absurdité si Cersei tombait, mais si cette dernière réussissait à retourner le sort contre la prétendante du Val, alors tous les paramètres seraient revus.
Il n'avait jamais, après tout, prétendu être du côté de quiconque. Il aidait juste quelques uns, avançant un à un ses pions dans une patience telle et réfléchie. Peut-être avait-il prévu ce soir depuis des semaines voire des années? Ou tout au contraire, les choses étaient allées très vite mais lui servaient bien. Aucune réponse, aucune certitude.

Sauf une, peut-être. Celle qu'il avait toujours comme objectif final de "servir la Couronne".
A bon entendeur.

Ashara avait ouvertement un tempérament colérique. Elle avait foncé tête première dans un avis qui était le sien et n'en démordait pas. Varys avait certes entretenu l'incertitude sur ses mots, mais il semblait qu'elle était certaine qu'il parlait de la mort du Roi. Et la voilà qui était partie dans une argumentation qui voulait prouver qu'elle n'avait aucune intention de tuer le Roi. Par Dieux, évidemment qu'elle n'en avait pas l'intention ! Nombreux furent ceux qui auraient pu le faire, bien des fois, Varys lui-même des fois. Ce que disait Ashara était à la fois cohérent et logique mais manquait cruellement d'expérience dans ce Donjon Rouge habitué aux complots, rumeurs et assassinats derrière les rideaux.

Il se doutait très bien qu'elle ne viendrait pas tuer Robert, et d'ailleurs, il était presque étonné qu'elle ne se rendît guère compte de sa manœuvre. Leur rencontre était forcément espionnée, ou presque. Jamais ils ne pourraient parler ouvertement trop longtemps. Et Ashara ne semblait pas avoir compris les mille et uns risques de ce Donjon-Rouge. L'Eunuque continuait à sourire calmement, mais son esprit s'echauffait. Il fallait à tous prix trouver le moyen de lui faire comprendre les risques d'une telle entreprise, mais également les risques qu'ils courraient à ce moment même où probablement plusieurs espions observaient leur conversation.

Tuer Robert? Oui, pourquoi pas.
Comme tuer Tywin, ou Eddard Stark. Varys était un homme sans scrupules, qui éliminait peu à peu les pions gênants pour arriver au bout de ce qu'il désirait. Il n'était fidèle qu'à un seul, et jamais personne ne lui ferait changer de chemin. Sa mission était claire et tout autour de lui était fait en sorte de faciliter et d'encourager cette mission. Son but était clair et quiconque ne représentant plus rien d'intéressant vivant se trouverait sur son chemin connaîtrait rapidement la mort. Mais Robert était encore utile, notamment parce que son laxisme étatique permettait aux esprits de s'échauffer peu à peu. Bientôt, quand il serait mort, car si le meurtre ne le tuait pas l'alcool finirait par le dévorer de l'intérieur, tous auraient la volonté de prendre le pouvoir. Aucune légitimité chez ces Baratheon. Ils avaient ruiné le Royaume, divisé les maisons entre elles, créé une forme de chaos des moeurs et des coutumes que personne n'arrivait à suivre. Il y aurait les héritiers, ceux qui voudraient rétablir des coutumes plus classiques et conservatrices, ceux qui en profiteraient pour proposer des réformes. Les indépendantistes, les mini-Rois. Somme toute, aussi étonnant que cela pût paraître, Robert assurait à la fois l'unité de son royaume et sa division de l'ombre. Car personne ne dirait rien, personne n'oserait s'opposer à Robert le temps de son vivant. Cependant, personne ne se priverait de penser. Puis d'agir, une fois sa mort arrivée.

« Je suis un humble serviteur de la Couronne et de sa Majesté. Penser la mort de notre Roi est chose horrible, ma Dame. Imaginez le chaos qui y régnerait. J'en frisonne d'avance. »

