Port-Réal - 296 - Lune 4

L'air empestait.

Mais au moins, ce n'était pas là l'odeur habituelle de Port-Réal, c'était celle des tournois. Un mélange de sang, de sueur, de chevaux, d'acier brisé, et de tant d'autres choses encore. Ades Overton n'avait ni le temps ni l'envie de toutes les lister. D'autant qu'il y avait aussi le bruit, essentiellement constitué par les diverses conversations des nobles qui l'entouraient, ainsi que par les sons de la foule un peu plus lointaine. De temps en temps, un fracas d'acier ou un hennissement indiquait que se déroulait bel et bien quelques joutes, mais Ades n'était pas vraiment en position de les voir. Même si la tribune attribuée aux maisons plus mineures n'étaient pas très garnies, on avait trouvé le moyen de le caser derrière un homme qui devait bien faire six pieds et demi de haut, et presque autant de large, sans pour autant être musclé. Autant dire que pour le frêle jeune homme, entrapercevoir ne serait-ce qu'un chevalier relevait de l'exploit.

Heureusement, il n'en avait cure, bras croisés et yeux à demi fermés, il s'amusait à tester sa mémoire et ses connaissances. A ses côtés se tenait son immense garde du corps, qui lui n'avait aucun mal à voir les joutes qui s'enchaînaient, et répétait à chaque fois les noms des combattants à son jeune maître. Lorsque la trompette annonçant la prochaine rencontre retentit, il s'empressa de se pencher un peu vers Ades pour lui répéter proprement les noms des jouteurs.

- Barristan Selmy et ...
- Il gagne.

Le grand Fer-né resta un moment silencieux, surprit par la réponse immédiate de son jeune maître.

- Je ne vous ai pas donné le nom de son adversaire.

Le jeune homme se contenta de répondre par un sourire entendu. Il n'y avait que quelques participants susceptibles de l'emporter face à Ser Barristan aujourd'hui, et la plupart étaient passés dans l'heure précédente, il était assez peu probable que l'un d'eux doive jouter de nouveau aussi rapidement. Et même si c'était le cas, le peu de combat qu'avait effectué le vieil homme avait suffit à Ades pour se forger son opinion : il était beaucoup trop en forme en ce moment et avait toutes les chances de gagner, contre qui que ce soit. Et en effet, il ne fallut pas attendre longtemps pour qu'un craquement sonore ne parvienne jusqu'à l'héritier Overton, suivit presque aussitôt d'acclamations de la foule. Ades se tourna légèrement vers son garde du corps, qui affichait un petit sourire à son tour, avant d'opiner lentement du chef.

Le jeune homme s'apprêtait à se caler de nouveau confortablement, du moins autant que possible sur le banc vite installé, quand il entendit de nouveau une sonnerie de trompette. Les murmures autour de lui grimpèrent presque aussitôt en intensité, on entendait un peu moins la foule. Le regard vairon interrogatif se tourna rapidement vers Vasgard.

- Il a cassé la barrière en tombant, il y a une pause le temps de réparer cela.
Magnifique ! S'exalta soudainement le jeune homme en se redressant aussitôt.

Ades saisit sa canne et s'éloigna à grands pas de sa place, descendant souplement et rapidement de la tribune. Quand son garde le rejoint, il n'eut pas besoin de le regarder pour saisir sa question muette.

- J'avais juste besoin d'un bol d'air, cela commençait à devenir étouffant là-haut.

Le vieil homme acquiesça sans un mot, il commençait à bien connaître son protégé et s'attendait manifestement à ce que cela arrive à un moment où à un autre. Il était préférable que ce soit durant une pause, et c'est sans doute ce qu'Ades attendait. Le jeune homme n'aimait guère les tournois, mais il tâchait d'être présent à la majorité d'entre eux, et celui-là se déroulait à la Capitale, le manquer aurait été une grossière erreur. Les occasions de côtoyer la grande noblesse étaient rares, et le jeune Overton ne comptait en manquer aucune. Pour l'heure, aucune ne s'était vraiment présentées mais le banquet du soir risquait bien d'arranger la donne. En attendant, restait à supporter sa position idiote, se contentant du bruit de la foule et des lances brisées pour s'occuper la journée. Il ne pouvait même pas parier sur le vainqueur avec Vasgard, tous deux avaient le même favoris.

- Faisons quelques pas, veux-tu ?

Sans attendre de réponse, le jeune homme s'éloigna, il n'avait pas l'intention de retourner à sa tribune avant quelques temps, mais il ne pouvait pas non plus s'amuser à marcher aux hasards parmi les tentes des combattants. Ce qui ne l'empêcha pas de s'approcher un peu, dénombrant les bannières qui flottaient au-dessus et associant à chacune le nom de la maison qui correspondait. Il y en avait un certain nombre, certaines très modestes, d'autres très importantes. Inconsciemment, le jeune homme baissa les yeux sur le blason échiqueté qui ornait son veston noir, à peine rehaussé d'argent et d'or au niveau de ses épaules. La bannière Overton ne flottait nulle part ; il n'avait pas emmené de participants avec lui. Vasgard était bien le seul à pouvoir se gorger de combattre vaillamment, mais il n'était pas un jouteur, et Ades ne voulait pas s'amuser à repayer sans cesse l'équipement de son garde. Aussi, il n'était là qu'en tant que spectateur, contrairement à nombre de ces grandes familles.

Le jeune homme resta planté là un moment, à l'arrière des tribunes. La zone était calme, même l'odeur semblait se dissiper un peu, il se sentait un peu mieux. Il pourrait bientôt revenir prendre sa place, les batteries de nouveau à fond pour supporter la fin de la journée.

« La Princesse Myrcella Baratheon ! »

Un frisson glacé parcourut l'échine du jeune homme, il avait bien entendu l'arrivée d'une cohorte dans son dos, mais l'avait simplement attribué à un chevalier qui retournait à sa tente, et ne s'attendait pas vraiment à ce qu'on s'arrête si près de lui. Encore moins si c'était en réalité les gardes de la Princesse Myrcella. Surpris également, Vasgard faillit mettre la main à l'épée bâtarde qu'il portait à la ceinture mais par chance, il se contint juste à temps. Ades lui en fut infiniment reconnaissant, il aurait été de bien mauvais goût de tenter de dégainer une arme en la présence de la Princesse. Alors qu'il se retournait, le chevalier continua ses annonces.

« Lady Ashara Arryn et Lady Ysilla Royce. »

C'est ça, rajoutes-en encore un peu pour voir ? Pourquoi pas la clique Lannister au complet ? Ou le Roi Robert, tant qu'on y était ? Ades réussit tout de même à garder un calme parfait, et à afficher le visage le plus avenant possible, bien qu'il soit en présence de trois jeunes filles bien au-dessus de son niveau social, dont la Princesse des Sept Royaumes, et l'héritière en second du Val d'Arryn, si sa mémoire était bonne. Avant même de leur jeter ne serait-ce qu'un regard, le jeune homme baissa brutalement la tête et mis un genou à terre, se servant de sa canne comme soutient. La pose n'était pas sans rappeler celle d'un chevalier qui prêtait serment, si ce n'est que le jeune avait une épée de bois, avec un pommeau ornée d'un saphir.

- Votre Majesté. Lady Arryn. Lady Royce.

Vasgard s'inclina également, mais ne prononça pas un mot, préférant laisser son jeune maître parler ; chacun sa spécialité après tout. Et celle d'Ades était sans nulle doute le fait de s'exprimer, peut-être en-dessous de ses capacités d'apprentissage, mais le Fer-né n'aurait pas parié dessus.

Lorsque le jeune homme se redressa en s'appuyant sur sa canne, il réussit l'exploit de ne pas avoir taché ses chausses couleur de nuit, manifestement se maintenir sur sa canne offrait quelques avantages. Il semblait parfaitement à l'aise, malgré l'insigne honneur que lui procurait la présence de ses jeunes femmes, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir l'air humble. Ades fit bien attention à ne pas poser son regard vairon trop longtemps sur les demoiselles, il pouvait être dérangeant, et il était très mauvais de commencer une discussion ainsi. La Princesse Myrcella était une Lannister avant d'être une Barathéon, et elle portait fièrement ses cheveux dorés. Malgré ses six ans, elle avait tout l'air d'une parfaite princesse. A ses côtés, l'héritière en second du Val ne dépeignait pas ; elle avait tout l'air d'une Lady et était d'une beauté plus que remarquable. Ysilla Royce était la fille d'une des plus grandes familles du Val, et une des plus réputés, et elle le portait clairement. En face, le jeune homme aurait dut faire pâle figure.