Il y avait des questions qu'on lui posait qui nécessitaient pas mal d'étonnements. Le genre de questions que plus personne ne posait à Varys tant on s'était habitué à ses réponses. Pourquoi Ashara venait-elle à lui demander quelque chose du genre? C'était comme tendre la main à Varys pour ses mielleries et illusions politiques. Comme si elle recherchait à être dupée.
Encore et toujours ces histoires de dupes volontaires, qui cherchaient à avoir des Varys auprès d'eux et s'étonnaient ensuite qu'on leur serve sur des plateaux de plâtre des mensonges aussi gros que leur étonnement.
L'Araignée fit un sourire doux à celle qui héritait du Val. Sans-doute ne s'attendait-elle pas à connaître tout cela. Il était véritablement inimaginable de se figurer le Donjon Rouge tant qu'on y avait pas mis les pieds. En quelques heures seulement Ashara Arryn avait du comprendre pour quelle raison beaucoup avaient fuit cette endroit. Compris pourquoi il était impossible de s'y rendre en voulant rétablir la vérité, les bonnes moeurs. Du moins, pour l'instant. Le tronc était en train de pourrir et bientôt il faudrait consentir à le couper pour qu'un nouvel arbre, certes plus faible mais plus sain, naisse.

Il fit le choix de pas répondre à la longue tirade d'Ashara quant aux possibilités qu'elle aurait à tuer le Roi. Elle n'avait visiblement pas compris ce que Varys cherchait à faire, mais cela importait que peu tant sa réaction permettait aux deux d'avoir une couverture le temps de cette discussion.

Eviter la colère du Roi? Cela dépendrait des raisons de cette colère, bien qu'il se doutait aisément de quels événements Ashara entretiendrait celui qui était à la tête des Sept Couronnes. C'était quasi impossible à prévoir. Il n'y avait pas de secrets. Et cette colère risquerait sans nuls doutes de faire venir ce bon et loyal Jaime Lannister, chose encore moins désirée puisqu'il serait lui-même l'objet de cette colère. Le tout tournerait sans-doute au duel à mort, et rien n'assurait à l'heure actuelle que Robert remporterait ce duel. Ce qui n'assurait aucunement la survie d'Ashara.
Mais une chose qu'ignorait Ashara était la principale de toutes: la disposition des appartements royaux qui voulaient que plusieurs pièces se succédaient une à une. Et Jaime se trouvait devant l'entrée de ces dits appartements, non à l'intérieur de chaque pièce. Il suffisait donc que les deux se voient dans une pièce reculée de la première d'entre-elles et la distance avec l'entrée des appartements camouflerait les hurlements d'un Roi en colère.

« Il est vrai que notre bon Roi est prédisposé à la consommation de vin. Permettez-moi cependant de vous informez qu'il n'est pas un "mauvais bougre" et qu'il écoutera ce que vous avez à lui dire si vous en lui faites la demande. Le calme des mots de Varys avait peut-être un petit quelque chose de rassurant en des moments si décisifs. Ou peut-être étaient-ils la preuve qu'hélas, il contrôlait déjà une situation qui, à première vue, ne le concernait pas directement. Robert a une haine valétudinaire pour le protocole. Et vous êtes la nièce de feu Lord Jon, aussi ne verra-t-il pas en vous une quelconque menace. Bien au contraire, je laisse supposer qu'il ne sera pas déplu de vous voir, en dehors des cérémonials qu'impose parfois sa lourde mais si considérable mission. Ne doutez cependant pas que quelques mouchards se trouveront à quelques mètres de vous. Ne perdez pas trop de temps ou votre conversation sera rapidement coupée par l'intrusion de valets, de courtisans ou tout autre personne dépêchées pour bloquer vos intentions. »

En somme, Varys n'avait pas véritablement de solution contre la colère de Robert. Du moins, pas plus qu'il n'en avait déjà trouvé. Il la ferait entrer dans le cabinet de travail privé de Robert, qui bien que saoûlard et guerrier n'en restait pas moins un Roi qui gérait quelques affaires. Un cabinet souvent loin de regards, dans lequel il entrait à certaines heures précises. La salon d’apparat, le cabinet public et sa chambre à coucher marquaient la distance entre l'entrée de ses appartements et ce cabinet privé.