Au lieu de cela, il arbora un beau et gentil sourire en entendant la requête de la bouche de Lady Arryn, s'inclinant de nouveau gracieusement. Il répondit d'un ton presque enjoué, sans se montrer trop enthousiaste, et sa voix était forte et claire.

- Il est tout naturel que des Demoiselles d'aussi noble naissance n'ait pas forcément connaissance de mon blason. Je suis originaire d'une petite famille du Nord, bien loin d'ici. Ne vous blâmez donc par pour si peu.

Ades n'aimait pas particulièrement critiquer ainsi sa maison, mais il fallait se montrer réaliste ; les Overton n'avait plus du tout la renommée qu'ils avaient un jour prétendus avoir. Plus depuis la conquête, au moins, et selon les Mestres, leur déchéance avait commencée bien avant. Pour des Barathéon, des Arryn, ou même des Royce, sa maison n'était absolument rien. Néanmoins, le fait qu'elles s'y intéressent prouvait que ces jeunes filles n'appréciaient guère de ne pas parfaire leurs connaissances, un trait appréciable aux yeux d'Ades. A moins bien sûr que ce ne soit que l'ennui qui les ais guidées jusqu'à lui, ce qui était tout aussi possible.

- Mon nom est Ades, de la maison Overton. Et je suis infiniment honoré de vous aider à réparer cette petite méprise.

Sans mot dire, Ades profita de la petite discussion qui anima les trois jeunes femmes pour les détailler plus intensément. Des femmes du Sud, à n'en pas douter, vêtue richement et pleines de couleurs, le genre de robe qu'on aurait volontairement qualifié de ridicules dans certains contrées du Nord. Le jeune Overton les trouvait très intéressante ; il avait très vite appris que, dans le Sud, l'habillement avait revêtu une utilité autre que celui de protéger ; c'était un moyen d'expression. La robe mauve de la petite Myrcella affirmait son statut de princesse, mais les doublures, la façon dont elle était fermée indiquait aussi qu'elle n'était pas à marier, pas encore. Cela paraissait évident, mais c'est le genre de détail qu'on ne pouvait que noter en observant la robe de l'héritière Arryn. La façon dont les taffetas étaient positionnés servaient clairement à attirer le regard, façon d'affirmer que la jeune femme était en âge d'être marié. C'est d'ailleurs ce pourquoi Ades ne loucha que très rarement dans cette directement, bien que c'était de son âge, il s'agissait d'une femme bien trop haut placé pour qu'il ose poser un regard trop appuyé sur elle.

De son côté, le jeune Overton s'était fait aux coutumes du Sud, et ses vêtements envoyaient aussi quelques messages. La noirceur régulière, presque entièrement nue d'ornements, rappelait la relative faiblesse de sa famille, mais aussi son absence de prétention particulière : il ne s'amusait pas à se balader dans des armures d'or et d'argent bien au-delà de ses moyens. Seules quelques touches de couleurs venaient rappeler qu'on avait bien à faire à un noble ; le blason de son épaule bien sûr, mais également son col et ses poignets, légèrement rehaussés par des arabesques discrètes, faites d'argent et d'or se mêlant, rappelant ainsi les couleurs de sa maison. Le tout, accompagné de sa canne ornée du saphir, indiquait à qui voulait se montrer curieux, que sa maison, bien que peu importante, n'en était pas moins aussi pauvre qu'elle aurait due. Et ça, le jeune homme pouvait se vanter d'y être pour quelque chose ; il travaillait depuis quelques années maintenant à la trésorerie et faisait des merveilles selon les mots de son père. Il avait bon espoir de pouvoir complètement relancer le vieux port d'ici quelques mois.

Sortant de ses réflexions juste à temps pour répondre à ses interlocutrices, le jeune homme se fendit d'un sourire plus que chaleureux vis à vis d'Ysilla Royce. Manifestement, c'était celle qui avait le moins de retenue, et sans doute celle dont on pouvait s'attirer facilement la sympathie.

- En effet Lady Royce, la renommée de votre maison atteint sans doute le Mur, et les Stark parlent en effet de vous en bons amis.

Bien que la réflexion pouvait paraître anodine, et simplement gentille, elle avait également pour but de montrer que, si modeste que soi le jeune homme, il connaissait assez bien les Stark. Ce n'était pas forcément un exploit, compte tenu de la politique de Lord Eddard qui était toujours très proche de ses gens, même les plus humbles, mais toutes les dames du Sud n'étaient pas forcément au courant de ce détail.

Se tournant ensuite vers Myrcella, le jeune homme inclina poliment la tête, prenant un ton plus grave.

- Sa Majesté votre père est trop bon pour nous. Les hommes du Nord sont avant tous des hommes comme les autres, avec leurs bons et leur mauvais éléments. Néanmoins, je mentirais si je prétendais que Lord Eddard Stark ne correspond pas à cette description. Il est sans aucun doute l'un des hommes les plus honorables qu'il m'ait été donné de connaître.

Avec mon père, songea le jeune homme. Mais il n'en dit pas un mot, cela aurait parut prétentieux. Et voilà justement que la belle Arryn lui demandait s'ils avaient combattus auprès d'Eddard. La gorge du jeune homme se serra insensiblement. Oui, son père avait combattu, à l'époque où il pouvait encore monter à cheval, tenir son épée, à l'époque où il était encore ce colosse aux bras puissants et à la voix si forte et pourtant si rassurante. A une époque où il se serait déplacé pour ce tournoi, et aurait sans doute désarçonné quelques guerriers avant de s'incliner enfin. Une époque terminée ; Lord William ne se déplaçait plus guère, trop faible. Il envoyait son fils à sa place, mais ce dernier n'était pas son père, il n'arriverait jamais à être un guerrier. Alors il employait ses armes à lui. Quand il répondit, son sourire s'était clairement fanné, mais il ne semblait pas vraiment triste.

- Oui, Lady Arryn. Mon père s'est battu au côté de Lord Eddard durant la Rébellion, et ce dès que le ban a été rassemblé.

Ades aurait put s'épancher longuement sur la façon dont son père avait brandit Croc-de-Givre, l'antique épée de la famille Overton, durant les diverses batailles qu'il avait traversé. Mais cela ne leur aurait rien dit et il préférait ne pas s'appesantir dessus. Au contraire, il choisit de se concentrer sur la dernière question évoqué, et le fit avec un sourire renouvelé.

- Ah, demoiselles. J'aurais aimé vous conter comment j'ai été blessé au cours d'une intense et incroyable mêlée, comment j'ai combattu vaillamment contre des ennemis en surnombre.

Il brandit le poing, dans une parodie manifeste de récit épique, avant de le relâcher avec un sourire encore accentué qui dévoila de ravissantes fossettes. Il haussa les épaules, s'appuyant de nouveau sur sa canne.

- Mais il s'avère que je suis né ainsi … Pas avec la canne, non. Mais avec une jambe un peu plus … faible que l'autre. Donc j'ai besoin de cet objet pour me déplacer.

Le regard vairon du jeune Overton brillait légèrement ; il tentait un coup de poker. L'humour n'était pas vraiment une valeur sûre avec les dames de hauts rangs, particulièrement avec les jeunes enfants. Mais la Princesse Myrcella semblait être une petite fille tout ce qu'il y avait de plus vive ; il était sûr qu'elle comprendrait parfaitement. Restait seulement à voir comment elle le prendrait, et comment le prendrait les deux autres jeunes femmes.