« Vous disposez d'une avance considérable au vu de vos liens avec la feu Main. Si vous restez claire avec lui, vous arriverez à prévenir une colère qui risque fort d'arriver et contre laquelle l'humble eunuque que je suis ne pourra guère quelque chose. Vous ne devrez en aucun raison quitter la pièce dans laquelle vous serez introduite. Faites bon comme il vous semblera quant à Robert, mais ne lui parlez que dans cette pièce. Elle canalisera les retentissements de la voix du Roi et vous laissera une marge spatiale et temporelle pour fuir si jamais la situation vous semble trop dangereuse. Quant à sa demande de ce que lui, Varys, ferait à sa place, il n'avait que peu à répondre. Il ria de manière doucereuse et discrète, fit un haussement d'épaules. Nous sommes, mon Amie, pas dans la même situation. Autant votre place est plus dangereuse autant elle vous favorise un contact plus confiant avec le Roi. Je crains que sa Majesté n'accorderait guère de crédit à mes gazouillis, du moins, pas autant qu'aux vôtres. »

Il observa le lit, fit un sourire à Ashara puis se posa à genoux devant ce dernier. Il sembla fouiller en dessous comme un grand connaisseur sait le faire, le regard particulièrement vide mais concentré. Il en sortit une série de couvertures et de draps qu'il prit à pleine main. Se relevant avec une aisance remarquable au vu de son embonpoint, il fourra le tout sous les couvertures du lit d'Ashara. En quelques secondes une forme corporelle se dessina sous les couvertures, laissant à penser qu'une personne y dormait. Il souffla sur les quelques bougies qui éclairaient la pièce, plongeant la chambre dans la lumière de la nuit et des torches du Guet.
Derrière un des miroirs accrochés au mur de la chambre, il appuya sur une pierre qui ne semblait guère différente d'une autre. Dans le coin gauche de la chambre, au fond, le sol s'ouvrit et laissa la possibilité de descendre. Mains jointes sur le devant de son ventre gras, cachées par ces immenses manches soyeuses, Varys s'y enfonça quelques secondes avant d'en ressortir avec une torche.
Puis il fit un sourire et une mine particulièrement graves, fronçant ses sourcils. Sa face grasse, poudrée et mielleuse ne semblait cependant ni inquiète ni préoccupée.
Ils avaient à faire. Alors valait-il mieux ne pas perdre de temps.

« Ma Dame, vous n'avez plus qu'à me suivre. Veuillez, je vous prie, prévenir vos gardes que vous allez dormir. Nous n'aurons alors plus qu'à avancer dans les tortueux couloirs de l'aventure, sans perdre de vue le risque que vous nous aurons de nous perdre. »

C'était donc lancé.

« Ibant obscuri sola sub nocte per umbram
Ils marchaient, obscurs, dans la nuit solitaire. » Virgile

Le Donjon-Rouge avait jadis était construit et conçu sur le modèle d'une forteresse, un endroit fortifié défendable par des forces armées. Aussi, les passages secrets étaient fort rares, et le peu disponibles servaient surtout à quitter les lieux en cas de graves problèmes. Ces endroits avaient donc été aménagés au fil des siècles lorsque les Rois successifs avaient cherché à rendre les lieux plus confortables. A la même époque que l'aménagement d'appartements chauffés, plus douillés et plus luxueux, on avait pris également le temps de dessiner un dédale de couloirs secrets, tous aussi concasses les uns que les autres.
Aussi, contrairement à d'autres partie de ce château, les passages secrets étaient à l'origine de constructions successives. Ainsi, ils avaient l'objet de dessins et de plans d'architecte avec d'être creusé dans les mur et la roche. De fait, le plus dur ne consistait non pas à se les procurer, mais à s'arranger pour être le seul à les avoir. Facilement accessibles, ces plans avaient été l'objet de nombreuses convoitises. Varys faisait partie de ceux qui avaient passé le plus clair temps de leur existence à retrouver ces plans et à les détruire.

Actuellement, Ashara et l'Eunuque se trouvaient dans l'un des passages secrets dit des "amants", construit pour que le Roi puisse recevoir certaines maîtresses ou filles de joie, ou afin qu'il pût s'éclipser pour en rejoindre.
Robert, sensiblement gauche et brute dans sa manière de montrer ouvertement ses divagations corporelles et sexuelles n'avait jamais emprunté ces passages. Pas plus que son prédécesseur. En vérité, Varys l'avait découvert en se promenant, un jour, certain de s'être perdu. Et cela n'avait été que grâce aux divagations du Roi fou qu'il s'était rendu compte de l'endroit auquel ils menaient. Moins humide que les autres - on ne faisait pas passer ses maîtresses par n'importe quels endroits - et plus large, il n'était pas le pire des passages secrets à traverser. Il fallait cependant savoir s'y retrouver, car comme le disait la légende, seul le véritable amour permet aux êtres de ne point se perdre et de trouver sortie au labyrinthe. Varys, lui, restait persuadé que l'amour dans cette histoire n'était que bêtise, le sexe pur restait la véritable motivation du Roi qui avait créé puis utilisé ce passage, et avait la certitude qu'on pouvait s'y retrouver à condition de toujours suivre le bon chemin.