Bon, tant pis pour le bluff alors ; cette Arryn était bien au courant que les Stark avaient tendance à accueillir tous leur sujets. Ce qui n'était pas vraiment étonnant d'ailleurs, si ses souvenirs étaient exacts ; cette héritière là était issu d'un Royce, et comme l'avait rappelé Ysilla, les Royce étaient des proches amis de la famille Stark. Elle ne pouvait donc que connaître les façons de faire de Lord Eddard, surtout si elle connaissait bien Lord Jon Arryn, qui avait été le mentor du Gouverneur du Nord. Inutile donc de se faire passer pour plus influent qu'on ne l'était véritablement, ce qui n'empêchait pas de réagir à ce que l'on disait du Nord. Car si la phrase de la jeune Ashra était indéniablement vraie, Ades se souvenait plutôt de celle qui disait qu'une pucelle pouvait traverser toute la Route Royale dans le Nord, dans la robe qu'elle voulait, et sans craindre pour sa bourse ou son pucelage. Mais il est vrai que ce n'était pas le genre de phrase que l'on pouvait citer sans réfléchir, devant une Princesse. Le jeune homme se contenta donc d'un sourire charmant, en répondant.

- On dit cela, en effet, et je vous garantis que nombre de Seigneur du Nord font leur possible pour que cette affirmation soit vraie sur leurs terres. Du moins, c'est ainsi qu'agit mon père.

Il était inutile de leur préciser que ce n'était pas le cas de tous les Seigneurs du Nord, certains étaient plus zélés que d'autres. Mais à ce jeu là, Lord William Overton était sans aucun doute l'un des meilleurs ; on pouvait en effet traverser tout le domaine en long en large et en travers sans jamais se faire attaquer. Pourtant la garde n'était pas si nombreuse, mais les patrouilles étaient très bien organisés, et les punitions sévères, on gagnait plus à s'engager dans la garde qu'à tenter de voler les honnêtes paysans.

- Néanmoins, nous n'avons pas de clan des Montagnes, dans le Nord, cela doit sans doute rendre le voyage plus sûr.

Les déboires du Val d'Arryn avec les clans qui vivaient encore dans les montagnes étaient connues de tous. Cela rendait la région encore plus difficile d'accès, il arrivait parfois à Ades de penser que c'était parfaitement voulu par les seigneurs du Val, mais c'était une hypothèse qu'il se garderait bien de prononcer à voix haute.

Le soulagement du jeune homme fut net en constatant que sa petite pitrerie avait réussit à détendre l'atmosphère ; il était rare qu'une discussion s'engage sur le chemin de la Rébellion sans que l'ambiance en prenne un coup. Ce problème avait été évité heureusement, et seule la petite princesse Barathéon semblait encore soucieuse de la « blessure » du jeune homme. Une jeune fille gentille sans le moindre doute, qui agissait pourtant comme la princesse qu'elle devait être ; un caractère trop rare. Ades s'apprêtait à la rassurer quand Lady Arryn se chargea de cela à sa place, en le comparant à un Lannister dont il avait déjà entendu le nom. Ce n'était pas la première qu'on évoquait ce Tyrion devant lui, et c'était souvent pour le comparer à lui. Le jeune Overton ignorait toujours s'il devait se sentir flatté ou non, bien que cette fois il était évident que oui. Avec de nouveau ce sourire à fossettes, Ades inclina la tête en direction de la Princesse.

- J'ai ouï beaucoup de bien de votre oncle, Majesté. Et je ne peux prétendre avoir autant d'esprit que lui, mais je travaille là-dessus, rassurez-vous. L'esprit est une lame qui doit tout autant travaillée, si ce n'est plus, que celle d'une épée.

En entendant les louanges d'Ashara Arryn sur son humour, le jeune homme se fendit d'une révérence de remerciement, mais la réponse qu'il s'apprêtait à faire fut interrompue par la sonnerie soudaine de la reprise des combats. Et il savait exactement ce que cela voulait dire : de pareilles jeunes femmes ne pouvaient pas décemment manquer le tournoi, et lui-même devrait retourner à sa place pour en terminer avec la journée. Ce fut d'ailleurs confirmé par l'héritière Arryn, mais sa question finale surprit de nouveau Ades. Bien sûr qu'il serait au banquet, mais à une table bien trop éloignée de la sienne, pourquoi donc voulait-elle le revoir ? L'occasion était cependant trop belle pour qu'il la laisse simplement passer, aussi répondit-il presque aussitôt.

- Je ne désire aucunement vous retarder d'avantage. Je serais bien présent au banquet, Milady. Ce sera un grand honneur de vous y apercevoir.

Avec une dernière révérence de salut, le jeune homme attendit patiemment qu'elles soient toutes parties et que le cortège soit suffisamment éloigné pour détendre ses épaules et pousser un léger soupir de soulagement.

- Joli coup.
- Merci, Vasgard. Retournons à nos places … Au fait, ce soir, tu te postes à côté de moi au banquet.
- Et moi qui voulais aller boire une bière avec les soldats.
- Navré de t'en priver, je t'en payerais une autre dès que possible. Mais tu es plus repérable que moi au milieu d'une foule.

Ades ne se faisait guère d'illusion ; avec sa relative petite taille, il était très difficile de le repérer facilement au milieu de la foule qui constituait un banquet. En revanche, Vasgard atteignait presque les 7 pieds de haut, ce qui ne manquait pas de créer une belle balise de repère. Si la jeune Arryn voulait vraiment le revoir, elle n'aurait pas de difficulté à le repérer.

***

Le soir-même, le jeune homme se tenait à la table qu'on avait dressée pour les nobles plus modestes ; celles-ci étaient étonnamment peu garnies, mais il est vrai que le tournoi n'était pas d'une aussi grande importance que ceux d'anniversaire du Prince par exemple, peu de maisons s'étaient déplacés. Ce n'était pas pour déplaire au jeune homme qui disposait ainsi d'une place plutôt tranquille, et non étouffante comme il l'avait parfois vécu. En ajoutant à cela son immense garde du corps qui se tenait à côté de lui, on obtenait une tranquillité bien méritée. En hôte poli et distingué, le jeune homme goûtait chaque plat qu'on lui présentait, et reprenait une petite part de certains si cela était possible. Il mangeait lentement et buvait avec parcimonie, contrairement à certains qui étaient déjà rougis par l'alcool. Parfois, son regard se tournait sans mot dire vers la zone où devait se dresser la table des grandes familles ; il ne voyait pas bien de là où il était, mais il était certain que ses trois interlocutrices de tout à l'heure s'y trouvaient.

Bah, elles devaient avoir oublié cette petite aventure à présent.

Alors que la soirée avançait, Ades apprenait à connaître ses voisins de table les plus proches, et s'en trouvait particulièrement heureux. Loin du voisinage bruyant et peu utile auquel il avait eu droit au cour des joutes, celui-là était bavard, mais très intéressant. Ce n'était pas forcément le genre de conversation que le jeune homme appréciait d'ordinaire mais c'était tout de même fort instructif. Le jeune homme en face de lui, notamment, était écuyer d'un chevalier qui avait concouru au cours du tournoi. Encore très vif, le jeune homme n'en présentait pas une connaissance des différents chevaliers exceptionnelle ; jamais Ades n'aurait pu croire qu'on puisse connaître aussi bien les jouteurs de la journée. Et pourtant son interlocuteur était capable de tous les citer, ainsi que leurs qualités et défauts. Habituellement, l'héritier Overton n'était pas un fanatique de tournoi, mais il était une oreille attentive et capable de s'intéresser à presque tous les sujets, et son voisin semblait trop heureux d'avoir quelqu'un avec qui refaire la journée.

Il fut cependant tiré de la conversation par un brusque coup de coude, quoique discret, de la part de son maître d'arme. Interrompant poliment son interlocuteur, le jeune homme se retourna, suivant le regard de Vasgard pour s'apercevoir qu'une piste de danse avait été improvisée. Durant un bref instant, il se demanda s'il devait y aller : malgré sa canne, il avait bien évidemment appris à danser assez correctement, l'une des premières coutumes du Sud qu'il avait intégré, même s'il n'aimait pas particulièrement ça. Ce n'est qu'après qu'il comprit que son garde du corps ne désignait pas la piste en général mais bien l'une des danseuses. Un tournoiement gracieux de mauve, mêlé à quelques touches de blanc argent. Lady Ashara Arryn. C'est qu'Ades aurait presque oublié qu'il était sensé la revoir, presque.

Il avait bien réfléchit au cours du repas, et avait rapidement été obligé de conclure qu'il ne pouvait décemment pas se présenter à elle, tout comme elle ne pourrait pas se présenter à lui. Si leur statut avait été inversé, le problème aurait été vite réglé ; qu'un homme aille voir une jeune femme, même en-dessous de son propre rang, c'était un comportement plus qu'admis. L'inverse, en revanche, était beaucoup plus rare. Il était donc peu probable qu'elle vienne le voir, en supposant qu'elle s'en souvienne encore. Aussi, il n'était guère étonné de la trouver en train de danser, mais beaucoup plus surpris en revanche, de la voir se diriger doucement dans leur direction. A croire qu'elle menait un peu la danse, alors que tout semblait laisser penser que c'était son partenaire qui s'en chargeait.

Plus attentif, le jeune homme reprit sa conversation, tout en la suivant du coin de l’œil, et par chance, l'écuyer se décida à inviter une gente demoiselle et quitta la table, laissant Ades seul. Pas pour longtemps heureusement, à peine eut-il le temps de se retourner qu'il se retrouva à contempler la jeune Arryn qui s'asseyait à ses côtés. Il inclina poliment la tête, suivit de près par son garde du corps qui déclara presque en même temps.

- Bonsoir, Lady Arryn.
- Lady Arryn.

Son sourire était poli et il faisait bien attention à garder une attitude humble, ce qui passait par différents signaux, au niveau de son ton, de sa façon de se tenir assis et de parler. Il se savait observé, non seulement par les quelques petits nobles qui n'avaient pas encore quitté sa table, mais aussi par les prétendants plus haut placés de Lady Arryn, qui n'attendait qu'un signal pour se jeter sur elle et l'inviter de nouveau. Par chance, elle faisait manifestement de son mieux pour faire comprendre à tous qu'elle n'était pas prête à retourner danser, et ce sans refuser directement une danse. Une attitude intelligente et prudente.

- Le repas était tout à fait exquis et la fin des joutes très intéressantes, autant pour ce qui se passait sur le terrain que dans les gradins. J'ose espérer que ce fut tout aussi agréable pour vous.

Pour le coup, c'était parfaitement exact, le jeune homme avait fait tout son possible pour laisser traîner ses yeux et ses oreilles durant la fin de journée. Et toutes les informations, des plus insignifiantes au plus surprenantes, avaient été classées dans un coin de son cerveau, on ne savait jamais quand cela pourrait servir à nouveau. C'était aussi ce qu'il avait fait durant le banquet, et c'est la raison pour laquelle il n'avait pas consommé une goûte de vin ; le liquide avait réputation d'alourdir l'esprit, et il était hors de question pour Ades d'infliger ça à son esprit.

La question sur la santé de son suzerain le surprit quelques peu, et l'affligea également. Ces derniers temps, tout semblait lui rappeler que les grands vainqueurs de la Rébellion était en pleine forme, tandis que son père perdait chaque jour un peu plus en vigueur. Oh bien sûr, il savait son père bien plus âgé que Robert Barathéon ou Eddard Stark, mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir une légère pique au cœur. Il répondit toutefois avec le sourire.

- Par bonheur, Lord Eddard est toujours en forme en effet, sans aucun doute autant que Sa Majesté. … Mais qu'en est-il de Lord Arryn, j'ai ouï dire que le travail d'une Main était épuisant, et pourtant il semble toujours aussi prompt à guider le Royaume.

Ades ne fit aucune allusion aux dépenses du Roi Robert, dont tout ceux qui s'intéressait de près ou de loin au budget étaient au courant, et qui creusaient chaque jour un peu plus la dette de la Couronne. Les rumeurs prétendaient que la Main du Roi n'y pouvait pas grand chose, et on ne pouvait pas blâmer Jon Arryn pour le caractère de son ancien pupille.

Prudemment et lentement, le garde du corps Fer-né d'Ades s'était reculé sur la table, laissant le champ libre à son maître et à sa charmante interlocutrice. Car si le jeune homme parlait en ce moment à quelqu'un bien au-dessus de sa condition, le cas du vieil homme était encore pire. Jamais dans sa vie il n'aurait dû être en mesure de côtoyer un monde pareil, mais il aurait dut cependant s'y attendre ; avec Ades après tout, cela faisait clairement partie des objectifs en vue. Vasgard en était même surpris de découvrir que le jeune homme ne se montrait pas plus présent que cela ; il restait humble, répondant avec courtoisie, gentillesse et parfois humour, mais il n'en faisait pas plus, ne cherchant jamais à outrepasser son rang ou à en savoir trop. A croire qu'il voulait être extrêmement prudent ; le Fer-né lui aurait bien conseillé de se montrer un peu plus aventureux mais il était un poil trop tard, et c'était sans doute une mauvaise idée. Après tout, des deux, c'était Ades le spécialiste de la communication.

Et justement, le spécialiste se montrait tout ce qu'il y avait de plus poli avec son interlocutrice du moment, opinant du chef avec un large sourire. Malgré le début de journée assez peu encourageant, il avait lui aussi hâte de voir la finale ; il était très curieux de vérifier les informations qu'il avait récolté ce soir auprès du jeune écuyer et cela ne pourrait se faire qu'au cours du tournoi. De plus, il était toujours intéressant de suivre ce qui se passait dans les gradins, que ce soit les proches ou les éloignés. C'était dans ces moments-là, quand tous les regards convergeaient vers une joute, que les nobles faisaient le moins attention à leur tenue, leur allure et leur attitude, du moins pour la plupart. Dommage pour Ades, de l'endroit où il était, il ne pouvait pas voir la tribune royale, là où était sans aucun doute installé cette jeune femme.

- Oui, la charge de Main, doublée de celle de Protecteur de l'Est, doit être épuisante. Nous sommes toujours surpris de constater à quel point les hommes que l'on a toujours considéré comme des géants portent une charge atroce sur leurs épaules ; j'ose à peine imaginé celle du Roi et de sa Main.

C'était à un degré bien moindre, évidemment, mais Ades avait ressenti la même chose quand son père lui avait offert de s'occuper de la trésorerie du domaine. Il avait rapidement appris à gérer tout cela, et à enfin faire ce qu'il prévoyait depuis déjà quelques temps, tentant de son mieux d'améliorer le sort de la famille Overton, mais les premiers mois avaient été plus que difficile. Il avait toujours l'impression de n'avoir pas le temps qu'il fallait, répondant à chaque papier qu'il recevait, vérifiant de lui-même tout ce qu'on lui disait. Cela avait bien changé à présent ; s'il n'était pas encore parfaitement intégré au système, il était assez en confiance pour délaisser son poste et partir pour un tournoi. Il avait donné largement assez d'instructions pour que les choses avancent toutes seules en son absence, et normalement, il n'y aurait pas de problèmes.

Même s'il n'en montra rien, le jeune homme fut assez surpris de la question qui suivit, quoique ce n'était pas vraiment une question directe. L'héritière Arryn s'intéressait donc au Nord ? Et elle désirait avoir une autre version que celle des mestres ? Voilà bien une attitude qu'Ades pouvait comprendre, et qu'il appréciait au plus haut point. La jeune femme semblait pleine d'un désir de savoir, en plus d'être ravissante. Elle ferait sans doute une excellente gérante et une très bonne femme, pour celui qui l'obtiendrait. Bizarrement, il n'avait plus souvenir qu'elle était déjà promise à quelqu'un, mais étant donné son âge et son importance, cela ne saurait tarder.

- Une culture à part, sans aucun doute Lady Arryn. Si vous en êtes curieuse, je serais ravi de vous donner un autre point de vue sur les coutumes et les habitudes des Nordiens. Il est vrai qu'il est toujours bon d'avoir plusieurs versions de la chose pour se faire une bonne idée de la réalité. Que voudriez-vous savoir exactement ?