« Observez, en bas à votre gauche. Vous voyez le conduit par lequel l'eau coule? C'est l'évacuation. Suivez ce conduit et vous vous retrouverez devant la mer. Varys parlait d'une voix un tantinet moins mielleuse. Toujours très calme, l'Araignée semblait avoir gagné en froideur. Tout à côté, vous avez de fins carreaux de porcelaine noir. Il approcha la torche près du conduit par lequel un filet d'eau coulait. Juste à côté, en effet, séparés par deux centimètres les uns des autres, des carreaux noirs bordaient le conduit. Ces derniers nous guident. Ils vous mèneront jusqu'à votre chambre, où je vous attendrai. Vos appartements furent jadis ceux de Dame Alicent Hightower, seconde épouse du Roi Viserys Ier, surnommé parmi ces pairs "le Jeune Roi". Nombreux sont ceux qui se disent certains que les deux entretenaient une relation avant leur mariage. Et ce passage secret, je le crains, confirme ces prétendues divagations. Quoi qu'il en soit, il semble que je ne fus pas tout à fait idiot de conseiller au Chambellan de vous attribuer ces appartements-ci durant votre séjour. »

L'Eunuque pouffa et se remit en marche.

Les passages secrets avaient quelque chose de fascinant. Chacun leurs histoires, ils mettaient en avant des légendes et donnaient réponse à quelques rumeurs comme celle d'Alicent Hightower. Certains prétendaient avoir un jour trouvé un passage secret ayant jadis servi à la fuite d'une seigneurie. Squelettes en quasi poussière s'y trouvaient allongés à côté de malles encore remplies de vêtements, or et bijoux, laissant à penser qu'ils étaient en plein départ. Nul ne sut un jour si cela était vrai, mais la prétendue malle se trouverait encore quelque part dans le château.
Entrer dans ces passages avait quelque chose d'étonnant. On avait l'étrange sensation d'y être en sécurité. Même si quelques rats et araignées s'y trouvaient tapis dans l'ombre, ces endroits frais et calmes se trouvaient coupés de toutes les manigances de la Cour. Personne ne pourrait trouver quiconque ici, mis à part quelques espions de Varys ou Varys lui-même.
Ce sentiment étrange coupait également des réalités. Dans peu de temps, Ashara jouerait beaucoup en révélant ce qu'elle aurait à dire à Robert. Cependant, ainsi cachée dans l'ombre des passages secrets, elle était comme protégée. Derniers instants de sécurité et de calme, avant de voir un monde changer.

Varys continuait à avancer.
Ce qu'il avait dit à propos du Chambellan était vrai, peut-être Ashara était-elle en train de se rendre compte des différents fils de l'immense toile de l'Araignée. Tous ces actes, pris séparément, avaient parfois quelque chose d'étrange, d'inutile ou d'incompréhensible. Mais joints bouts à bouts, on dessinait un cheminement et un but aux actes de l'Eunuque. Petit à petit l'esprit se construisait et on commençait à apercevoir son chemin de pensée.
Ashara avait annoncé son arrivée quelques jours avant le début des événements. Et ce laps de temps lui avait permis de mettre en place un certain nombre de choses, prévoir quelques rencontres et événements de manière à ce que tout soit mis en place. Cette installation dans les appartements n'avait rien d'hasardeux. Déjà parce qu'il était relié au passage secret des Amants, lui même au carrefour de plusieurs autres qui pouvaient favoriser soit la fuite, soit la rencontre du Roi. Autant d'importances qu'on ne laissait pas de côté, surtout quand on se trouvait être l'Eunuque Varys et qu'on savait les secrets que possédaient la nièce de Jon Arryn.

Ils bifurquèrent, encore et encore.
Il connaissait ce chemin par coeur, espionnant allègrement le roi à bien des occasions. Quant à Ashara, elle avait désormais la solution: toujours et toujours suivre les carreaux noir de porcelaine, mis au sol.
Il était bien facile de se perdre dans de tels lieux, surtout si on choisissait de ne pas suivre le chemin recommandé. Comme connaisseur, c'était chose utile et aisée de se perdre. Si on connaissait d'autres chemins, d'autres indications, on se retrouvait alors ailleurs mais pas perdu. Mais quand on était un ignare des chemins secrets du Donjon-Rouge mieux valait s'éloigner de la curiosité. Se perdre était souvent une première étape avant la faim, la soif puis la mort.
Et qu'est-ce qui assurait que Varys irait chercher Ashara dans ce dédale si elle s'y perdait?
D'ailleurs, en vérité, rien ne lui assurait qu'il disait vrai, quant aux carreaux noirs. Peut-être était-il en train de la perdre, de la livrer dans la gueule du lion? Nul ne le savait, sinon lui-même.

Ils arrivèrent à un carrefour. Varys prit à gauche, monta une dizaine de marches.
L'air se fit moins humide et moins frais. La chaleur revenait petit à petit.
La torche fit se voir une porte de pierre que l'Eunuque poussa sur la droite. Elle pivota en son centre, laissant deux entrées. Une lumière blanche et nocturne apparut, rendant inutile l'utilisation de la torche. Il la déposa dans un socle et entra.

La lumière était en vérité le ciel même. Les deux se trouvaient dans une sorte de tour de pierre, dont le plafond n'était fait que de verre et laissait voir un ciel encore illuminé par la pleine lune et les quelques torches.
Composée de trois portes, dont celle par laquelle ils venaient d'entrée, la petite pièce était une première étape pour l'entrée dans les appartements de Robert.

« Bienvenue dans la salle dite "des Trois Portes". Cette porte-ci, Varys désigna la porte de droite, vous mène dans un couloir. Il n'y a qu'une porte dans ce couloir, celle qui vous fait pénétrer dans le cabinet privé du Roi. Le reste du couloir n'est qu'une succession de trous à yeux indiscrets pour quelques petits oiseaux bien curieux. La seconde porte, il parlait donc de celle de gauche, vous mène aux archives privées du Roi. Ici sont entreposés le double des Livres de compte et les messages confidentiels. Mon humble tâche s'arrête ici, Ma chère Amie. Que les Dieux vous protègent dans ce qui vous attend. »

Varys sortit de la Salle des Trois Portes, dans un mouvement léger et minutieux de soieries et après une légère révérence, laissant ouverte la porte par laquelle ils étaient entrés. Sans prendre la peine de prendre la torche, qu'il laissait à l'usage d'Ashara quand elle reviendrait, il s'éclipsa dans l'ombre.
Les derniers rayons de lune firent apparaître sa silhouette grasse et enroulée de soies avant, qu'enfin, il ne disparaisse complètement.

« Il a bien réagi.
— Etonnant. Ashara est encore en vie?
— Vous le sauriez si ce n'était pas le cas.
— Rien n'est jamais sûr.
— Robert a joué le filou. Ils ont manigancé beaucoup de choses. Tout d'abord: l'éloignement de Tywin et Jaime. Pour le premier, ils désirent aller au Mur avec l'or du Roc. Une fois le déplacement fait, ils paieront des mercenaires pour vandaliser les terres du Lion et les occuper. Jaime y serait alors nommé. De cette manière, il ne resterait plus que Cersei. Ils tueront Jaime ou le prendront en otage, c'est selon. S'il est tué, le Lutin servira d'otage, ainsi que Tommen ou Myrcella. Même si le premier semble être destiné au Mur, et la seconde à Dorne. Ashara mène sa barque bien mieux qu'on le pense.
— Et elle a étonnamment soumis toutes ces idées en échange d'or, je suppose?
— Oui.
— Quoi d'autre?
— Le Roi doit rencontrer pendant le procès ceux qui seront fidèles à sa cause. Lord Eddard et Lord Raymar. Egalement, ils songent à nommer Ades Overton à la place de Littlefinger. Enfin, il sait désormais pour Durran, comme vous vous en doutiez. Ashara le savait donc également, vous aviez raison.
— Appelez Petyr Baelish Petyr Baelish et pas autrement. N'ayons pas peur de ce nom. Overton? Mais c'est un jouvenceau ! Il n'a aucun poids politique. Si les complots ne l'écrasent pas, c'est une dague en plein ventre qu'il se prendra ! Souvenez-vous de sa première venue dans la Capitale. Trois jours sans sortir, tant il était fatigué. Cependant, Varys fronça des sourcils, il est à la tête de l'or de sa famille et de son domaine. Nous verrons plus tard pour lui, je vais avertir les Martell quant au Conseil et le jeune Durran. Autre chose?
— Oui, mais je ne peux que vous apporter des doutes.
— Dîtes.
— Ils ont parlé de vous. Et le Roi s'est soudainement montré très sympathique et confiant à votre égard après vous avoir manqué de respect. S'en est suivie une conversation à travers parchemin. Nul doute que cela vous concernait, Mon Seigneur.
— Très bien. »