En attendant sa réponse, le regard d'Ades dériva un peu pour observer les alentours ; sa table se vidait peu à peu alors que les jeunes gens présents prenaient leur courage à deux mains pour inviter tel ou telle personne à danser. Quelques regards curieux convergeaient encore dans leur direction, surtout donné par des nobles de plus haute naissance que la sienne, qui attendaient sans doute que la discussion soit finie pour venir invitée Lady Arryn à danser. Certains pensaient sans doute qu'elle était venue s'installer ici pour se reposer, auprès d'une des rares personnes qui ne pouvaient pas l'inviter. Mais, contrairement à ce que certains devaient supposer, ce n'était pas à cause de la canne, mais bien du fait de leur différence de statut. Elle était une très belle jeune femme, héritière en second d'un des Sept Royaumes, lui n'était qu'un petit homme boiteux, héritier d'un vague domaine Nordien dont les gens n'avaient jamais entendus parler.

Non, décidément non, pensa-t-il doucement alors que son regard vairon se posait de nouveau sur le visage de la jeune Lady Ashara.

A la longue tirade de Lady Arryn, le jeune fils de William Overton ne put qu'opiner du chef, avec un léger sourire. En effet, même si c'était à un degrés bien moindre qu'elle ; il avait lui aussi connu cette angoisse profonde, celle qui vous vrillait les entrailles. Cette question aberrante qui, malgré tout l'enseignement que vous aviez reçu et qui vous rendait sûr de vous, arrivait à surgir dans votre cerveau pour vous demander : Est-ce que vous preniez la bonne décision ? N'y avait-il pas un autre moyen ? Plus efficace, moins coûteux, plus pacifique ? Son père lui avait confié un jour que seul les fous arrivaient un jour à s'en débarrasser. Ce n'était pas faux ; jamais Aerys ne s'était questionné sur le bien-fondé des actions que lui demandaient d'accomplir les voix dans sa tête. Seuls les êtres conscients de leurs responsabilités plutôt que de leurs pouvoirs connaissaient cette angoisse. Depuis, Ades avait appris à vivre avec, et à l'ignorer quand il se savait dans le vrai. Sur ce point cependant, il ne se trouvait jamais rassuré complètement, même s'il était entouré par les meilleures têtes pensantes du Nord. Quelque chose le bloquait. Cela ne l'empêcha pas de répondre à la jeune femme.

- Il est vrai qu'être bien entouré offre un réconfort bienvenue ; si nous ne sommes pas les seuls à avoir une idée, peut-être ne sommes nous pas fous. Du moins, c'est ce qu'on pourrait espérer.

Il n'en prononça pas un mot, mais Ades doutait intérieurement que la jeune femme ait éprouvé exactement les mêmes angoisses que lui. Au niveau où elle se trouvait, il n'y avait qu'une poignée de personne qui lui était supérieure hiérarchiquement. Elle ne s'était jamais trouvé dans la situation que le jeune Overton expérimentait presque chaque jour ; côtoyer des gens bien plus élevés socialement que vous, et être contraint de leur parler pour avancer. Et ce, sans savoir exactement comment il fallait les prendre, comment il fallait se comporter. Tous étaient différents, et avec tous on devait se choisir un masque différent. Cela paraissait simple au début, mais lorsqu'on s'aventurait sur les chemins qu'Ades avait choisis, on finissait par jouer plusieurs parties de Cyvosse en même temps. Le tout, à ce moment-là, était de ne pas les confondre entre elle. Jusque là, il n'avait jamais échoué.

En entendant le sujet choisi par la jeune femme, Ades acquiesça vivement. Pour comprendre le Nord, il était évident qu'il fallait commencer par là, toute l'attitude des hommes de la région avait été conditionnée, et pétrie par ces anciennes traditions. Héritiers des Premiers Hommes, voir mêmes des Enfants de la Forêt comme certains le prétendaient. C'est donc avec un sourire presque rayonnant qu'il se pencha un peu vers la jeune femme pour commencer un exposé qu'il présageait assez long.

- Excellent choix, Damoiselle Ashara. Sans nul doute le départ de toutes choses dans le Nord. Il faut d'abord comprendre, même si vous le savez sûrement, que la religion des Anciens Dieux est fondamentalement intimiste, et qu'elle comporte très peu de cérémonies et autres ...

Interrompu dans son explication par l'arrivée d'un jeune homme d'assez grande taille qui venait, sans surprise, inviter la jeune Lady à danser. L'héritier Overton se redressa poliment pour s'incliner comme il le devait, ralentissant volontairement son mouvement pour avoir le temps de détailler l'arrivant. Il l'avait déjà vu, au tournoi, mais il devait retrouvé son nom. Enfin, le mot jaillit de sa langue.

- Lord Hightower, salua-t-il humblement.

Saisissant en se rasseyant le regard désolé de la jeune femme, il se contenta d'y répondre par un petit sourire, rassurant. Il comprenait parfaitement ; un banquet n'était de toute façon pas le lieu idéal pour entretenir une telle conversation. La soirée ne leur offrit d'ailleurs aucune autre occasion, le jeune homme finit donc par reprendre ses conversations habituelles, finissant même par danser une seule et unique fois avec une jeune femme originaire d'une maison mineure de l'Ouest. Par la suite, il lia une longue conversation avec un Dornien de passage, qui se prétendait un maître dans le Cyvosse.

***

A la table où s'était installé Ades pour manger, il n'y avait bien que Vasgard pour porter son attention entière au petit déjeuner qu'il avait devant lui. De fait, étant donné que la répartition des tables au matin n'était pas aussi stricte que celles du banquet, le jeune Overton s'était invitée à une table de Dornien, et pratiquait depuis leur réveil, soit une heure auparavant, des parties de Cyvosse qui devenaient de plus en plus serrées à mesure que les combattants apprenaient à se connaître. Le garde du corps du Nordien, dont la nuit avait été plus consacrée à l'alcool qu'au sommeil, était donc le seul de la tablée dont le regard n'était pas rivé sur le plateau de jeu. Ades avait fixé ses yeux vairons sur le dragon de son adversaire, qu'il avait dû laisser en vie en début de partie, c'était actuellement la pièce la plus dangereuse. Si on le regardait assez longtemps, on pouvait presque entendre les engrenages cliqueter dans son esprit, mais on pouvait aussi surprendre la lueur dans ses yeux. Jamais le jeune homme ne se sentait aussi bien que quand son esprit était sollicité ainsi, et il avait trouvé un adversaire de valeur cette nuit. Au bout de trois derniers coups, qui prirent près de dix minutes, le Dornien se recula sur son banc, contempla le tableau de jeu et se permit un large sourire, avant de se mettre à applaudir. Ades poussa un profond soupir de soulagement en laissant tomber les épaules ; souriant à son tour. Son adversaire était d'un fair-play exemplaire, le félicitant pour l'une des rares victoires qu'il avait réussi à extirper au Dornien depuis qu'ils avaient commencés à jouer.

Ce n'est qu'à ce moment que le jeune homme se rendit compte d'une agitation inhabituelle dans la salle, malgré le faible nombre de personnes déjà présentes. Un rapide coup d’œil permis à Ades de constater qu'en effet ; la jeune Lady Arryn du Val était arrivée dans la salle, et même si tout le monde n'était pas capable de l'identifier au premier coup d’œil, la vision de ceux qui la saluait suffisait à convaincre les autres. Par chance pour les Dorniens, et pour Ades, ils avaient terminés leur partie juste à temps pour la voir passer non loin de leur tables. Le jeune Overton fut donc parmi les premiers à se lever pour incliner poliment le buste.

- Lady Arryn., commença-t-il, comme tous les hommes présents.Vous êtes resplendissante, voilà qui nous change des mines fatigués et alcoolisés que nous devons arborer au lendemain d'un tel banquet. C'est un plaisir pour nous tous de vous voir.

Malgré ses propos, le jeune homme paraissait en pleine forme. Quoique, ses yeux étaient peut-être inhabituellement brillants, du fait de la nuit quasiment blanche qu'il avait passé. Néanmoins, cet exercice matinal de l'esprit avait éveillé tous ses sens et c'était un large et beau sourire qu'il arborait. Même si la nuit avait été courte, il avait trouvé le temps d'aller se changer et se laver, afin de se retrouver frais au matin, il arborait donc un haut de tissu blanc très simple, sur lequel on distinguait des bandes discrètes d'or et d'argent au niveau des épaules : Or sur la droite, Argent sur la gauche. Son pantalon était du même coloris, retenu par une ceinture de cuir simple mais finement ouvragé et dont il était impossible de dénier la qualité.

Dans son dos, Vasgard sembla se réveiller soudainement d'une sieste, fixant son plat, puis le plateau de jeu, avant d'enfin apercevoir la jeune femme. Il inclina alors vaguement de la tête, manifestement encore plongé dans un état quasi-comatique.

- Lady Arryn.

Oh, dommage. Cet Hightower là ne faisait pas partie de ses gens qui appréciaient qu'on leur colle le titre de Lord alors qu'il ne l'était pas encore. C'était presque étonnant de la part d'un homme capable d'afficher une telle prétention. Néanmoins, le jeune homme prit note de ce fait sans rien ajouter, s'excusant poliment, affichant toujours un sourire aimable, apparemment peu dérangé d'être repris à l'ordre aussi brusquement. Il n'aimait guère le ton du chevalier, mais qui ne supportait pas ce genre de ton aurait bien du mal à évoluer dans les sphères que côtoyait Ades. Il avait finit par s'y faire, et ne prêtait plus guère attention à ce genre de personnage, à moins bien sûr qu'il ne lui soit utile d'une quelconque façon. Ce n'était pas le cas de celui-ci, mais l'autre ne semblait pas du même avis, puisqu'il choisit d'interroger le jeune homme plutôt que de repartir simplement danser. L'avait-il donc vexé à ce point en lui accolant simplement le titre d'un Lord ?

Ades inclina à nouveau de la tête, répondant d'une voix douce.

- Oh, vous ne devez pas connaître, Ser. Je suis le fils de Lord William Overton, du Nord.

***

Pour sûr que non alcoolisé, il l'était ; le jeune homme avait toujours considéré la boisson comme un moyen très sûr de perdre plusieurs degrés d'attention et d'intelligence en très peu de temps. Et il était hors de question de ne pas être pleinement en forme pour affronter un Dornien. D'ailleurs, son adversaire avait appliqué la même stratégie et n'avait but qu'un ou deux verres au cours de la soirée, et aucun depuis ce matin. Ades eut donc un petit sourire reconnaissant, avant de rire un peu alors qu'elle évoquait son garde du corps, qui semblait toujours plongé dans un demi-sommeil. Quoiqu'il se réveilla justement à ce moment-là pour saluer la jeune femme. Lorsque Lady Arryn lui conseilla de l'eau et de l'air, il la fixa un moment, avant de se retourner lentement vers Ades pour lui jeter un regard interrogatif. Le jeune homme acquiesça doucement.

- Va donc, et repose-toi un peu. Je ne pense pas que nos amis Dorniens prévoient de me tuer, et à priori, Lady Arryn non plus.

Le Fer-né se releva d'un bloc, s'inclina de nouveau devant la jeune femme et partit à pas lents. Son impressionnante stature le rendait particulièrement visible et ils purent suivre sa progression jusqu'à la porte pendant un moment. Mais Ades était déjà revenu à l'héritière du Val, l'écoutant avec une attention quasi-religieuse. Il eu de nouveau un sourire reconnaissant et s'inclina poliment alors qu'elle s'installait à la place laissée vacante par le garde du corps.

- J'en suis honoré, Damoiselle. Et je tâcherais de rendre ce petit déjeuner aussi agréable que possible.

Le jeune homme se réinstalla, aux côtés de Lady Arryn, pendant que son compagnon de jeu du moment faisait les présentations.

- Vector, de la maison Wyl, Madame. Ma mère est la sœur de Lord Wyl.

Les maisons de Dorne étaient les seules avec lesquelles le jeune homme avait encore un peu de mal à se repérer, il lui semblait que les Wyl n'étaient pas forcément les plus connus mais qu'ils n'en étaient pas moins une maison mineure. Dans tous les cas, le jeune Dornien était issu d'une branche cadette, autant dire qu'il avait un statut assez proche de celui d'Ades, sauf qu'en plus il n'était pas sûr d'hériter un jour de quoi que ce soit. Sur ce point aussi, le jeune Overton était plutôt satisfait de l'avoir croisé, face à un homme plus haut placé que lui, il n'aurait peut-être pas joué aussi bien. Certains appréciaient simplement de jouer, d'autres préféraient gagner, et il était parfois dangereux de contrarier les volontés des seconds. Heureusement, non seulement le Dornien n'était pas vraiment en état de menacer Ades, mais il était aussi particulièrement fair-play, et appréciait le jeu pour le jeu.

Lady Arryn eut l'air surprise de voir un jeu de Cyvosse ici, mais elle connaissait le jeu, ce qui n'était guère étonnant bien sûr. En revanche, qu'elle connaisse les règles était déjà un peu plus surprenants. Le jeune eu un sourire amusé à l'attention du Dornien et répondit doucement.

- J'ai appris seul, mais c'est un Dornien qui m'a permis de me perfectionner.
- Ceci explique cela ! s'exclama Vector avec un petit rire.Un invité ?
- Mon Mestre en fait.

Alors que la nièce de la Main semblait désireuse de se distraire durant son repas, les deux adversaires s'empressèrent de remettre le plateau et les pièces en place pour se lancer dans une nouvelle partie. Ades doutait cependant que la nouvelle arrivante s'y connaisse si peu en Cyvosse, il avait surpris son sourire en coin quand elle avait observé le plateau de jeu et dès que la partie commença, il l'observa de temps en temps à la dérobée. Elle semblait suivre le jeu, et pas comme une novice l'aurait fait.

La partie débuta de façon très classique ; les deux adversaires étaient des hommes prudents, mettant lentement en place leur stratégie, tout en tentant de comprendre celle de l'autre. Les pions bougeaient assez vite mais il n'y eut aucune perte pendant plusieurs longues minutes. Quelques tentatives d'attaques par-ci, par-là, mais Ades était plus concentré sur le fait de mettre en place un plan, et c'était aussi le cas de son adversaire. Alors qu'il s'était tourné un petit instant pour suivre le regard de la jeune femme, l'héritier Overton s'aperçut qu'il n'était pas le seul à loucher. Mais le Dornien ne regardait pas exactement la même chose ; c'était peut-être une chance pour lui. Dans sa position, Ades pouvait difficilement loucher dans la même direction sans se tordre le cou et rendre le tout beaucoup trop visible. En revanche, son voisin n'avait quasiment aucun effort à faire, peut-être cela finirait-il par le déconcentrer ?

Tentant sa chance, le jeune homme changea brusquement de stratégie et passa à une méthode offensive jusqu'à l'extrême. Les coups s'enchaînèrent très vite et les pièces tombèrent les unes après les autres. Le Dornien finit par se concentrer uniquement sur la partie, tentant de sauver l'honneur alors que son camp était en débâcle. Très doué, il avait cependant trop perdu pour espérer gagner mais il donna beaucoup de fil à retordre à Ades avant de finalement se rendre, le félicitant comme à son habitude avec de petits applaudissements.

- Vous vous améliorez à chaque coup.

Ades opina en le remerciant, même s'il n'était pas sûr de devoir cette victoire à ses capacités. Il se tourna tranquillement vers la jeune Arryn qui avait suivit toute la partie. Avait-elle été assez bien distraite ? En tout cas, elle devait avoir eu le temps de manger.

Le jeune homme ne put s'empêcher d'avoir un petit sourire en écoutant son interlocutrice, à l'entendre, on aurait dit que les femmes du Nord bénéficiaient d'autant d'importance que leurs homologues de Dorne. Mais il était vrai que pour les gens du Sud, le fait de voir une femme porter les armes, que ce soit dans la péninsule brûlante de Dorne ou les contrées glacées du Nord, cela faisait figure d'exception. Pas que le jeune homme trouve cela dérangeant, bien au contraire, simplement, la mentalité Nordienne n'était pas si différente que celle du Sud vis à vis des femmes, même s'il existait des exemples célèbres de femmes maîtresses de maison et portant les armes. Comme la Dame Mormont aujourd'hui. Il ne prit pas la peine de corriger la jeune femme sur ce genre de détail mais se tourna vers elle et l'inspecta sans vergogne de pied en cap, son regard n'était cependant pas lubrique, simplement observateur.