Ni une ni deux, Varys sortit de sa robe de soie un dague d'argent qui brilla à la lumière des quelques bougies de la chambre d'Ashara. En quelques secondes, cette dernière se retrouva plantée juste d'en-dessous du coeur. Le petit oiseau, ainsi blessé par son chasseur, prit quelques secondes avant de se rendre compte de ce qu'il lui arrivait. Le silence était pesant. Varys ne souriait pas, mais son regard détonnait étrangement avec la situation. Un feu hors du commun y brûlait, à travers ces yeux globuleux et vitreux que tous lui connaissaient. L'Araignée venait à nouveau de brûler l'une de ses proies.
L'espion tomba, sans un bruit, accompagné par le geste de l'Eunuque. Une fois au sol, Varys essuya la dague sur sa robe de soie noire et violette, ne laissant ainsi aucune trace du meurtre. Un homme entra, fit un signe de tête à Varys et s'empara du cadavre avant de disparaître.
Les secrets les mieux gardés sont ceux scellés par la Mort.
Puis il attendit.

Il venait de risquer gros en laissant aller voir le Roi.
Mais Ashara Arryn était l'un des pions que Varys manipulait avec sagesse mais prévenance, cherchant par dessus tout à déstabiliser quelques maisons avec l'aide des bonnes volontés de l'héritière de Lord Jon.
Mais par dessus tout, le Maître des Chuchoteurs ne la sous-estimait pas. Il savait qu'elle était une dirigeante, ayant avant tout besoin d'or et de soutien de ses sujets. Ainsi fait, elle n'hésiterait pas à faire certaines choses, bien que ces choses fussent faites dans l'intérêt de tous. Il devait donc se méfier de ce pion, car il jouait une partie très dangereuse. Les Lannister étaient en train de tomber, mais pour combien de temps?
Au final, Varys se retrouvait dans une position à la fois très confortable et particulièrement dangereuse. D'une part, il manipulait Ashara du mieux qu'il pouvait, afin à la fois de déstabiliser le pouvoir de Robert, détruire les Lannister et de créer la guerre. Mais il était également l'un des seuls à savoir, l'un des seuls donc à être en danger perpétuel dans ce Donjon Rouge. En vérité, à bientôt vingt ans d'expérience dans la Capitale et comme Maître des Chuchoteurs, il avait appris à se forger bien des armures, chimériques et tout aussi différentes les unes que les autres.
Et au vu de ce qui était en train de se jouer, il avait aiguisé bien des armes et des esprits dans l'optique d'une nouvelle guerre de laquelle il devait à tous prix sortir vivant et rendre de nouveau éternelle la maison du Feu.

Ashara revint.
Entre-temps, l'Eunuque avait rallumé quelques bougies. Assis dans un fauteuil près de la fenêtre, il contemplait un Port-Réal étonnamment calme et si bien endormi. Il est des moments où l'avenir de tous se joue et où pourtant, tout semble être dans un calme coutumier particulièrement troublant. Ses joues poudrées et grasses étaient rehaussaient par ce sourire de nouveau mielleux, lui qui il y a quelques minutes venait de sa main d'assassiner quelqu'un.
Lorsqu'il la vie entrer par le passage secret, Varys se précipita telle une mère inquiète qui retrouve son enfant. Dans un mouvement digne des meilleures actrices de tragédies et dans des soieries aux scintillances théâtrales, il se précipita vers le passage secret, s'activa à le refermer au plus vite - comme si une horde de mercenaires étaient à leur poursuite - et se retourna vers Ashara qu'il accueillit d'un immense souffle de soulagement.