- Vous ne portez pas d'arme apparente, et je pense pouvoir réagir assez vite même si je ne saurais courir, si vous tentez de m'étrangler. Il reste la possibilité que vous ayez une lame dissimulée, bien évidemment, mais dans ce cas, croyez bien que j'ai une parade, il termina sa phrase sur un sourire dévoilant toutes ses dents, s'inclinant avec un petit rire devant elle. Je me méfie de tout le monde, Madame, après tout je suis noble, cela fait partie de mon métier. Néanmoins, je ne vous crains pas, il serait dommage d'abîmer de si belles mains pour une tâche aussi rude que le meurtre, n'est-ce pas ?

Avec un rire qui indiquait clairement qu'il goûtait le même genre d'humour qu'Ades, le Dornien acquiesça vivement.

- Enchanté de même, Damoiselle Arryn.

Alors que la partie n'avait pas encore commencée, la jeune femme s'étonna de l'origine du Mestre de Fort-de-Glace. Encore une fois, elle faisait montre d'une grande attention et notamment pour ce genre de détail qui serait passé inaperçu aux yeux de beaucoup d'autres gens. Le jeune homme ne se fit toutefois pas prier pour s'expliquer, se tournant doucement vers elle.

- Je dois confesser que c'est de ma faute, Damoiselle. Lorsqu'est venu le temps de fournir à Fort-de-Glace un nouveau Mestre, j'ai demandé s'il était possible que nous sois envoyé un ressortissant de cette région, s'il était curieux du Nord. Il s'est avéré que Mestre Orell était très intéressé par nos coutumes et moi par les siennes, nous avons eu beaucoup d'échanges intéressants, finit-il en se tournant vers le Dornien. Mais jamais d'aussi belle partie qu'avec vous, Sieur Vector.

L'autre répondit simplement par un sourire modeste et déplaça son premier pion. Au cours de la partie, Ades vit bien que la jeune femme avait capté ses regards et qu'elle s'était désintéressée du plateau de jeu pendant un instant. Il se demanda même si elle ne s'était pas penché volontairement sur la table pour décontenancer son adversaire, mais cette pensée le fit rougir, ce ne pouvait pas être le cas. Toujours est-il qu'elle était sans aucun doute consciente qu'il l'avait surveillée ; et la façon dont elle regardait le plateau indiquait qu'elle était plus qu'une simple amatrice. Peut-être avait-elle compris qu'il savait. Cette pensée le fit sourire ; ce jeu de regards idiots lui rappelait une véritable partie de Cyvosse ; les joueurs connaissant la stratégie de leur adversaire en faisant croire qu'ils ne la voyaient pas et inversement.

L'héritier Overton inclina poliment de la tête en recevant les congratulations d'Ashara, mais il s'empressa de sauter sur l'occasion qu'elle lui présentait. Il aurait beaucoup aimé l'affronter sur le terrain de Cyvosse, son jeu favoris et un excellent moyen d'apprendre à connaître quelqu'un. Cela ne l'empêcha pas de répondre tout autrement.

- Une belle serait inutile, je le crains. Messire Wyl m'a battu au cours de cette nuit deux fois pour chaque défaite que j'ai réussis à lui arracher. Si vous désirez jouer, je vous cède ma place avec plaisir.

Il adressa un sourire autant à la jeune femme qu'à son ancien partenaire de jeu, alors qu'il se décalait légèrement sur le banc pour laisser la place à Lady Arryn. S'il voulait jouer contre elle, il préférait d'abord la voir affronter quelqu'un d'autre, et c'était encore mieux si cette autre personne était plus douée qu'Ades. Rien de tel qu'un très bon adversaire pour contraindre quelqu'un a montrer ses stratégies de jeu les plus extrêmes. Si Ashara s'était amusé à observer les tactique des deux hommes, il n'y avait aucune raison pour qu'Ades ne fasse pas de même. Sans doute Vector avait-il pensé à la même chose, mais pris de court par son compagnon, il ne put qu'acquiescer et rangea soigneusement les pièces, répondant d'une voix enjouée à la jeune femme.

- Les Sept, Damoiselle. La religion des Rhoynar n'est plus gère pratiquée dans les montagnes.

Ades ne connaissait pas très bien Dorne, mais il savait que la seule chaîne de montagne que Vector pouvait évoquer était les Montagnes Rouges qui marquaient la frontière entre la péninsule et le reste du Royaume. C'est alors qu'il se souvient de la maison Wyl ; celle qui gardait le passage des Osseux, là où Baelor le Bienheureux était passé pieds nus pour conclure la paix. Voilà qui permettrait au jeune homme de mieux replacer l'origine de son interlocuteur, lui qui s'interrogeait depuis leur rencontre.

Si le jeune homme avait visiblement rougit en écoutant la déclaration d'Ashara sur ses armes, il se montra cependant suffisamment doué pour le dissimuler à la plupart des personnes présentes, se tournant uniquement vers la jeune femme. N'étant pas sûr du sous-entendu, et surtout par prudence, il n'ose pas rebondir sur la remarque. En revanche, la dernière partie de sa phrase ne pouvait que faire réagir le jeune homme, ce n'était pas quelque chose que l'on entendait tout les jours, en tout cas pas de la bouche de quelqu'un de s'y haut placé par rapport à soi. Même le Dornien releva un instant les yeux en entendant cela. Ades, quant à lui, resta immobile un moment, mais finit par un répondre par un large sourire et une légère inclinaison de la tête en remerciement. Le message était passé et bien passé, mais il n'y avait pas de raison de se mettre à hurler. Elle le considérait comme un ami, très bien, lui aussi appréciait la jeune femme et sa façon de faire.

- Voilà qui est rassurant, mademoiselle. D'autant que je n'ai rien à craindre d'une amie, n'est-ce pas ? Vous pourrez donc vous entretenir avec moi quand vous le désirerez.

Le sourire final était amusé au possible, mais le ton avait été plus qu'agréable. Ades ne pouvait que se trouver heureux de ce résultat, avoir un ami haut placé était toujours une bonne chose, même quand ce n'était pas dans la même région. Connaître l'une des personnes les plus importantes du Val, qui en était presque la Surintendante en fait, ne pouvait que lui être bénéfique par la suite. Que ce soit de réputation ou même en terme plus matériel. Néanmoins, il n'était pas un imbécile, on obtenait rien sans rien dans le milieu de la noblesse, et même l'amitié avait un certain prix. Ce prix était toutefois plus léger que les autres, et le jeune homme croyait deviner ce qui intéressait son interlocutrice. Elle avait déjà commencé à l'interroger sur le Nord la veille, et en reparlait d'ailleurs sitôt que la question du Mestre était évoquée., si c'était des informations sur le Nord qu'elle voulait, il allait les lui donner sans le moindre soucis.

- Oh, mais les livres sont des sources inépuisables de savoir, il faut simplement faire attention à qui les as écrits. Je suppose que vous avez lu La Conquête de Dorne, rédigée par Daeron I. Un exemple de récit bien peu objectif, mais qui peut se révéler instructif si l'on sait lire entre les lignes.

Le regard vairon se tourna vers le jeune Dornien, comme pour chercher confirmation. Vector opina doucement de la tête, encore concentré sur la partie. La question d'Ades était presque inutile ; ce livre était l'un des plus lus de l'histoire du Royaume puisqu'il servait fréquemment à l'apprentissage de la lecture, notamment à cause de ses nombreuses passages guerriers. Quoique, peut-être n'était-ce pas le premier livre qu'on lisait quand on était une jeune Lady. Il allait bientôt le savoir de toute façon.

- Cependant, il faut reconnaître que les choses sont beaucoup plus simples à apprendre quand on discute avec quelqu'un qui les connaît vraiment.

Une fois la partie terminée, la jeune femme eut un instant d'hésitation avant de prendre sa place, mais finit par arborer un sourire radieux. Elle semblait ravi de pouvoir jouer au Cyvosse contre le Dornien. Durant un moment, Ades se demanda s'il s'était trompé sur son compte et si elle voulait simplement jouer de façon parfaitement innocente, mais elle se rattrapa bien vite. Ainsi, elle allait profiter de la partie pour lui soutirer les informations qu'elle avait raté la veille, elle n'avait manifestement par peur. Discuter en même temps que l'on jouait pouvait sembler facile mais cela requérait en fait une grande concentration ; était-ce une mesure pour l'impressionner ? Ou bien était-elle plus intéressée par ce qu'il avait à dire que sur la partie ? Il allait bien le voir au cours du jeu de toute façon ; Vector Wyl était un adversaire redoutable, même pour quelqu'un d'aussi doué qu'Ades, il serait parfait pour évaluer le niveau de la Damoiselle. La seule crainte du jeune Overton était qu'il se focalise trop sur le décolleté de son adversaire ; la concentration était vitale.

- Bien sûr, Lady Arryn. Je devrais pouvoir réussir à faire les deux en même temps ; on dit que mes yeux n'ont aucune difficulté à suivre deux choses en même temps.

Il eut un léger rire ; il était vrai que son regard vairon, même s'il n'était pas atteint de strabisme, lui donnait un regard étrange, que les gens remarquaient bien vite la plupart du temps. Notamment à cause de l'oeil blanc, couleur plus qu'inhabituelle, qui arrivait pourtant à voir parfaitement normalement.

- Où en étais-je donc ? Ah oui, je vous parlais de la religion du Nord, nous vénérons donc les Anciens Dieux, et ce qu'il faut d'abord comprendre, c'est que c'est là un culte extrêmement intimiste...

Le jeune homme parla durant toute la partie, rebondissant sans cesse sur les questions que lui posait Ashara. Certains étaient précises mais la plupart demandait plutôt une longue explication sur des coutumes ou mythes du Nord. L'héritière Arryn semblait tout à fait capable de l'écouter tout en jouant, grâce à une stratégie à long terme. Lui-même arrivait parfaitement à suivre le duel tout en racontant. Sa voix était douce, posée et il parlait avec une assurance certaine, puisqu'il connaissait parfaitement son sujet. Dans sa façon de décrire son pays, il pouvait se montrer très clinique et précis, mais donnait aussi parfois un avis plus subjectif qui permettait de mieux comprendre le point de vue des gens du Nord. Toutefois, il prit bien garde à ne pas évoquer son domaine à lui, ni aucune des légendes s'y rapportant, alors qu'il ne resta pas avare en ce qui concernait la famille Stark.

Des corbeaux, bien évidemment, ils n'avaient aucun mal à trouver Fort-de-Glace habituellement, et nul doute qu'Ades ferait bien attention à les faire parvenir dans le Val sans faute. Avoir une correspondance avec une femme comme elle ne se faisait pas tous les jours, et c'était une occasion à ne manquer sous aucun prétexte. Au final, quel que soit ce qu'elle lui demandait, il serait plutôt gagnant dans l'histoire ; elle aurait toutes les informations qu'elle voudrait sur le Nord, et lui aurait l'amitié, toute relative, d'une dame très haut placée. De plus, étant donné qu'elle n'était pas sa suzeraine directe, elle n'avait qu'une emprise très relative sur lui et ne pouvait tout se permettre. Ce pourquoi, il se sentait plutôt tranquille vis à vis de ça.

Le jeune homme resta étrangement silencieux alors qu'elle évoquait le livre des Conquêtes, se tournant ostensiblement vers Vector pour expliquer, même si elle ne le disait pas franchement, qu'elle serait aussi très intéressée par la culture Dornienne après en avoir finit avec la Nordienne. Bizarrement, le jeune homme ne répondit que par un sourire et un regard vaguement intéressée, avant de désigner le plateau de jeu devant eux. Ades se serait attendu à ce que le Dornien se jette sur l'occasion mais celui-ci se montrait exceptionnellement calme, même quand elle focalisa toute son attention sur lui, il se contenta de la fixer d'un regard olive, finissant de préparer la partie. Apparemment, il ne désirait pas se faire avoir deux fois par le même tour, peut-être avait-il saisit le souci de la première partie.

Alors qu'il s'apprêtait à répondre poliment à sa remarque sur les yeux, la jeune femme se tourna soudainement vers lui pour lui jeter un regard noir. Heureusement, Ades mit moins d'une seconde à en comprendre la signification et se contenta de lui rendre un regard vide, absolument pas impressionné. Elle croyait pouvoir l'impressionner ? N'importe qui de suffisamment haut placé pouvait lancer ce genre de regard ; Ades avait côtoyé des hommes cent fois plus impressionnant qu'elle et il n'en avait pas moins soutenu leur regard. C'était un regard de feu, en effet, assez impressionnant. Mais les Overton était la Glace, et l'Acier. C'est exactement ce qu'elle put lire dans les pupilles bleus et blanches, qui pour la première fois semblaient aller parfaitement ensembles. Ades n'était pas capable de se genre de regard haineux et colérique, mais il pouvait être tout aussi effrayant. Certains des petites gens attribuaient à son œil blanc des vertus magiques quand ils comprenaient qu'ils n'étaient pas aveugles. Ashara eu droit à une minuscule échantillon alors qu'il lui rendait son regard sans ciller, un regard glacé. Elle pouvait se déclarer son amie, elle pouvait se croire infiniment supérieur à lui ; il était un Overton. Et les Overton ne pliait que devant les Stark et les dragons. Si Ades s'inclinait, c'est parce qu'il le voulait, il n'était pas un chien qu'on pouvait rappeler à l'ordre d'un seul regard, et elle le comprendrait. De toute façon, elle n'avait pas l'air du genre à apprécier les chiens fidèles, pas pour amis en tout cas.

- Je crois, Lady Arryn, que le regard de chacun est unique. A ce niveau, personne n'a à apprendre à personne, si ce n'est les menteurs et les traîtres, peut-être. Ceux qui cachent la vérité derrière leurs pupilles.

Alors qu'il se détournait lentement pour prendre un verre de lait, il arborait un sourire tout ce qu'il y avait de plus aimable et humble. Le Seigneur de Fort-de-Glace avait disparu, remplacé par son tout jeune fils, à peine un homme, au beau sourire et apparemment affamé.

La partie se termina enfin, sur un résultat assez prévisible, il était impossible pour Ashara de se concentrer à la fois sur la conversation abondante d'Ades et sur la partie contre Vector. Elle s'était cependant assez bien défendue et conclu de façon très fair-play. Lorsqu'elle se tourna vers lui, il se demanda si c'était pour lui proposer une partie ou pour poser une autre question, finalement il s'avéra qu'elle devait partir. Il était vrai que la partie avait durée plus longtemps que le jeune homme ne s'y attendait, sans doute à cause de leur conversation parallèle. Il inclina doucement la tête.

- Ce sera un honneur de vous recevoir dans notre humble demeure, et un plus grand encore que de me rendre chez vous, Damoiselle. Ce fut un plaisir de vous voir … disputer cette partie. Passez une bonne journée.

Les deux hommes la saluèrent et la regardèrent partir alors qu'ils reprenaient leur place devant le plateau de cyvosse, remettant machinalement les pièces en place. Vector Wyl adressa un petit sourire au jeune Overton.

- Merci de l'avoir déconcentrée, je n'avais moi-même pas que le jeu en tête, je l'avoue ...

Et il partit sur un petit rire. Évidemment, en grand joueur de cyvosse, le Dornien n'avait put manquer de voir qu'Ashara n'était pas pleinement dans la partie. Ades croyait l'avoir perçu aussi mais il lui en donnait une confirmation. Ce Wyl était beaucoup plus rusé qu'il ne voulait le laisser paraître.

- Ce fut un plaisir, que diriez-vous d'une nouvelle partie en discutant de votre contrée ?

Nouveau rire de la part de son adversaire.

- Je m'y attendais. Allons-y. Vous comptez la battre quand vous la reverrez, n'est-ce pas ?
- Le puis-je ?

Le Dornien resta un moment silencieux, puis il saisit sa première pièce et l'avança d'un coup.

- Entraînez-vous, elle le fera aussi. Faites-en plus, faites-en toujours plus..

C'est ce qu'il ferait. Sur ce point, Vector n'avait pas à s'inquiéter.