« Par tous les Dieux ! Vous êtes en vie ! S'il avait pu la serrer dans ses bras dodus, il l'aurait fait. Tout comme il semblait à deux doigts de se jeter à terre et de se lacérer le visage tout en pleurant de joie et d'inquiétude. Que vous m'avez fait peur ! Votre entretiens s'est donc bien déroulé? Vous avez été bien brave, ce soir, mon Amie ! »

Varys lui prit la main et l'accompagna jusqu'à l'un des fauteuils de la chambre.
Puis vint le moment qu'il n'attendait pas, ou presque. Elle lui annonça ce qu'ils avaient écrit sur cette feuille. La partie manquante du puzzle, donc.
L'Eunuque aurait trouvé le moyen de tout réorganiser, mais Ashara venait de lui faire gagner beaucoup de temps. Le faire partir à la recherche des bâtards? Varys? Lui? Quel idiot de Roi ! Se séparer de Varys était bien bête, surtout quand beaucoup chercheraient encore plus à le tuer. Et quel contre-production ! Comme si l'eunuque pouvait soudainement se parer de monture et d'armer et partir aux quatre coins de Westeros pour cela.
Non, tout d'abord, il enverrait ses espions. Lui, il resterait à Port-Réal.
Le temps de rencontrer ses alliés? Qu'est-ce qu'il en avait à faire, lui, de ses alliés? Il fallait bien des alliés pour faire une guerre ! Qu'il les rencontre ses alliés ! Plus il en avait, puis Tywin en aurait et plus les deux se déchireraient. Ce n'était que du tout bon, et Varys continuait à sourire.

Il rigola d'un air presque féminin, pouffant telle une fouine quand elle lui annonça son étonnement qu'il ne fut pas là pour écouter. Mais il avait écouté ! L'Araignée avait bien des oiseaux à son service, et sa toile était bien plus grande qu'on ne le pensait. Car en vérité, l'espion qu'il venait de tuer était l'un de ceux chargés d'espionner le Roi, présent quand Ashara et Varys arrivèrent à l'entrée secrète. Trop occupée par ce que lui disait Varys, et sûrement particulièrement préoccupée par ce qu'il se passerait, elle n'avait pas vu qu'un homme les suivait dans l'ombre. En somme, ils étaient arrivés à trois, et seul Varys avait rebroussé chemin. L'espion avait tout écouté. Et quand Ashara était sortie, il s'était encore plongé dans l'ombre, le temps de lui laisser de la marge. Perdue dans ses méditations, et soucieuse de suivre le chemin indiqué par Varys, elle continua sa route. Mais derrière elle, l'espion avait suivi un autre chemin, menant bien plus rapidement à la chambre d'Ashara. Un chemin qui faisait gagner seulement quelques minutes, jointes à la fatigue de la marche d'une femme enceinte placée sous le coup de l'émotion, Varys avait eu une légère avance sur l'héritière du Val.

« Ma Chère, pensez bien que je suis partout et nulle part à la fois. Ma piètre fonction dans cette Cour l'oblige. Qui d'autre qu'une Araignée sait mieux que quiconque se glisser dans les trous et espionner les vilains rats qui trament de grandes vilaines menaces contre notre chère Couronne? Quant au reste, Varys parlait maintenant d'un potentiel éloignement de la Cour, je servirai du mieux de mon humble personne notre Roi, et notre Couronne, comme il en a toujours été. »

Mais servir la Couronne ne voulait en aucun cas signifier quitter Port-Réal. Car il pouvait avoir lieu bien des choses d'ici l'ordre de Robert, des choses qui pourraient le contraindre à demander les services plus urgents de Varys.

Une fois Ashara installée, Varys s'épongea le front -tandis que bien évidemment, aucune sueur ne s'y faisait voir, et observa la pièce avec silence.

« Vous devez vous reposer, très chère Dame. Dans quelques jours s'ouvrira un Procès qui changera bien des choses. Que votre soirée soit la plus belle ! »

Il fit une révérence outrageusement mielleuse, tourna des talons et disparut dans l'ombre de laquelle il était sortit quelques heures auparavant.
En à peine quelques instants, tout une série de choses avait changé. Et étrangement, cela ne s'était pas fait sans le concours du Maître des Chuchoteurs.

A bon entendeur.